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Critique de gabb


Pour jouer au mikado, il faut être au moins deux. Ça tombe bien : nous étions trois. Une jeune gitane en fuite, un vieux campeur solitaire, et moi. Eux deux qui discutaient, moi qui buvais leurs paroles.

Comment s'appelaient-ils ? Je n'en ai aucune idée, et manifestement De Luca n'en sait pas plus que moi ("Leurs noms ne comptent pas", nous prévient-il dès la préface. "Ils n'ajoutent rien aux gens").
Existent-ils, ont-ils existé ? Aucune importance non plus ("Si cette histoire est tirée ou inspirée d'un fait divers, je préfère l'ignorer").
Non, Erri de Luca n'a que faire de tout ça, il n'a pas l'habitude de s'embarrasser de détails inutiles. Dans ses textes nul artifice, jamais, il va à l'essentiel et pèse le moindre mot. Son dernier roman ne fait pas exception : des phrases courtes, sobres, expurgées de l'accessoire, fragiles comme des fleurs de montagne. Charge alors au lecteur d'en extraire le suc, de décoder les messages quasi-subliminaux qui lui sont adressés.

Que cherche-t-il à nous dire, ce vieil horloger italien, lui qui passe ses hivers seul sous la tente dans le silence des sommets alpins ?
Qui est cette gitane qui vient de franchir clandestinement la frontière slovène, ou va-t-elle, que fuit-elle ?
Mesure-t-elle la chance qu'elle a d'être tombée sur le campement de ce vieil homme habile et débrouillard, parfaitement disposé à lui venir en aide ?

Entre eux va s'établir une profonde relation d'amitié confiance, et la majeure partie du roman n'est en fait qu'un dialogue ininterrompu entre la fuyarde et l'ermite.
Elle lit les lignes de la main, vénère les ours et les corbeaux, elle "croi[t] au destin et aux signes, au dieu des choses".
Lui voit la vie comme un jeu d'adresse, un mikado géant à la stabilité précaire, "un chaos à résoudre". Il se plaît à n'être qu'un "engrenage dans la machine du monde", sait la fragilité des équilibres et accorde toute son existence aux lois ancestrales du mikado : "attention au moindre mouvement, faire avec intention, sans automatisme."
Voilà qui ouvre à l'auteur de nombreuses pistes de réflexion et lui inspire quelques jolies métaphores que chacun pourra interpréter à sa guise.

Tout ça me convenait parfaitement, jusqu'à ce que l'auteur mette brusquement fin à la conversation entre ces deux personnages. Nous les retrouvons quelques années plus tard, à travers un bref échange épistolaire, avant un dernier chapitre tout à fait inattendu qui ne m'a hélas pas complètement convaincu... de mon point de vue ce coup de théâtre superflu rompt quelque peu le charme subtil et délicat de l'histoire.

Les règles du mikado n'en demeure pas moins un roman plaisant, et les lecteurs fidèles d'Erri de Luca y retrouveront sans mal la "patte" de l'orfèvre italien : minimalisme, poésie, engagement humaniste et art du mot juste. 
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