AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de domi_troizarsouilles


Je suis décidément abonnée aux notes contradictoires par rapport à la majorité des lecteurs… En général, et sans que ce soit jamais délibéré dois-je préciser, je tends à ne pas trop apprécier les livres plébiscités par une majorité d'autres lecteurs – les exemples sont désormais nombreux ! Or, ici, c'est juste l'inverse : ce livre stagne autour des 15/20 sur les différentes plateformes, ce qui n'est certes pas mauvais, mais on ne dira pas non plus que c'est brillant ! alors que, pour moi, ce livre frôle le coup de coeur.
Pourtant, il a bien manqué m'échapper complètement. C'est que je l'avais repéré dès sa sortie en librairie au début de cette année et, ayant gardé un excellent souvenir de « La fileuse d'argent » de la même autrice (et malgré le fait que je n'ai encore jamais lu « Déracinée », son autre succès qui semble faire une évidente unanimité), je m'y suis aussitôt intéressée… pour le redéposer presque aussi vite : le 4e de couverture ne me tentait absolument pas ! Par la suite, au cours de mes diverses balades en librairie, je l'ai encore examiné l'une ou l'autre fois, mais pour arriver chaque fois à la même conclusion : décidément non, ce livre n'est pas pour moi...
Et puis un beau jour, il est apparu au catalogue de Lirtuel, la bibliothèque virtuelle belge francophone : c'était l'occasion ou jamais de tenter cette lecture dont la couverture m'intriguait malgré tout… et j'en suis tellement enchantée que j'envisage désormais d'acquérir la version papier, juste pour le plaisir !

Commençons par le commencement : ce titre ! Je ne sais pas ce que le traducteur et/ou l'éditeur ont visé en proposant cette « éducation meurtrière », mais décidément il y a un truc qui ne va pas, et qui devient évident quand on regarde la vo : en anglais, il est question de « A deadly education ». Deadly se traduit, en premier lieu, par mortel.le, dans le sens de létal.e / fatal.e. Alors, certes, l'acception « meurtrier/ère » fonctionne aussi (même si Linguee signale d'emblée que c'est « plus rare », et que ça n'apparaît qu'en petit sur Google traduction), mais alors avec une toute autre connotation. En effet, quand on lit « éducation meurtrière », on peut penser à une école qui mettrait notre vie en danger, mais on pense quand même plus spontanément (n'est-ce pas ?) à son autre sens : une éducation dans laquelle on apprend à tuer !
Or, à mon sens, ce livre ne se lit pas du tout avec cette signification-là. On entre dans un monde, une école qui est réellement mortelle pour ses élèves, qui doivent apprendre à survivre au jour le jour, et seul un nombre limité d'entre eux en sortiront diplômés… et tout simplement vivants ! L'option d'y apprendre à tuer (pour se défendre ? ou par simple désir de tuer ?) est bien un peu présente aussi, mais anecdotique et définitivement présentée comme quelque chose qui n'est pas apprécié !
Bref, ça commençait mal, je suis vraiment navrée qu'un éditeur pourtant sérieux semble avoir choisi un titre aussi tendancieux pour sa seule valeur commerciale (un meurtrier est sans doute plus vendeur qu'un simple mortel…), car je ne vois pas une seule autre raison qui expliquerait une telle « erreur » de traduction, erreur corroborée par le contenu même du livre !

Heureusement, une fois passée cette première impression discutable, on entre dans le vif du sujet… en complète immersion ! à tel point qu'il est quasi-impossible de présenter un pitch digne de ce nom sans divulgâcher un tant soit peu. On rejoint d'emblée la personnage principale de ce roman, la jeune Galadriel (oui, oui, il y a bien une référence au SdA, qui nous sera même expliquée), qui préfère se faire appeler tout simplement par son diminutif El. Elle est alors en pleine confusion car Orion, un autre magicien de son année, puissant et auréolé de gloire pour ses actions qui ont déjà sauvé la vie de plusieurs autres élèves, vient de désintégrer dans sa propre chambre un des nombreux monstres qui s'attaquait à elle. Or, non seulement El estime qu'elle aurait pu s'en sortir seule, mais en plus, elle ne trouve aucun sort susceptible de nettoyer sa chambre de façon simple et rapide, et supporte de moins en moins la puanteur des restes de la bête…
Bienvenue à la Scholomance !

Naomi Novik nous présente un monde extrêmement foisonnant, que l'on apprivoise petit à petit en compagnie d'El que nous suivons au jour le jour. El n'a aucun souci didactique dans sa narration, ça ressemble même parfois à une logorrhée avec quelques points récurrents. L'autrice (à travers El, donc, qui s'exprime à la 1re personne du singulier) nous plonge dans ce monde comme si on le connaissait déjà, et c'est en se laissant happer dans le livre aux côtés d'El et de ses camarades qu'on finit par comprendre les choses, sans oublier quelques effets de répétition aussi, tout en continuant de découvrir 1.001 nouveaux détails tout au long du livre, jusqu'à la dernière ligne sans doute.
Face à une telle démarche, il est vrai que, au début, il faut bien un peu s'accrocher pour appréhender les choses, ne pas chercher à tout comprendre de façon classique, car alors ça ne marchera pas. Il faut accepter cette plongée dans l'inconnu. Il est intéressant de noter qu'une telle approche est très à la mode (du moins en Belgique) pour l'apprentissage des langues notamment, et son efficacité a été prouvée : certaines écoles proposent que l'on se retrouve du jour au lendemain dans un environnement exclusif dans la langue à apprendre / à maîtriser, sans aucun autre repère. Bien sûr c'est déroutant, au début quand on n'y connaît rien ça peut même être très frustrant, mais au fil des jours, en tâtonnant et en réfléchissant à partir des éléments que l'on identifie peu à peu, on finit par aller de satisfaction en succès, jusqu'à une certaine maîtrise. (Et je sais de quoi je parle : c'est ainsi que j'ai appris l'anglais, car je me suis retrouvée, après un changement d'école à 16 ans, dans une classe où tout le monde avait déjà au moins des notions de cette langue, sauf moi, complète débutante… et le prof parlait exclusivement anglais ! il m'a mise au défi de suivre les choses, et j'ai « souffert »… mais il faut croire que ça a marché, puisque quelques années plus tard j'ai obtenu, avec de plutôt bonnes notes en plus, un diplôme de traductrice !)

Bref, comme je disais plus haut, il faut accepter cette plongée en aveugle, ça tient un peu du lâcher-prise, tout en restant suffisamment vigilant pour ne pas se laisser déborder et risquer alors de ne plus rien comprendre ; or, à en lire les commentaires divers et variés, cette approche ô combien originale en a dérangé plus d'un… ce que je peux tout autant concevoir, mais c'est dommage.
Pour ma part en tout cas, je suis complètement séduite ! Comme je disais plus haut : l'autrice nous livre ainsi des bribes de détails que l'on assemble au fil des pages et de la construction de notre compréhension, jusqu'à ce que, en les mettant tous ensemble comme on tisserait peu à peu une bien jolie toile, on voie se dessiner ce monde imaginaire extrêmement cohérent, très travaillé, et pour moi tout à fait convaincant.

Pour le comprendre un tout petit peu, et sans vouloir spoiler plus que de raison, on peut dire au minimum que le synopsis proposé par l'éditeur est un peu ambigu quand même… (décidément !) En réalité, nous sommes dans un monde où la magie coexiste avec le monde « normal » - le comment du pourquoi est bien un peu subtil et tient de la croyance, mais je n'en dirai pas plus. Or, le monde magique est infesté de créatures plus horribles les unes que les autres, en permanence affamées, qui se dévorent bien sûr les unes les autres, mais qui ont une prédilection pour les adolescents en pleine puberté – alors que les enfants ne les intéressent qu'à défaut de mieux, tandis que les adultes sont généralement suffisamment puissants pour les contrer. C'est ainsi que, pour préserver la vie d'un maximum de jeunes gens, une école – la fameuse Scholomance - a été créée, où toutes les potentielles victimes de ces monstres affamés sont rassemblées le temps de leurs études secondaires, en ce lieu qui est aussi censé les protéger – la fausse bonne idée serait de comparer cette école à celle de Harry Potter car, à part les âges concernés, le phénomène des escaliers qui bougent et quelques autres mini-clins d'oeil, ça n'a vraiment pas grand-chose à voir !
Malheureusement, si une telle école permet effectivement d'éloigner les jeunes des appétits potentiels de tous ces monstres dans leur environnement naturel, elle n'est pas 100% sûre pour autant. Diverses créatures continuent encore et toujours de parvenir à y entrer et de s'y promener, semant douleur et désolation pour tout qui n'y prend garde au quotidien, à chaque seconde même ; en outre, à la suite d'un défaut du système de nettoyage de la salle de remise des diplômes, cette cérémonie est devenue un ultime moment de lutte pour la survie, but ultime et terriblement craint par tous les étudiants…

C'est pourtant là que tente de survivre El, peu aimée car elle a d'autres combats à mener. C'est que, dans ce monde magique, chaque sorcier à une « affinité », c'est-à-dire un don ou pouvoir plus particulier qu'il lui appartient de développer, idéalement pour le bien de tous. Or, le seul pouvoir qu'El se connaisse est celui de… destruction massive ! Elle sait qu'elle serait capable de raser une montagne à elle seule (ce qu'elle n'a cependant, pour des raisons évidentes, jamais tenté de faire !). Ou bien, comme dans la scène qui nous la présente, elle ne parvient pas à nettoyer sa chambre, car les seuls sorts qui lui viennent pour se débarrasser des restes du monstre, détruiraient sans doute une bonne partie de l'école dans la foulée, en tuant quelques-uns de ses camarades au passage…
Or, même sans avoir jamais parlé de ce don particulier à personne, elle craint elle-même ce pouvoir qu'elle maîtrise si mal (par manque évident de pratique), et préfère être désagréable avec tout le monde, que risquer de s'attacher à qui que ce soit qu'elle finirait par détruire. En outre, elle est crainte car certains semblent « sentir » cette puissance terrible en elle (dont sa grand-mère paternelle, qui voulait même la tuer alors qu'elle était encore toute petite !) et, surtout, plusieurs la soupçonnent de souhaiter devenir « maléficienne » (coucou Voldemort !), autrement dit maîtriser la magie noire – ce qui n'est pas interdit à la Scholomance, mais très mal vu, et là aussi, les élèves plus puissants n'hésitent pas à éradiquer les potentiels élèves maléficiens avant qu'ils ne deviennent réellement dangereux. Et justement : El sait qu'elle aurait de grandes capacités en tant que maléficienne, mais refuse absolument de se laisser aller à cette voie de facilité qu'elle abomine, ce qui la met quasi constamment en colère contre elle-même, et dès lors contre le monde entier.

Bref, j'en ai déjà presque trop dit, car tout ceci n'est dévoilé que petit à petit au contact quotidien d'El, et du fameux Orion qui va prendre de plus en plus de place dans sa vie. Là où certains ont vu El comme une ado en colère assez banale, j'ai trouvé quant à moi une jeune fille complexe, terriblement attachante dans son refus obstiné d'une voie facile tout à fait possible pour elle, mais contre laquelle elle ne cesse de se battre car, tout au fond d'elle-même, c'est une personne attentionnée aux autres (même si elle s'en cache formidablement) et qui aimerait tant disposer d'un pouvoir nettement moins ravageur ! Son côté antipathique est volontairement exacerbé, elle en est d'ailleurs consciente elle-même, dans une certaine autodérision qui touche avec justesse, mais le lecteur attentif doit juste creuser un tout petit peu pour découvrir une jeune fille certes mal dans sa peau, mais qui au final, recherche surtout l'amitié et la reconnaissance de ses pairs, pas pour son pouvoir insensé, ni à cause de son ascendance (sa mère par exemple, évoquée quelquefois, est extraordinaire dans son genre !) : elle veut juste être aimée, tout simplement, pour elle-même… et ça semble bien difficile dans un monde aussi bousculé !

Pour le reste, je risquerais de réellement spoiler si j'en dis davantage, donc je terminerai par une fausse conclusion, mais en tout cas : oubliez vos repères habituels et laissez-vous entrer, en aveugle consentant, dans ce livre qui vous happera dans son monde foisonnant et très travaillé, qui se dévoile uniquement par immersion et qui révèle une héroïne complexe et terriblement attachante, dans toute sa beauté d'adolescente qui recherche surtout l'amitié sans jamais vouloir le reconnaître, tout en se battant contre elle-même, et un pouvoir qui lui ouvre une voie royale de destructrice de masse dont elle ne veut pas. Avec ce livre très réussi, malgré un titre très mal traduit à mon sens, je frôle le coup de coeur!
Commenter  J’apprécie          153



Ont apprécié cette critique (10)voir plus




{* *}