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Critique de Escapist


Lorsque l'on entame la lecture d'un chick lit, on s'attend inévitablement à immerger dans un monde haut en couleurs, ponctué d'expressions pétillantes et de situations rocambolesques. Et "Très chère Sadie » ne fait pas exception à la règle. Dès la première page où l'humour coule à flot comme le champagne, le ton est donné et c'est avec un certain plaisir ponctué d'une once de curiosité que l'on tourne à une cadence effrénée les pages de ce roman que l'on finit par dévorer.

C'est dans le Londres contemporain, celui régis par les affaires et la dure loi du marché du travail, que s'inscrit cette histoire. On immerge alors dans la vie de Lara Lington, jeune femme malmenée par les tracas du quotidien, dont la vie semble aller de mal en pis. Entre travail épuisant, amour décevant et famille aliénée, on a comme l'impression d'assister à une caricature de notre propre vie. Mais cette sensation amusante de déjà-vu et vite surpassée par la touche fantastique (et fantaisiste) de l'ouvrage : celle de l'arrivée impromptue d'un fantôme. Et quoi de plus logique que d'avoir à faire à celui de cette vieille grand-tante inconnue que l'on rencontre pour la première fois à sa propre incinération ? Entre conjonctures loufoques et répliques cinglantes, le roman s'emporte vite dans un flot de situations étonnantes et toujours désopilantes. Car lorsque le monde des années 2010 rencontre celui des années 20, on assiste à un singulier choc entre deux cultures tout à la fois très similaires et dissemblables. Car il s'avère que cette vieille grand-tante emportée à l'âge canonique de cent cinq ans fut le témoin de l'une des périodes les plus libérées de notre histoire, et actrice de ce vent de folie qui souffla sur le début du XXe siècle. Insouciante, extravagante, extravertie, excessive… sa vie est à l'image de ces adjectifs : une existence dans la démesure où la modération n'a pas sa place. Sadie, fashionista avant l'heure des années folles, est une sorte de mini-tornade qui vient achever de bouleverser la vie déjà houleuse de notre jeune héroïne. Excitée et un brin hautaine, elle entraîne alors Lara dans une chasse au trésor, en quête d'un fabuleux sautoir en perles dont la valeur lui est inestimable. Les deux générations, bon gré mal gré, sont entraînées dans une avalanche de catastrophes et bousculent toutes les conventions pour parvenir à leur but. A la lecture de certaines situations, on ne peut quand même s'empêcher de reprocher une pointe d'exagération à Sophie Kinsella. Mais ces hypertrophies sont nuancées par des remarques plus raisonnables qui soulignent la prise de conscience par l'héroïne de l'incongru des situations.

Au final, ce roman n'est pas seulement un chick lit que l'on lit par pure détente, mais une jolie vision sur les liens familiaux qui, tels le roseau, plient mais ne rompent jamais. On s'attache rapidement les personnages, on rit des péripéties successives qui s'enchaînent à un rythme endiablé, on s'attendrie sur les sentiments de certains protagonistes et l'on s'insurge face à l'arrogance et au sans-gêne d'autres. Cette histoire est surtout une bonne occasion d'effectuer un saut dans le passé pour se délecter de la richesse et la frivolité de la vie des années 20, une époque étrangement peu remise à l'honneur dans la littérature. le parallèle avec « Gatsby le Magnifique » est de fait inévitable et l'on retrouve bien le même thème abordé dans « Très chère Sadie » bien qu'avec plus de légèreté et de familiarité. Il n'empêche que notre imagination s'éblouie sur les facettes des diamants qui viennent orner les cous graciles, sur les plumes qui parent les coiffures incroyables et sur les milliers de paillettes qui s'échappent des tenues inouïes. On danse au rythme endiablé du charleston, on se trémousse sur les airs jazzy enfiévrés et l'on savoure chaque moment innocent de la vie. Tout au long du roman, c'est l'occasion pour Sadie de se remémorer sa vie passée et de témoigner de la futilité et de la vanité qui se sont abattus sur les années folles. de l'élégance et la prestance des hommes, de la coquetterie excessive et des poses extravagantes des femmes, rien n'est épargné dans ce roman et l'on soulignera les recherches poussées de l'auteur. Un travail si approfondis qu'il donne l'impression que Sophie Kinsella a connu personnellement cette époque échevelée. L'exotisme est omniprésent à ce roman et l'on en vient à voir dans le fantôme de Sadie, cette résurgence frivole du passé, l'accomplissement de nos plus secrets désirs. Carpe diem est son credo et chaque situation est l'occasion pour elle de pousser Lara à dépasser les conventions strictes de notre civilisation contemporaine. S'il fallait retenir une sorte de mini-morale à ce roman, elle se définirait en deux termes : oser et profiter. Lara, à laquelle on s'identifie grâce à la narration interne, devient l'exemple de la fusion de ces deux mondes : celui, austère, de nos jour et celui, enjoué et décalé, des années 20. Et l'on se rend vite à cette conclusion : chacun a besoin de son lot de fantaisie et de folie pour vivre pleinement sa vie, en dehors de toute convention.

Mais plus qu'un hommage aux années folles, « Très chère Sadie » est aussi un ouvrage qui témoigne d'un simple constat : derrière chaque personne, âgée en apparence, ce cache un témoignage de la vie passée et d'une jeunesse fébrile. Ne pas se laisser tromper par les apparences car elles peuvent receler bien des surprises. En définitive, Sadie est une personne dynamique et hardie, mais aussi une femme au coeur meurtri et qui cache sa peine derrière un voile d'arrogance et d'insouciance comme tant de personnes ont tendance à le faire. Derrière la recherche assidue et les courses éperdues derrière son collier se cache un véritable mystère et une belle histoire d'amour perdu. Même si les situations laissent bien souvent présager ce qu'il adviendra des personnages par la suite, on est curieux de découvrir quel chemin vont prendre les problèmes pour se résoudre.

Pour une lecture légère, rafraîchissante et reposante, « Très chère Sadie » est une valeur sûre où l'humour se partage la page avec cocasse et évasion. Ce livre ne se lit ni pour son suspens ni pour son esthétique littéraire, mais pour son ironie piquante et son exotique gaieté, pour ses tournures burlesques et ses personnages attachants mais surtout, et avant tout, pour la magique atmosphère qui règne sous les parures étincelantes et scintillantes des années rugissantes.
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