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Critique de Merik


Elle s'appelle Maria Alberta Nunes Amado et elle parle, elle parle beaucoup en plus d'écrire des petits agencements de mots tels des haïkus, 38 heures d'enregistrements audio face à un Olympus Note Corder DP-20 sans croire forcément qu'on écoutera ses mots. « Du vent parlé à un petit objet de rien du tout » pense-t-elle même depuis sa résidence à l'Hôtel Paradis. On sera prévenu en exergue de la « transcription infidèle » par sa fille elle-même, Lidia Jorge, dans un geste littéraire où il sera question de  ré-agencement, de respect du rythme et de la respiration, et c'est peu dire que l'autrice a donné corps et âme à sa mère tant on la sentira palpiter Dona Alberti, dans ce récit d'une année de vie et de réflexions au sein de son Ehpad portugaise partagée avec 70 résidents.
Oui ça palpite de vie malgré la fin supposée proche, entre histoires de coeur, disputes, cirque, vols ou maltraitances aussi. Et ça commence par les habitudes de Dona Alberti, dont celle d'engager des discussions avec la nuit qui « connaît les douleurs de son âme », prête à débattre avec elle sur ce qu'est l'amour, à se demander sans son Atlas sous la main de quel pays Bakou est la capitale. Une nuit en partenaire d'insomnie pour celle qui ne sait plus où mettre les pensées « qui sont beaucoup trop vastes pour le vase » de sa tête et de son coeur, débordant parfois de mensonges. Ainsi les grandes choses comme la mort pourront être symbolisées, ici par la nuit, et les petites sembleront vivantes pour qui est «engagée dans le monde des riens ». Mais il y aura d'autres personnages issus de cette «humanité avec deux espèces uniquement, les fiables et les agresseurs » : Lilimunde précédée de ses effluves de bergamote, Dona Joaninha et ses amants renouvelés avec persévérance, Mr To et ses velléités révolutionnaires, Dona Rita de Lyon et son pilote de fils soutenu par un ange gardien... Sans oublier Lidia Jorge en personne, une fille écrivaine qui fait « l'amour avec L Univers » et qui reçoit de sa mère les exhortations à une ambition plus grande dans ses livres, en s'intéressant à des personnages emblématiques.

Elle a certainement tort sur ce point, Dona Alberti. Lidia Jorge s'en sort très bien dans son histoire d'amour avec L Univers et nous livre à travers les mots de sa mère un récit à coeur ouvert sur l'humanité, sa condition, ses joies et ses tourments, éloigné des caricatures accommodantes sur la vieillesse. Il serait certes surprenant de voir caracoler ce livre au milieu des titres phares de cette rentrée (quoique...), tant le sujet suscite inquiétude, angoisse ou rejet. Il est probable qu'on flirte avec la sérénité grâce à cette lecture, qu'il faudra prendre le temps de déguster en marge de la frénésie pour profiter au mieux de son condensé de vie, sur le fil enivrant d'une littérature au service d'un enregistrement pour redonner corps et âmes. Prendre le temps oui, de lire cette chronique lumineuse sur la vieillesse, habitée par l'esprit de Sepulveda, pour goûter à la singularité de ses réflexions sur le bonheur, l'amour, la joie ou la tristesse, L Univers, la nuit, la littérature, toutes ses grandes choses de la vie... Sans oublier les petites.

« 14 novembre 2019

Danse et redanse, ma petite âme
une parmi tant et si
seule – Ton secret
dans ton petit sac. »
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