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Critiques de Alexis Ragougneau (304)
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Opus 77

Le roman débute dans une basilique genevoise où un dernier hommage va être rendu au chef d'orchestre de l'OSR (Orchestre de la Suisse romande), à la renommée internationale. Sa fille Ariane Claessens, pianiste émérite, contrairement à ce qu'on attend d'elle, ne va pas entamer la marche funèbre traditionnelle en mémoire de son père, mais le concerto pour violon N°1 Opus 77 de Chostakovitch, Opus qui va rythmer la vie de cette famille et également le roman, avec ses cinq mouvements : Nocturne, Scherzo, Passacaille, Cadence et Burlesque.

C'est elle la narratrice et elle va nous conter l'histoire de ces Claessens, cette (sa) famille qui a la musique dans le sang. À travers ses souvenirs, elle nous fait vivre la rencontre de ses parents. Comment Claessens, nommé ainsi tout au long du roman, alors pianiste, de passage à Tel-Aviv pour y donner le concerto pour piano de Tchaïkovski, rencontre la classe d'art lyrique de l'Académie de musique et va remarquer cette jeune soprano, au vibrato exceptionnel : Yaël. Ils vont tomber follement amoureux.

Claessens deviendra rapidement un chef d'orchestre réputé. Si sa fille, la belle Ariane est reconnue également dans le monde entier pour ses talents de pianiste, c'est David son frère aîné, jeune violoniste très prometteur qui lors du prestigieux concours "Reine Elisabeth" pouvant lancer sa carrière, va commettre l'inimaginable. C'est cet évènement et cette rupture qui vont être la trame de ce roman.

L'auteur a su ménager de belle manière un suspense autour de ce fait et lorsqu'il va le décrire, en nous faisant revivre cette finale où David doit interpréter cet OPus 77 de Chostakovitch sous la direction de son père, c'est vraiment un moment magnifique et sublime que j'ai vécu sans pour autant être une mélomane avertie. J'ai été bouleversée par la manière dont Alexis Ragougneau a su faire passer un souffle de beauté et nous faire vibrer en totale harmonie avec ce musicien. Avoir entrelacé la vie de Chostakovitch, ce compositeur, jouet de Staline "écartelé entre la terreur et la répression" et l'interprétation de son Opus 77 par David m'a fait ressentir de façon éblouissante et véridique cette musique.

Ce livre où la tension est palpable du début à la fin tient à la fois du roman noir, du roman psychologique et du roman d'amour, amour tellement pur entre le frère et la soeur : "nous étions là, David et moi, comme toujours, comme depuis l'enfance, nous protégeant mutuellement de l'orage. le frère et la soeur, yeux fermés, blottis l'un contre l'autre, jouant avec les notes comme avec la pluie martelant le toit de notre refuge secret, de notre grotte." C'est aussi un livre sur l'incommunicabilité entre les êtres et tous ces sentiments sont rendus très justement, très finement et souvent avec beaucoup de sensualité. de fort belles pages d'ailleurs décrivent les mains et leur pouvoir, des passages émouvants sur le toucher.

Si, dans Opus 77, l'auteur excelle à nous faire partager son amour pour la musique classique, il n'hésite pas à écrire : " Dans le monde de la musique classique, il y a ceux qu'on appelle les connaisseurs. Si l'on veut faire carrière, il est indispensable de les caresser dans le sens du poil. Ce sont eux qui décident du sort des solistes en déterminant ce qui relève du bon et du mauvais goût. "

Si je n'ai pas été conquise dès le début, cela n'a pas tardé car l'intensité va crescendo et j'ai vite été happée, bousculée pour finir conquise par ce roman puissant et intense.

Un roman de la rentrée littéraire que je recommande chaleureusement et je remercie vivement les éditions Viviane Hamy et Masse critique de Babelio pour me l'avoir fait découvrir !


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Opus 77

°°° Rentrée littéraire 2019 #15 °°°



Dans la famille « Dévorés par la musique », je demande :

- le père, Claessens, chef d'orchestre international, un monstre boursouflé de narcissisme et despote familial

- la mère, Yael, soprano jadis brillante et solaire, désormais décrépite et à moitié folle

- le fils, David, violoniste absolu fuyant prématurément la vie, reclus en ermite dans un bunker

- la fille, Ariane, pianiste star, flamboyante narratrice qui va dénouer sous nos yeux souvent stupéfaits l'écheveau familial telle l'héroïne grecque éponyme dans le labyrinthe du Minotaure



C'est elle qui nous fait plonger dans le psychodrame familial dès le premier chapitre, une première littéralement scotchante qui m'a happée sans préliminaires : une basilique genevoise, l'enterrement du père, une assistance recueillie qui attend qu'Ariane entame la marche funèbre traditionnelle, la stupéfaction lorsque ce sont les notes du concerto de Chostakovitch pour violon qui s'élèvent de son piano.



Ce fameux Opus 77 est en fait la clé, la pierre angulaire pour comprendre cette famille, ses excès de passion qui l'ont détruite, ses comportements obsessionnels qui confinent à la folie, ses actes terribles car irréversibles.

On assiste alors à une véritable mise à nu des Claessens, orchestrée brillamment à travers la voix sans filtre d'Ariane. C'est d'une telle crudité, d'une telle violence que cela laisse souvent le lecteur abasourdi. Comme un combat total pour dominer l'autre avec au coeur, la filiation et plus précisément la relation père-fils. Dans ce chaos des sentiments, le personnage d'Ariane apparaît vite comme exceptionnel, celui d'une femme dont la puissance se déploie à la fois en tant qu'artiste, soeur et fille. Fascinante.



Entre la richesse de l'histoire et celle des personnages, ce roman avait tout pour me séduire. La force de l'écriture d'Alexis Ragougneau a fini de m'emballer, une écriture qui a de la personnalité et du souffle, les mots claquent, sidèrent le lecteur à mesure que les souvenirs d'Ariane remontent et que le passé s'écorche. D'autant plus que l'auteur a choisi une composition de haute volée, le récit étant rythmé par les 5 mouvements du concerto qui forment autant de chapitres ( nocturne – scherzo – passacaille – cadence – burlesque ). Chacun traduit l'émotion qui traverse le récit à ce moment-là, comme une dramaturgie révélée crescendo, celle de l'individu face au rouleau compresseur de la famille et plus généralement des attentes de la société.



Nul besoin d'être musicien ou même mélomane pour apprécier ce roman, même si dans mon cas, ce magnifique m'a donné une envie furieuse de découvrir l'opus 77 de Chostakovitch. Ce que j'ai fait. Je n'en applaudi que d'autant plus la virtuosité de cet écrivain.



Une lecture qui reste et vit en mois plusieurs semaines après l'avoir achevée.
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Opus 77

J’avais été bouleversé, en 2015, par l’ouvrage de Hélios Azoulay « L’Enfer aussi a son orchestre. La musique dans les camps » qui rappelait comment la musique avait rapproché et opposé les déportés et leurs gardiens dans l’univers concentrationnaire et qui révélait que Viktor Ullmann avait écrit une oeuvre posthume en hommage à Jeanne d’Arc.

J’ai retrouvé cette même émotion en lisant les pages qu’Alexis Ragougneau consacre au Concerto pour violon n°1 en La mineur opus 77 composé par Dmitri Chostakovitch en 1948, époque stalinienne, et créé en 1955 par l’orchestre de Léningrad et David Oïstrakh violoniste.



Et j’ai vécu ici aux cotés de la famille Claessens l’enfer d’une vie carcérale provoquée par le délire paternel qu’un orgueil diabolique conduit au harcèlement psychologique qui détruira la mère, internera David, le fils traumatisé, et fera d’Ariane « le plus complexe, le plus indéchiffrable, le plus parfait automate créé de main d’homme. »



Obsédé par le réel, passionné par le beau, je suis émerveillé par ce véritable chef d’oeuvre écrit par un écrivain que j’ai eu la chance de rencontrer lors d’une récente séance de dédicace et dont je suis en train le lire les autres publications aussi variées que passionnantes.



Evénement littéraire de cette rentrée, Opus 77 permet de faire un saisissant parallèle avec ce que subissent des sportifs, des mannequins, des artistes, « fils de » célébrités (ou de ratés), qui, devenus des marionnettes, dans les mains de leurs géniteurs, sont détruits par l’obsession parentale et le fric et les drogues qui polluent ces univers artificiels encensés par les médias « people ».



Cri d’alerte contre tous les asservissements ce roman magnifique est à lire par chaque éducateur.
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Opus 77

Je voudrais tout d'abord adresser un très , très grand merci à Babelio et aux éditions Viviane Hamy pour l'envoi de ce superbe roman dans le cadre d'une masse critique privilégiée.

Alors , premier point : c'est l'un des plus beaux romans que j'ai découverts en cette rentrée littéraire et , plus précisément, l'un des plus " émouvants " de ceux que j'ai lus cette année ( 107 à ce jour.... )

Bon , ça c'est fait , c'est pour mon ressenti émotionnel.

Deuxième point : la musique . Ça fait un peu peur , non , quand on n'est pas mélomane, de se lancer dans un ouvrage où la musique classique va résonner, sublime et intransigeante , du début à la fin , être la seule préoccupation de la famille Claessens .Rassurez - vous , je suis ignare en ce domaine et , pourtant , je me suis littéralement " envolé " sur un " tapis volant " de notes sublimes ....J'ai plané .

Troisième point , lisez les dernières phrases et portez votre regard sur cette superbe et intrigante jaquette ...Un oeil plein d'un je ne sais quoi de mystère , d'inquiétude, de questionnement , une dissimulation DERRIERE un instrument ...

Dernier point , j'ai lu plusieurs romans de monsieur Ragougneau et il s'avère que je les ai bien aimés...En matière de lectures , la fidélité à un auteur , ça compte ...

Oui , très bien , très bien tout ça mais de quoi est-il question ?.....Oui , j'y viens , j'y viens , deux minutes....

Dire que ça commence bien , c'est à voir car tout débute dans une basilique où l'on célèbre...les obsèques du grand , trés grand chef d'orchestre Claessens . C'est sa fille , Ariane , qui va lui rendre hommage en interprétant l'Opus 77 de Chostakovitch , à la plus grande surprise de l'assistance , vous verrez pourquoi .Vous ne connaissez pas l'Opus 77 ?ouah !!! La culture , alors ? Ben , pour tout vous dire , moi non plus mais on en apprend des choses au cours de ce roman , on y apprend notamment que ce compositeur et son concerto rythment la vie des Claessens ...Les Claessens . Celui qui git dans le cercueil, c'est lui , le père , un chef extraordinaire . Respecté , c'est certain , aimé , à voir . Il y a la narratrice , Ariane , la fille ,pianiste de talent , star des salles les plus célèbres au monde , jolie rousse au visage fermé , celle qui va tout nous dévoiler . Yael , l'épouse , dont les pensées ont quitté le monde et David , violoniste , sans doute le plus doué de tous , David dont l'oeil vous regarde sur la jaquette....

Une belle famille , liée par l'amour de la musique , le succès , la gloire .....Enfin , c'est ce qu'on dit ....car ce n'est pas si simple et , en tout cas ,trop long à vous expliquer là , maintenant , le soleil brille et je sors me promener ...Et vous ? Ben j'en ai dit assez non... Pour en savoir plus , c'est votre problème, vous n'avez qu'à vous lancer dans cette lecture . Vous verrez , je suis certain qu'à la fin , vous serez conquis et conquises et vous vous direz que je ne vous ai vraiment , mais vraiment pas donné une punition , au contraire .

Un coup de coeur pour moi et , à lire les critiques des ami(e)s babeliotes , un coup de coeur partagé.

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Palimpseste

De la récup de papyrus !

Ah, si on pouvait effacer toutes les âneries écrites sur le développement personnel et utiliser le papier purifié pour rééditer des auteurs oubliés…

C’est grosso modo la définition d’un palimpseste. Moi qui croyais qu’il s’agissait du nom d’un bouton qui gratte. Et bien non, c’est du parchemin recyclé. A l’époque, ils ne transformaient pas les feuillets en boule de papier à la première rature. Ils optimisaient la ressource les scribes et les moines copié-collistes.

Alexis Ragougneau, dès fois, les pseudos devraient être obligatoires, auteur de l’excellent « Opus 77 », a choisi d’intituler ainsi son nouveau roman car son héros superpose son histoire à celle écrite par son père dans un livre prohibé.

Ce choix formel induit un roman exigeant, concentré en seul bloc, sans chapitre, qui laisse parfois échapper les passages du texte originel et dont les seules respirations qui découpent les différents temps du récit sont des définitions de mots clés. A charge pour le lecteur d’en deviner la pertinence.

Je dois avouer qu’il m’a fallu une bonne centaine de pages pour parvenir à m’introduire dans ce roman un peu froid. J’en suis d’abord resté un spectateur titillé par l’originalité de la construction mais sans parvenir à m'immerger dans l'histoire. Je barbotais dans le pédiluve jusqu'au moment du grand plongeon, où le fond a pris le pas sur la forme. J'ai alors pleinement profité de la baignade jusqu'au bout de la ligne... d'eau.

Puisque on en est aux mots compliqués, l’histoire est une dystopie, un récit pessimiste qui augure un avenir pas folichon et donne surtout des envies nostalgiques de bons vieux temps. Nos oracles n’ont vraiment pas le moral. En cette automne littéraire, il y en a presque autant, de ces promesses d’apocalypse, que de bronchiolites.

Dans un futur proche, Simon Kass est un génie de la fake-news, un troll chargé de faciliter la réélection d’une dictatrice à la tête du Parti « Vox Populi ». Les historiens racontent l’histoire. Simon la réécrit.

Il passe ses journées dans La Grande Bibliothèque où il peut fréquenter les différentes tours et les écrits interdits, dont ceux de son propre père, archéologue qui voulait exhumer les vestiges d’un camp de concentration de tziganes.

A la fois ivre de son pouvoir de nuisance et marqué par son histoire familiale avec ce père dont il a précipité la chute et une mère, actrice célèbre d'une série TV ultra violente, Simon va retrouver le chemin de la vérité dans l’écriture. La revanche de la plume sur les écrans, du réel sur le virtuel.

Ce roman est d’une intelligence rare mais il faut être un peu têtu pour en arriver à bout car il ne se laisse pas effeuiller à l’œil. Ce n’est pas un roman facile. Il interroge de façon passionnante le rapport à la vérité, la réécriture de l’histoire, la marginalisation des intellectuels, des scientifiques et la manipulation de l’information. Toutes les paroles ne se valent pas.

De quoi alimenter nos peurs du lendemain qui déchante.

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Opus 77

Merci à Babelio et aux Editions Viviane Hamy pour leur confiance.





Lors de la messe de funérailles du célèbre chef d’orchestre Claessens, sa fille, la narratrice, elle-même pianiste de renommée internationale, entame au piano la très difficile pièce pour violon et orchestre de Chostakovitch : Opus 77. Tous ceux qui comptent dans le monde de la musique classique sont réunis, comme pour un dernier spectacle où chacun s’observe, se jauge, guettant l’éloge ou la critique, prêt à basculer en un instant du sourire au coup de griffe. Tous, sauf David Claessens, le fils, violoniste prodige en son temps, devenu fils et musicien prodigues, en raison, d’une part de dévastateurs secrets de famille, d’autre part, de l’intransigeance de son art et de son indifférence aux conventions du Ghota musical.





Pendant qu’elle joue, Ariane Claessens se remémore : son enfance avec son frère David dans cette famille vouée à la musique, l’exigeant apprentissage du piano pour l’une, du violon pour l’autre, leur relation complexe à leur père, la lente destruction de leur mère, chanteuse lyrique peu à peu réduite au silence… Et surtout la griserie et les pièges de la dévorante célébrité, la pression et la peur de faillir, les règles d’un microcosme qui ne tolère aucune déviance à ses normes, une compétition impitoyable et sans fin où le talent ne peut percer et durer qu’avec la reconnaissance de la profession.





Tout le récit s’articule autour de cet Opus 77, composé par un Chostakovitch victime du totalitarisme soviétique, œuvre dramatique et dissonante, véritable cri de rébellion contre la censure et l’oppression : « Jamais peut-être musique n'a davantage symbolisé le combat de la lumière face aux forces obscures. »





Car c’est précisément à ce combat entre ombre et lumière, qu’après y avoir vu leurs parents s’y brûler les ailes, se retrouvent confrontés le frère et la sœur. Ariane réussit à mener sa carrière, en choisissant la conformité et en murant ses états d’âme au plus profond d’elle-même, devenant « le plus complexe, le plus indéchiffrable, le plus parfait automate jamais créé de main d’homme ». David, dont le talent est tout à fait exceptionnel, mais parce qu’il fait fi des us et des avis de ses alter egos, s’exclut, s’isole et s’immole.





A travers cet excellent livre qui sait maintenir l’intérêt du lecteur de bout en bout, résonne toute la question de la liberté individuelle et artistique dans notre société, où les stratégies mercantiles, mais aussi la contrainte croissante du politiquement correct, finissent par lisser et formater la création.


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Opus 77

Un roman musical intense et poignant!



Ariane, pianiste soliste internationale nous conte l’histoire de sa famille : le père pianiste puis chef d’orchestre, la mère, cantatrice, et le frère David, qui choisit à six ans son instrument : le violon.



Ils sont beaux, ils sont doués, mais voilà l’image qu’ils renvoient au monde a un verso bien plus sombre.



Le seul mot que les enfants ont entendu de la bouche de leur père est « recommence !». Si la narratrice a malgré tout fait son chemin dans cet univers sans pitié, le fils lui s’en tire moins bien. Mutique, solitaire, il s’étiolera sous la pression. Quant à la mère, sa voix d’éteindra avec son âme.



Tout cela est en place au début du récit : l’écriture intervient ensuite pour construite un puzzle qui se dessine peu à peu, accompagné par les citations d’oeuvres musicales, avec en tête le premier concerto pour violon de Shostakovitch, dont l’écoute est indispensable en cours de lecture.



C’est brillant, émouvant, et superbement conté.





Très belle découverte.
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La Madone de Notre-Dame

En me procurant "opus 77", mon libraire m'a suggéré "la madone de Notre-Dame" en me murmurant "ce n'est peut être pas très catholique ... mais vous apprécierez".

Et bien, voici un chef d'oeuvre que j'ai lu d'une traite cette nuit dans l'inconfort d'une voiture SNCF polluée par des conversations téléphoniques.

Une intrigue, des personnages, un style, voici une recette garantissant un réel plaisir et offrant au lecteur une visite de Notre Dame et un regard sur les coulisses d'une cathédrale.

Ajoutons une évocation du "quai des orfèvres", une plongée à Pigalle et nous retrouvons des scènes chères à Simenon.

Et le Père Kern est une belle incarnation d'un Prêtre dans un monde où tous les ecclésiastiques ne sont pas des saints ... hélas.

Un roman aussi passionnant qu'édifiant qui va m'inciter à acquérir "évangile pour un gueux" et dans l'immédiat j'ouvre "Opus 77".
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Evangile pour un gueux

Le flâneur qui profite des bouquinistes quai de Montebello et quai de la Tournelle passe au dessus des gueux qui vivent entre la ligne RER et l'ex voie sur berge derrière les bouches d'aération et les plaques d'égout. Loin des yeux, loin des coeurs, ces clochards sont les vedettes de « l'évangile » publié par Alexis Ragougneau qui nous mêne aux côtés de Mouss, Stravos, Kristof et leurs disciples, loin des aménités de notre FRANCE en marche et des images touristiques valorisant le coeur de Paris.



Il s'agit plus d'une parabole que d'un polar et j'ai apprécié cette plongée dans les boues de la SEINE avec le père KERN, émouvant pasteur mobilisé avec les bénévoles d'ATD Quart Monde et Claire la juge torturée par des séquelles de son adolescence.



Une belle histoire, avec des héros engagés et l'écriture ciselée d'un romancier qui marche sur les traces de Victor Hugo en ressuscitant Quasimodo.

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Opus 77

Vous avez lu peut être La Solitude du coureur de fond d'Allan Sillitoe ou vu le beau film de Richardson qui en a été tiré.



Alors vous vous souvenez de Tom Courtenay qui interprète le personnage de  Collins, jeune délinquant détenu en maison de redressement,   qui obtient , au vu de son endurance physique,  la permission de s'entraîner à la course de fond et de porter les couleurs de sa prison d'adolescents  dans une joute qui va opposer celle-ci à une Public School de petits bourgeois anglais, bien imbuvables dans leur blazer / cravate...



Il s'entraîne donc seul,  goûte, pendant ses entraînements,  à une liberté sous caution et gagne la confiance de son pervers de directeur jusqu'au jour de la course.... où soudain,  alors qu'il a distancé largement tous ses concurrents, il s'arrête , volontairement, juste avant la ligne d'arrivée.



Ultime sursaut de sa rébellion et de son refus de toute manipulation, de toute récupération.



 Une liberté absolue qui aura son coût mais qu'il oppose à tous, "riant au ciel riant d'une agréable audace" dirait Agrippa  D Aubigné...



Quel rapport avec Opus 77 me dites vous? Elle yoyote, michfred, voilà qu'elle confond les bouquins...



Non non. J'ai encore ma tête,  même si c'est un peu tout ce qui me reste, rassurez vous...



Opus 77 , construit sur les 4 mouvements du concerto numéro 1 pour violon,   opus 77 de Chostakovitch, est l'histoire d'une passion, d'un assujettissement et d'un affranchissement.



Dimitri Chostakovitch a écrit et fait jouer son concerto sous Staline.

Le Petit Père des Peuples n'a pas aimé. 

Ni le concerto ni la liberté de son tempo. Ni son auteur, le musicien le plus populaire de l'URSS.

Le compositeur a tenu bon, malgré brimades, mise à l'index et menaces de goulag.

Le Petit Père des Peuples est mort avant d'avoir sa peau.



Refus et rebellion du fils.  Mort du père.  Passion de la musique: voilà tout le sujet de cet Opus 77.



Pas n'importe quel père : un père Moloch, un père tout-puissant. Un Minotaure en son Labyrinthe attendant ses victimes expiatoires pour mieux les dévorer.



Claessens, le père,  le chef d'orchestre, a déjà dévoré sa femme, Yael, voix vibrante et fragile désormais vouée au silence. Il a  assigné à sa fille, belle, rousse et glacée,  sa place au piano . Elle le remplace depuis que ses mains à lui le trahissent, et qu'il a dû troquer le clavier pour la baguette.



 Reste le fils, David,  qui a refusé cette place occupée par sa soeur et a choisi le violon comme arme pour défier le Père en son Labyrinthe. Et qui a préféré au violon prestigieux offert par le Père   un violon mystérieux offert par un père de substitution, son vieux professeur de violon, le doux, l'intimidé, le furtif  Krikorine. Un Russe à  l'histoire sombre . Tiens, tiens..



 La soeur  aime son frère d'amour. À la mort du père, qui ouvre le récit, elle s'offre à nous, lecteurs , pour dérouler son fil et nous guider dans le Labyrinthe.  Un fil d'Ariane. C'est comme ça qu'elle s'appelle, la soeur, Ariane. Tiens, tiens...



Depuis Freud on sait combien les grands mythes grecs éclairent les détours obscurs de l'inconscient.



 Et la musique du compositeur rebelle qui osa affronter Staline  sert de structure et de leit- motiv au développement enchevêtré de ce long fil d'Ariane, et  de support à  l'histoire de ce David face à  Goliath.



 On a tort de mépriser le pouvoir des faibles quand ils affrontent les forts.

Voyez le Chêne et le Roseau. David et Goliath. Thésée et le Minotaure. David et Claessens.



Ou Collins,  le coureur de fond , et le directeur de sa prison, dans le film de Richardson.



J'ai adoré ce livre subtil, magnifiquement écrit , qui fait "entendre" la musique classique  y compris à  des néophytes  dans mon genre, et qui tisse avec art et complexité une intrigue digne d'un roman policier, avec alertes, suspense et fausses pistes, pour un récit qui descend dans les profondeurs de l'âme humaine et des conflits qui la déchirent.



Un récit qui dit le pouvoir du refus.



Et résonne étrangement pour moi aujourd'hui , comme une parabole.





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Opus 77

Pour cette partition, je vais imiter mes camarades de l’école des fans et inscrire un 10 sur ma petite ardoise.

Il y a bien longtemps, un petit crétin s’était fait exclure de son cours de musique en cinquième pendant un bon trimestre pour avoir recyclé sa flûte en sarbacane. A l’époque, il aurait boycotté cet Opus 77 avec dédain, saupoudré d’un panache ridicule :

- J’ai pas vu les 76 premiers épisodes. Je ne vais pas lire un livre qui parle de cette musique de vieux.

35 ans plus tard, le petit crétin est devenu grand, et si le pipeau reste le seul instrument qu’il maîtrise dans certaines circonstances, il a quand même un peu évolué. Il est désormais capable de prendre Mozart en stop sur un trajet d’autoroute et d’assister à un opéra de quatre heures sans anesthésie générale.

Je glisse cet intermezzo personnel avant même le premier morceau pour excuser l’oubli de mon cahier de solfège.

Si nous parlions un peu de cette petite merveille de roman.

Claessens, chef d’orchestre à l’aura gloutonne, vient de mourir. Sa fille, Ariane, pianiste célèbre en charge de l’hommage funèbre et narratrice de cette histoire, va dénouer le fil de la fanfare familiale.

A la baguette, il y a ce pater familias, tellement narcissique qu’il n’a plus de prénom. Il est Claessens, le Claessens.

Eclipsée par l’ombre démesurée du géant, son épouse, cantatrice catatonique dont la lumière s’est peu à peu tamisée, ne répond plus à l’appel et ne sait plus vraiment comment elle s’appelle.

De ce cocktail déséquilibré naquirent Ariane, beauté polaire au cœur protégé par un triple vitrage et son frère David, violoniste surdoué, rebelle au modèle paternel. Il vit retiré dans un bunker.

Entre eux, la musique remplace la parole. Les sentiments ne se communiquent que par l’interprétation et les émotions par les silences qui accompagnent les interludes.

Si le génie de certains est de mettre les émotions en musique, le talent d’Alexis Ragougneau est de réussir l’alchimie inverse, les portées s’évadant ici des partitions pour se muer en phrases mélodieuses qui structurent le roman en respectant les mouvements de l’Opus.

J’ai été particulièrement séduit par la capacité du roman à nous décrire l’isolement des personnages qui sont prisonniers de leur art, condamnés à l’enfermement pour tenter d’atteindre la grâce artistique.

La force du récit est également de ne pas rester introspectif. Les scènes très réussies qui décrivent les sensations des interprètes pendant qu’ils jouent permettent au lecteur de quitter son strapontin de spectateur et lui donne l’illusion de monter sur scène.

En coulisses, l’auteur interroge aussi une éducation qui impose l’excellence à outrance au prix de l’affection. Les mobiles affichés sont toujours la réussite et le bonheur futurs des enfants mais n’est-ce pas aussi un moyen de gonfler l’orgueil de certains parents et de venger des échecs ou des ambitions abandonnées ? Ici, Claessens retrouvera une figure paternelle quand il tombera de son piédestal, aux premières notes de son requiem.

Comme beaucoup de lecteurs, j’ai accompagné la lecture de ce roman par l’écoute de ce concerto qui dure une trentaine de minutes. Il est l’œuvre de Chostakovitch, compositeur russe de la période soviétique. Il fut accusé par le pouvoir communiste de faire « une musique totalement étrangère au goût du peuple » et le parti en fit même « un ennemi du peuple ». Pour ma part, j’ai apprécié ce morceau en passant devant un rond-point .

Vous ne sifflerez peut-être pas les notes de ce concerto sous la douche mais je vous conseille la lecture de ce roman entêtant.

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Niels

La lecture de l'Acte V de « Niels » dégage une atmosphère différente de celle découlant de l'Acte IV et ce n'est pas le moindre rebondissement de ce passionnant roman, oh combien instructif, sur l'occupation, la résistance et la collaboration d'un certain monde littéraire.



Difficile de ne pas mettre en parallèle « les fidélités successives » de Nicolas d'Estienne d'Orves dont j'avais estimé « les fins de ses livres ... aussi improbables qu'invraisemblables. » et « Niels ». L'un nous emmène chez les auteurs de Théâtre, l'autre chez les écrivains, deux mondes proches, voir identiques comme l'illustre parfaitement Alexis Ragougneau qui publie ici des pages superbes alternant scènes de théâtre et pages romanesques.



Peu banal d'observer Jean-François Canonnier mettre en scène avant guerre « les iles Kerguelen », « Krankenstein » et « Kaiser » des pièces qu'Alexis Ragougneau publia en 2009, 2010, 2011 … Uchronie qui fait naitre une apparente complicité entre l'écrivain et son personnage, mais que l'antisémitisme dénoue au fil de l'intrigue.



Analyser l'évolution des protagonistes (peut on les comprendre ?) au fil des années 1936/1956, nous interpelle nous qui n'avons pas vécu ses années mais qui observons depuis l'an 2000 une vague antisémite monter en occident.



Qu'aurions nous fait en 1940, en 1942, et en 1944 ?

Et ensuite, à la Libération, quelle place réserver aux anciens collaborateurs ?



René Bouquet, fut administrateur de la Dépêche du Midi de 1959 à 1971, et joua le rôle que l'on sait auprès de Francois Mitterrand …



Dans l'acte V, comment ne pas reconnaitre La Reynière, le critique gastronomique du quotidien le Monde durant 40 ans ?



La dernière page m'a projeté le fantôme de Lucien Rebatet, l'auteur de « Les décombres » » diffusant le manuscrit de son célèbre « Les deux étendards »…



Il faut lire « Niels » et le faire lire aux adolescents si nous voulons éviter à notre époque une réincarnation de Jean-François Canonnier.



PS : "les fidélités successives" : ma critique
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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Palimpseste

Dans la veine dystopique, Palimpseste n'a a priori rien de révolutionnaire, on retrouve la plupart des figures imposées du genre, à savoir une vision exaspérée de l'actualité envisagée avec une dose de surréalisme.



On n'évolue donc pas dans un cadre baroque de science-fiction, mais sous un régime politique perverti au nom fortement évocatoire : le national consumérisme, vraisemblablement un avatar de l'ultra-capitalisme dans lequel le fonctionnement social est atrophié par le consumérisme. Allié à une dérive sécuritaire construite sur l'usage dévoyé de la rhétorique de l'ennemi, le régime a installé un chaos existentiel chez les individus, un effondrement de la pensée critique puisque même les mots ont été supplantés par les images et le numérique. Dans cette ère que l'on pourrait qualifier de post-lettrée, les livres sont devenus des reliques d'un monde ancien, de bien faible poids face à la réécriture du passé, le contrôle du présent et la surveillance de l'avenir.

On retrouve donc dans Palimpseste des personnages tout à la fois dysfonctionnels, apathiques, enragés, ne trouvant d'échappatoire que dans des modèles extrêmes. C'est sombre, très sombre, mortifère même, mais cela n'empêche pas l'auteur d'exhumer à quelque occasion de l'humour, noir bien sûr.

Malgré tout, des volutes de lumière parviennent à éclairer la lecture parce que sous le vernis dystopique, un thème qui ne s'impose pas de manière impérieuse rend le livre captivant : la relation affective entre un jeune homme et son père. D'abord camouflée par l'indifférence fonctionnelle du fils, elle se manifeste subrepticement au fur et à mesure que celui-ci enquête sur ce père absent. le texte est implacable, il a quelque chose de désincarné, mais c'est par la voie intimiste qu'il atteint une belle dimension à travers une relation confisquée, empêchée par les dérives du régime. Avec le redéploiement de l'histoire familiale on discerne une forme de prise de conscience, certes lente à éclore.



Difficile d'échapper à l'envie d'établir une filiation entre Palimpseste et des oeuvres telles que 1984 ou La ballade de Lila K. Mais la légère mise en abyme dans la technique d'écriture donne un rythme particulier au récit. Si j'ai éprouvé quelques réticences face à la narration compacte sans respiration, elles se sont progressivement dissipées lorsque cette histoire s'est révélée plus profonde qu'il y paraît.
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La Madone de Notre-Dame

Je n'ai pas eu l'impression de lire un vrai policier avec ce roman que j'ai trouvé à la fois puissant et tragique. L'auteur ne s'intéresse pas vraiment à respecter les codes du genre "polar" et ce n'est pas sur l'enquête qu'est mis l'accent (même si on a notre coupable à la fin bien sûr). En réalité, Alexis Ragougneau nous brosse une série de personnages incroyables. Il les approfondit et les développe d'une plume magistrale et acérée et ce sont ses personnages qui "font" le roman plus que l'intrigue elle-même. C'est dense, foisonnant, coloré... un beau moment de littérature.

Résumé :

Au lendemain de la procession organisée par Notre-Dame pour honorer la Vierge Marie, une jeune fille très belle y est retrouvée morte... Installée telle une dévote sur un banc, elle s’est effondrée sur le sol lorsqu’une plantureuse touriste américaine s’est assise à ses côtés.

La procureur, Claire Kauffmann, Landard, le commandant, et Gombrowicz, le tout jeune lieutenant, s’interrogent. Qui est cette femme à la robe blanche ? Qu’est-ce qui a orienté ses pas vers Notre-Dame ? Tout le monde est, a priori, interrogé et tous sont unanimes : elle était dans les parages le jour de la procession, et sa présence a fait sacrément scandale. Le mystère s’épaissit de jour en jour, d’autant que l’autopsie révèle un élément des plus violents : le vagin de la victime a été scellé avec la cire d’un cierge. Le père Kern, qui effectue chaque été un remplacement à Notre-Dame, est assailli de tous les côtés. Lorsque les soupçons s’orientent trop naturellement vers un très jeune homme « fou » de la Vierge et aux allures d’ange blond, il comprend qu’il doit mener sa propre enquête, en marge de l’investigation officielle.

Des figures qui incarnent profondément les symboles que manie l’auteur en virtuose, une écriture nerveuse, un style envolé : tel apparaît La Madone de Notre-Dame, premier roman d’Alexis Ragougneau.
Lien : https://www.babelio.com/list..
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Opus 77

Dès mon enfance, mes parents m’ont immergé dans la musique classique et depuis. chaque année, le concours international reine Élisabeth est un événement incontournable.

Rien d’étonnant dès lors que ce livre m’ait tenté !



J’ai accompagné sa lecture par les morceaux cités, l’opus 77 de Chostakovitch avant tout mais aussi Funérailles de Liszt, la Norma, la sonate n* 16 de Mozart et tant d’autres.



Opus 77 nous décrit une famille de musiciens, le père, Claessens, renommé chef de l’Orchestre de La Suisse Romande, la mère Yaël, cantatrice, la fille, Ariane, pianiste de réputation mondiale et narratrice du récit et enfin le fils, David, violoniste prodige.



La musique est présente partout mais le principal intérêt du roman réside en la description des relations entre ces divers personnages, la relation de couple des parents, la relation entre le frère et sa sœur, et enfin la relation compliquée entre le père et le fils.

Un autre personnage est important et nous est présente avec sympathie, un vieillard d’origine arménienne, Krikorian, qui servira de mentor au fils.

Il me faut citer aussi la relation du musicien avec son instrument, et la comparaison que fait la narratrice entre le violon et le piano.



Et bien entendu, le silence ! L’importance de celui-ci dans la musique, dans une minute de silence et celui dans lequel se terre David.



Le récit débute par les obsèques de Claessens où Ariane, au piano, décide inopinément d’interpréter une version pour piano de l’opus 77.

Ce faisant, elle se remémore et nous relate tous les moments qui ont jalonné l’histoire de sa famille, elle nous dévoilera petit à petit, en laissant planer en nous les interrogations, ce qui s’est passé lors de la finale du Concours Reine Elisabeth.



C’est un livre que j’ai aimé, il est bien construit, chaque chapitre s’aligne sur les mouvements du concerto pour violon, sa lecture est aisée, la psychologie des divers personnages est bien présentée.







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Opus 77

Je voudrais vous parler d'une famille presque ordinaire : il y a le père, la mère, la sœur, le frère. Je vous présente la famille Claessens. C'est une famille à peu près ordinaire, sauf que la musique les unit, quelque chose de très fort. C'est une famille presque ordinaire, avec ses tracas quotidiens, ses joies, ses tourments, mais voilà ! la musique est entrée un jour dans cette famille, par le père que tout le monde, même les enfants appellent Claessens, maestro respecté, adulé, craint, pianiste célèbre, devenu sur les dernières années chef d'orchestre. La mère Yaël, vingt ans de moins que le père, était une jeune cantatrice israélienne prometteuse lorsque Claessens jeta son dévolu sur elle à la faveur d'une audition pour un opéra en Israël.

La sœur Ariane devient rapidement une jeune pianiste de renommée internationale.

Le frère David, dédié au violon n'était pas que virtuose. Il avait un don inouï. Tout était fait pour qu'il connaisse non pas la réussite ni le succès, non pas la gloire ni la célébrité, mais l'effleurement du ciel, la légèreté d'un oiseau dans le poids du monde, la grâce des gestes, l'apesanteur et les séismes que seule la musique peut apporter. Par rébellion sans doute, il refusa le piano et saisit un jour un violon et son archet.

Tout était fait pour lui offrir un destin exceptionnel, jusqu'au jour où...

Opus 77, écrit par Alexis Ragougneau, est un roman extraordinaire où l'on peut ouvrir plusieurs portes, presque de manière simultanée. Celle de la musique tout d'abord qui occupe une place centrale dans le récit. Celle de la famille ensuite, pas n'importe laquelle, celle où les enfants ont leur chemin dicté, tout tracé, vers une vocation dont le sens peut-être leur échappe encore... C'est une forme de tyrannie qui est ici dénoncée, celle d'un maestro, d'un père aussi, surtout d'un père, au service de la dictature de l'art, une déformation totale de la vocation originelle de ce que devrait justement être l'art.

Celle des effondrements, enfin...

Ici, la musique, vertu portée de manière ancestrale et mythique par les muses, devient presque un venin, un monstre, un chien noir qui aboie dans la nuit.

Le roman est une longue confidence, celle écrite comme une lettre par la narratrice, Ariane à son frère David qu'elle a perdu de vue depuis cet événement dont on connaîtra la nature vers la fin du livre, David enfermé depuis lors dans un bunker où le violon demeure désormais suspendu, prenant de la poussière...

Le roman débute sur l'enterrement de Claessens, décédé d'un cancer. Nous découvrons déjà ici toute l'hypocrisie du monde artistique, pleurant, réuni dans la basilique Notre-Dame de Genève, où est célébrée la cérémonie. Contre toute attente, Ariane joue à l'issue de la cérémonie l'Opus 77, concerto pour violon composé par Chostakovitch.

C'est une histoire de virtuoses, entre lumière et obscurité. Étrangement, sur un roman dédié à la musique, le silence ici est imposant. Ce silence est là dans le retrait du fils, presque à jamais dans son bunker, dans la poussière qui se pose et se dépose sur son vieux violon arménien, dans l'impossibilité aussi d'un père de communiquer, d'une famille, dans le silence d'une mère qui s'éteint comme une fleur dans une sorte de réclusion elle aussi presque volontaire, parce qu'elle n'a pas trouvé sa place.

Les secrets de famille sont des sonates assourdissantes et cacophoniques.

La musique est-elle vouée à cela, tandis que l'agent d'Ariane vend la beauté de celle-ci, sa séduction avant son talent, avant la musique ? On finirait par donner raison à David... On finirait par donner raison aux bunkers... À l'enfermement...

L'originalité du récit est sa musicalité : rythmée par les cinq mouvements du concerto qui figurent les chapitres (nocturne, scherzo, passacaille, cadence, burlesque).

Il y a une émotion qui traverse de manière crescendo, allegro, ces différents chapitres, comme des marches, comme une dramaturgie, comme une symphonie déconcertante.

Ce roman se lit presque comme un thriller psychologique, avec la tension qui ressemble à celle de la corde d'un violon. Nous sommes emportés sur une partition enivrante, celle de l'Opus 77.

J'ai aimé la sensualité des mains posées sur un clavier ou serrant l'archet d'un violon, j'ai été ému par les pas d'un vieux pianiste célèbre, perdu dans le brouillard de son âge, croyant encore être un virtuose, l'étant sans doute encore un peu...

J'ai aimé la musique d'Alexis Ragougneau, sa voix, ses mots, ses effleurements, la manière de dire ce qui atrocement manqua ou fut de trop aux membres errants de cette famille...

J'ai aimé ce beau personnage de Krikorian, d'origine arménienne, traversant les nuits barbares et soviétiques, revenant vers la lumière, portée peut-être par celle-ci, fragile désormais depuis les geôles et les coups, faiseur de rêves et de musiques... Aimant la vie plus que tout, rencontrant David et lui offrant peut-être autre chose que l'apprentissage de la musique, autre chose que le génie – d'ailleurs le génie ne s'offre pas -, quelque chose de plus fort encore...

Je me suis demandé s'il fallait connaître la musique pour apprécier la beauté de ce roman. Je pense qu'aimer la musique classique est déjà un magnifique bagage pour visiter ce roman.

Le silence après Alexis Ragougneau, c'est encore Alexis Ragougneau...

Roman lu dans le cadre du prix Cezam 2020.
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Opus 77

La lecture de ce roman m'a donné l'impression de plonger en apnée...

Plongée en apnée dans les arcanes du monde de la musique classique.

Plongée en apnée dans un drame familial aux accents de tragédie classique.

La narratrice, Ariane Claessens, grande pianiste à la renommée internationale, nous invite à la suivre dans les "dédales" de cette histoire qui a la noirceur d'un récit mythologique. Elle occupe le devant de la scène, tel un coryphée,et nous entraîne dans un sombre univers. Sa voix est forte et son regard acéré lorsqu'elle descend en flammes toutes nos idées reçues sur le monde aseptisé des grands solistes ou chefs d'orchestre internationaux. La fosse d'orchestre ? "Une arène" comme le lui souffle à l'oreille, son père, depuis qu'il est devenu directeur musical de l'OSR à Genève. L'orchestre ? "Une meute" dont il a fait la conquête à la manière d'un chef de guerre.

Dans ce monde de requins qui est aussi celui de l'entre-soi, Ariane Claessens s'est forgé une personnalité d'airain, frôlant l'alexithymie, derrière laquelle elle dissimule une fragilité névrotique qui la paralyse littéralement avant d'entrer en scène. J'ai été impressionnée par la façon dont l'auteur dissèque au scalpel les mécanismes de la peur. Ces passages sont oppressants et l'on partage vraiment ces moments de crise intense, de peur du vide, juste avant la chute ou la remontée providentielle à la surface.

J'ai beaucoup aimé aussi la façon dont il s'empare du mythe littéraire du "chien noir" pour incarner l'angoisse de son héroïne lors des moments qui précèdent chaque concert. C'est un petit chef d'humour noir !

Coup de chapeau également à la construction du roman qui permet de distiller à petites doses, le poison de ce drame familial, où le fameux Opus 77 de Chostakovich va faire figure de main du destin. C'est en effet, David, violoniste de génie et frère d'Ariane, qui doit l'interpréter sous la direction de son père, Claessens. Une scène superbe, fragamentée, à laquelle s'entremêlent des souvenirs d'enfance d'Ariane et de son frère, ainsi que des passages relatant le douloureux cheminement de Claessens vers la mort.

On ne peut imaginer famille plus dysfonctionnelle que celle des Claessens, une fois tombé le masque trompeur des apparences : le père narcissique et destructeur, la mère Yaël, une soprano qui va sombrer dans la dépression et la folie et le fils David qui va choisir le violon plutôt que les mots pour s'exprimer. Ce qui pourrait paraître caricatural ne l'est pas, car tout est évoqué par petites touches appuyées certes, mais rien n'est jamais certain, il subsiste des blancs, des doutes dans ce récit du délitement familial. Ce qui me reste en mémoire, ce sont des scènes très fortes où éclatent la souffrance, la peur - celle des adultes, celle des deux enfants - mais aussi la complicité fusionnelle et quasi incestueuse qui unit Ariane et son frère.

Ce roman aux allures de thriller psychologique m'a donc beaucoup impressionnée et je me suis laissé happer très souvent par le suspense qui s'instaure, alors que l'on connaît dès le début l'issue tragique de l'histoire.

Un bémol pourtant... L'écriture paroxystique de l'auteur l'entraîne parfois vers des effets de style qui m'ont paru superfétatoires. Le recours constant par exemple à "Vous m'avez compris maintenant, n'est-ce pas ?" m'a vraiment agacée. De même certaines scènes m'ont paru trop convenues, comme celle où David enfant choisit le violon d'un musicien au lieu de rejoindre son père au piano !

"fausses notes" que je regrette... En consolation, l'écoute de ce fameux Opus 77, magnifiquement décrit dans le roman !
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Opus 77

J'aime lire et j'aime la musique. ♬ 𝄢 ♮ 𝄫 𝄞 𝄡 𝄐 ♫

A priori, ce roman avait donc tout pour me plaire, et il a parfaitement tenu ses promesses.

Alexis Ragougneau nous invite à découvrir les coulisses de la musique classique, et il imagine une réalité beaucoup moins simple, sage et policée que ce que les apparences font croire. Je pense que lors des futurs concerts auxquels j'assisterai, je ne regarderai plus les musiciens du même oeil !



Après avoir un peu retourné dans tous les sens ce que je voulais écrire, je me suis dit que rien ne vaudrait la musique pour exprimer ce que je pense de cette lecture.

Alors, place aux termes italiens, à ces charmantes indications que l'on trouve sur les partitions, et dont la plupart se passent de traduction pour un francophone.

Sostenuto : comme la grande tension qui soutient toute l'intrigue.

Tempo : très juste, du début à la fin.

Espressivo : un texte qui vous touche, forcément.

Doloroso, dolce, drammatico, furioso, tristamente : tout cela tour à tour ou en même temps.

Animato, appassionato : une histoire qui ne peut pas laisser indifférent.

Con grazia, con delicatezza, con forza, con amore, con spirito, con espressione.

Con dolore.

Tranquillo : on ne l'est jamais.

Accelerando et rallentando : l'auteur maîtrise parfaitement les changements de rythme.

Crescendo et decrescendo.

Pianissimo et fortissimo.



Alexis Ragougneau nous raconte la vie d'une famille littéralement dévorée par la musique.

Tous ne vivent que par et pour la musique, qui occupe tout l'espace et le temps, qui occupe leurs pensées en permanence, qui régit leur vie.

L'histoire est prenante, les personnages principaux (les deux parents et les deux enfants) sont très bien construits.

L'histoire est surprenante également : l'auteur change parfois brusquement de direction et nous emmène là où on ne s'y attendait pas.



Faut-il aimer et connaître au moins un peu la musique classique pour apprécier ce livre ?

Je pense que non, mais je ne serais pas très affirmative. Pour moi, le fait d'adorer la musique, d'aller régulièrement à des concerts, a certainement décuplé le plaisir de la lecture. Le fait que mes quatre enfants aient tous été au conservatoire également. Certaines scènes, certains passages, sont entrés en résonance avec du vécu et cela les a rendus plus intenses.



L'opus 77, c'est le premier concerto pour violon de Chostakovitch. Il habite le roman comme un fil rouge.

En quelques pages, l'auteur nous le décrit, mouvement par mouvement. Un extraordinaire récit, comme une histoire, qui met en avant le caractère de chaque passage et ce que vit le soliste lors de son interprétation. J'ai relu plusieurs fois ces pages en écoutant le concerto : un régal !



Alexis Ragougneau m'a entraînée dans un tourbillon de notes et de mots et je ressors de cet Opus 77 ravie, comme je le suis à la sortie d'un bon concert.



Molto : j'ai aimé ce livre, molto, molto, molto !



PS : pour ceux que ça intéresse, une excellente version de l'opus 77 par la merveilleuse Hilary Hahn.

https://www.youtube.com/watch?v=8HZVQyD9rsY



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Opus 77

Claessens, chef d’orchestre de la Suisse Romande, vient de décéder. Sa fille, Ariane, assiste à son enterrement dans la basilique, en compagnie des musiciens qui l’ont accompagné lors de son dernier concert. Elle est assise derrière le clavier de son piano et va jouer le concerto pour violon N°1 de Chostakovitch, opus 77. C’est l’occasion pour elle de se rappeler sa mère Yaël et son frère David et de nous raconter comment tout a commencé.

Le roman d’Alexis Ragougneau est une plongée merveilleuse dans le monde des égos hors norme de ces interprètes de la « grande musique ». Il décrit avec beaucoup de justesse les relations passionnées entre les différents membres de cette famille de concertistes. La mère Yaël est vite effacée par le talent prodigieux de ses deux enfants, Ariane et David. Le climat est lourd. Au fil des pages, on sent l’orage poindre sans qu’il n’éclate jamais. Rythmé par cet extraordinaire concerto de Chostakovitch, l’auteur emporte le lecteur dans un tourbillon de croches et de doubles croches. L’objectif inavoué est clairement dit à la fin du roman par Ariane à son frère David : « Nous serons à nous deux, la voix de Dieu sur terre. »

Une très belle histoire où la violence des sentiments sert de leitmotiv pour atteindre le divin.

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Opus 77

« A quoi tient la trajectoire d’une vie ? A son père. A sa mère. A son frère ou à sa sœur. A ses échecs, à ses succès. A la musique qu’on entend et aux livres qu’on lit. »



L’arme d’Alexis Ragougneau, c’est le talent. Ses mots sont des projectiles dont la trajectoire à tout coup touche le cœur.

Comme dans « Le jeu de la dame », il n’était pas capital de savoir jouer aux échecs, dans « Opus 77 », il n’est pas nécessaire de savoir jouer du violon ou de maitriser les 88 touches d’un piano pour estimer la virtuosité d’un musicien, imaginer son devenir, partager ses succès ou digérer ses échecs, j’ai vu la pulpe de ses doigts se déliter sur les cordes, j’ai ressenti les crampes dans ses mains à frapper sans fin l’alignement serré des blanches et des noires sur le clavier. Puis, « viennent les applaudissements. D’abord des gouttelettes sur un toit de tôle, puis la pluie s’intensifie, se fait averse d’été. Ma peau, ma robe, mes sous-vêtements, je suis trempée. » Par capillarité des phrases, moi aussi.



La famille Claessens :

C’est le père, brillant chef d’orchestre et tyran exigeant, son maître-mot : « recommence ».

C’est la mère, jeune cantatrice scellée à jamais dans un mutisme dramatique, le sifflet coupé par l’ogre époux, fier comme un poux. Cœur de caillou.

C’est la fille, Ariane, belle rousse extravertie, soliste de renommée mondiale. Petite, elle s’est souvent cachée sous le piano mais c’est en pleine lumière qu’elle excelle. Elle est la fée et la force. Faculté XXL.

C’est aussi et surtout le fils, David, aussi introverti qu’un bernard-l’hermite, « rapiat de ses émotions », il vit dans son abri antiatomique après avoir fait exploser la bombe du choc générationnel, l’obus du refus et de la négation à neutrons. La famille a volé en éclats de son urgence vitale à s’exprimer par le violon.



Ils sont maintenant chacun dans leur case. Le seul lien c’est la musique, l’amour absolu et exclusif de la musique.



Étonné de m’être fait entrainer avec une facilité si déconcertante dans les méandres de l’Opus 77 de Chostakovitch et dans la vie de ce musicien et de ses rapports avec Staline, que j’en redemande. J’apprends l’importance de la sonorité d’un violon, j’assimile le « don de soi » d’un maitre à son élève : Krikorian, le violoniste virtuose dissident, étouffé par le régime soviétique s’est exténué pour que David puisse devenir le lauréat du premier prix du concours de la Reine Élisabeth, le plus prestigieux prix du monde. Qu’en sera-t-il ?



« Toute une vie de rivalité et d’incompréhension étalé là sur scène devant les deux mille spectateur du Palais des Beaux-Arts. »



Magnifique ! 5/5 n’est pas une fausse note.

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