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Critique de Jolap


Un auteur laisse toujours un peu de lui dans les romans qu'il écrit. Un peu de lui, de ses convictions, de ses sentiments, de ses amis, de ses galères, de ses conquêtes, de son amertume. Discrètement, son expérience, cette grande enveloppe où sont soigneusement rangées ses rencontres, ses humeurs, ses raisons de s'enthousiasmer, de se désespérer, de s'émouvoir, cette grande enveloppe qui contient tout ce qu'il est devenu, tout ce qu'il aurait aimé être, est posée tout près de sa table de travail. le roman avance, un pied dans la fiction, un pied dans la réalité avec comme principal objectif, celui de séduire le plus grand nombre, grâce à des tournures adaptées, des surprises, du suspens ou des exclamations………

Ce roman va plaire à certains, va vivre sa vie de roman. Dès sa publication il n'appartient plus vraiment à son auteur mais à un public de lecteurs auxquels il a été « offert ».

Les lettres c'est tout autre chose. Nous sommes invités dans l'intimité de l'auteur. Bien que Flaubert dénonçait « un genre réservé aux femmes », à l'instar des lettres adressées par la Marquise de Sévigné à sa fille, (textes sublimes certes, mais où la complexité du rapport mère-fille a été dénoncée bien avant nos spécialistes modernes) beaucoup d'hommes ont laissé une correspondance fournie à la postérité. Toutes ne parlent pas d'amour loin s'en faut. Voltaire, Descartes, Rousseau développent leur philosophie sous une forme épistolaire à une époque où les dites lettres étaient lues dans les salons. Balzac, plus pragmatique, débat de ses démêlés avec ses créanciers. Proust écrit des lettres qui font office de dossier de presse. (Un grand nombre a été dispersé très récemment aux enchères publiques). Plus proche de nous, une correspondance fournie de Roger Nimier donne une série de conseils littéraires plus ou moins fondés à sa maîtresse de l'époque, Madeleine Chapsal. Pas de quoi rêver, non…

La correspondance entre Albert Camus et Maria Casarès dure de 1944 à 1959 et elle fait rêver. Maria Casarès qui a gardé ces lettres précieusement, demande à Catherine la fille d'Albert Camus l'autorisation de les vendre. Elle a besoin d'argent. Catherine réunit la somme nécessaire achète et garde cette correspondance qu'elle fait publier. Une idée merveilleuse je trouve. Merci à elle.

Depuis la correspondance entre George Sand et Musset nous n'avions pas eu d'exemple de passion aussi exclusive, aussi flamboyante, aussi foudroyante. Albert Camus et Maria Casarès sont pris par leurs métiers respectifs. Ils se déplacent souvent, l'un obéissant à la promotion de ses livres, l'autre à celle de ses représentations. Ils se retrouvent mais sont très souvent séparés. Ils s'écrivent. 865 lettres entre celui que Maria appelle son seigneur, et celle qu'Albert surnomme sa lumière. le lecteur est sans cesse partagé entre la distance créée par l'éloignement et l'intimité, la proximité de cette relation charnelle, intellectuelle. le tout fonctionne de la manière la plus élégante, la plus cohérente, la plus humaine et la plus talentueuse qui soit.

Cet ouvrage contient 1300 pages. C'est long mais jamais lassant. Nous pouvons interrompre quand bon nous semble, lire une lettre ou plus au gré de nos envies, de nos disponibilités.
Albert Camus est ce que l'on a coutume d'appeler un homme au caractère entier. Un homme de convictions. Ces lettres privées sont cohérentes avec son oeuvre, avec sa vie.Maria l'a très vite compris et le lui écrit : « Enfin quoi que tu fasses, je sais que c'est bien, car j'ai le sentiment profond depuis que je te connais que tu ne diras jamais quelque chose en désaccord avec ce que tu es. Or ce que tu es est ce que j'aurais rêvé d'être si j'étais né homme. Après cela comment veux-tu que je ne t'aime pas ? Et après l'avoir compris, après en avoir eu la révélation profonde, comment veux-tu que cela ne dure pas jusqu'à la fin ? »
Elle écrit bien Maria. Lisez ceci : « Ce matin par exemple, il pleut d'une pluie fine et têtue qui nous annonce une de ces journées où le coeur pleure malgré tous les espoirs et les joies qui puissent lui être promises. Au début j'avoue qu'on y trouve de quoi se décourager et se révolter, mais peu à peu on y prend plaisir et à la fin, on en devient presqu'amoureux. Essaye tu vas voir…… ».


L'écriture de Camus s'est débarrassée de toutes les contraintes de la narration. Un élan à cha que fois. Elle est spontanée tout en conservant son style. Souvent il écrit sa peur d'être abandonné. le spectre de la maladie le taraude.

Le quotidien gagne en légèreté que ce soit dans un théâtre parisien, près des champs de lavande où pendant les séjours de Camus en Amérique du Sud. Nous voyageons au pays des belles lettres. Et plus encore….. L'absence les conduit tous les deux à explorer le plus profond de leurs sentiments. Leurs fragilités, leurs doutes, leurs attentes les plus précises, leurs objectifs les plus humains. Les voyages terrestres sont complétés par des voyages intérieurs tellement vastes et exaltants, tellement universels.

Oui bien sûr j'ai aimé lire ces lettres. Comme chaque fois qu'une lecture me coupe du monde ordinaire je mets cinq étoiles à ces deux étoiles qui ont imprimé définitivement leur tendresse, leur respect l'un pour l'autre, leur besoin d'être aimés, de le dire et de se le dire, dans ces échanges sublimes. Et pour tous ceux qui doutent d'un bonheur infini fait de petites choses et de grands sentiments, ils pourront lire ce livre.

La nuit venue ils lèveront les yeux vers le ciel. Deux étoiles brilleront encore, juste pour eux. Juste pour leur dire: oui, nous pensions vraiment tout ce que nous avons dit. C'était tellement bien.

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