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Critique de lafilledepassage


Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants …. et tout s'arrête ? Non, non et non, c'est justement à partir de ce moment-là que tout commence et que ça devient intéressant. Dans ce bouquin, Mona Chollet mène une enquête très complète sur le couple hétérosexuel, sur la place de la femme dans le couple, dans la société, dans l'art.

Comme pour tout travail journalistique de qualité, la thèse est très bien argumentée et très bien documentée. de très nombreuses références sont citées, qui sont autant d'invitation à approfondir ce sujet épineux et ô combien central dans nos vies…

Mona Chollet passe en revue le traitement de l'actualité, depuis la presse people jusqu'aux événements tragiques (le féminicide de Marie Trintignant), le monde de l'art, avec par exemple une analyse des peintures, oeuvres d'hommes, pour des spectateurs masculins, qui souvent montrent la femme comme un objet, soucieuse de son apparence et en position d'attente ou de séduction. La littérature n'échappe pas à son analyse: Belle du Seigneur, les châteaux d'Eros, Histoire d'Ô, …

Elle revient aussi sur les normes sociales qui « incitent fortement » les femmes à travailler leur apparence de jour, femme qui est souvent aimée comme une icône, une figure idéalisée et désincarnée, sans aucun droit à être un estomac, des intestins, poilue, transpirante, saoule, … Et surtout cet impératif à rester en retrait par rapport aux hommes, souvent moins diplômés, car socialement la femme doit se montrer plus faible qu'eux. Ces normes sociales qui nous disent :

♫Il vous faut
Être comme le ruisseau
Comme l'eau claire de l'étang
Qui reflète et qui attend
S'il vous plaît
Regardez-moi je suis vraie
Je vous prie, ne m'inventez pas
Vous l'avez tant fait déjà

Vous m'avez aimée servante
M'avez voulue ignorante
Forte vous me combattiez
Faible vous me méprisiez
Vous m'avez aimée putain
Et couverte de satin
Vous m'avez faite statue
Et toujours je me suis tue ♫
(Anne Sylvestre – Une sorcière comme les autres)

Et bien sûr, elle aborde l'épineux sujet de l'amour, où l'on attend de la femme qu'elle soit passive, soumise, dans l'attente (♫J'attendrai le jour et la nuit, j'attendrai toujours ton retour …♫) , et espérant un amour « romantique », un amour « éternel » qui la comblera de bonheur, puisque c'est de l'homme et de son rôle de mère que viendra son plus grand bonheur. D'ailleurs pour certaines féministes américaines, le masculin et le féminin sont créés à partir de l'érotisation de la domination et de la soumission, et ce type de relation, envisagée comme une relation d'autorité, une relation hiérarchique, devient la clé pour une vie amoureuse heureuse.

L'absence de machisme, entre mecs, est souvent interprétée comme un signe d'homosexualité. Mais le pire probablement, c'est que chacun intègre inconsciemment son rôle, femme ou homme, ce rôle que la société attend d'elle ou de lui…

Alors, certes oui les choses bougent, depuis quelques décennies quand même. Par exemple, mes parents ont eu deux filles (mon père d'ailleurs s'avouait soulagé de ne pas devoir partager le pouvoir et l'autorité avec un fils !) et, conscients de la « vulnérabilité » du sexe faible, ils nous ont poussées à entreprendre de « belles études », ce qui nous autoriserait à claquer la porte en cas de maltraitance physique (la hantise de ma maman). Mais cela s'est limité aux études. Rien n'a été fait sur le plan émotionnel ou relationnel. Ils ne nous ont pas appris à être indépendantes, à nous sentir fortes et responsables, à ne compter que sur nous, à ne rien attendre de nos futurs maris, à vivre pour nous. Pire, je me souviens avoir été éduquée à me taire et à ne pas répondre aux questions (des amis de mes parents ou de la famille) qui m'étaient directement posées. Non, c'était mon père qui s'en chargeait …

Alors oui ce livre m'a fait énormément de bien. D'abord j'ai pris conscience de cet état des choses et de mon propre comportement, mes propres automatismes. Ensuite j'ai compris que je pouvais (devais même) sortir de ma position attentiste, que je n'étais pas obligée de me taire en public, que je pouvais (devais ?) changer d'amis, d'activités et de loisirs pour échapper à l'ascendant de mon mari (c'est plus fort que lui, il doit forcément marcher sur mes platebandes, et comme il est beaucoup plus charismatique que moi, dès qu'il arrive, je passe dans l'ombre, je tombe dans l'anonymat).

Ce bouquin nous invite aussi, nous les femmes, à renoncer à l'amour de l'amour et à aimer avec courage, avec audace en assumant le risque de l'échec. Lisette Lombé (une poétesse belge dont j'ai déjà parlé ici même) a d'ailleurs écrit un très bon conte électro sur ce sujet (je pense qu'elle présentera à Avignon cet été en festival off et j'espère qu'il sera publié bientôt). Il nous encourage à être nous-mêmes en amour, à ne pas nous dévaloriser systématiquement, à ne pas nous effacer, à pratiquer la spontanéité et le franc-parler. Cela contraindra les hommes à montrer leur vrai visage : soit ils acceptent que nous soyons leur égale soient ils s'en fuient. Et alors n'ayons pas peur de dire : bon débarras …
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