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Critique de Kirzy


Rentrée littéraire 2021 #37

Ben je me suis régalée ! Cela fait longtemps que je n'avais pas lu un livre aussi enjoué et intelligent ! Abel Quentin propose une radiographie affutée et éclairée, terrifiante de justesse aussi, sur les évolutions de notre société entre crise de l'universalisme, mutations générationnelles, dérives identitaires et violences des lynchages sur les réseaux sociaux.

Le narrateur, Jean Roscoff, est l'antihéros par excellence : fils des années 1980 et de la gauche mitterrandienne, il a connu la Marche des Beurs, l'antiracisme à la papa avant de foirer sa carrière universitaire avec un livre raté sur les époux Rosenberg. La soixantaine tassée, il publie chez un éditeur confidentiel un livre sur un très très très méconnu poète américain communiste qui s'est tué dans l'Essonne en 1960 après avoir fréquenté Sartre and co. Sujet a priori inoffensif ... sauf que Jean Roscoff a une constance remarquable à opter pour les mauvais choix et à faire n'importe quoi, son alcoolisme avoué ne l'aidant pas à éviter la récidive. Sauf qu'en 2021, un mot suffit pour un départ de feu immédiat. La mécanique dévastatrice de la polémique moderne se met en branle.

Le truculent Jean Roscoff évoque irrésistiblement les personnages de Philip Roth ou de J.-M. Coetzee ( celui de la Disgrâce notamment ) : des hommes dont la vie est faite, les combats menés, piégés dans leur époque, incompris par leurs contemporains. Abel Quentin a un talent de satiriste évident. Avec un humour très présent et rythmé, il croque notre époque avec une acidité qui appuie là où ça fait mal : les milieux littéraire et universitaires, et surtout la collision générationnelle à l'oeuvre dans la woke culture.

Depuis la Marche des beurs, le vocabulaire de l'antiracisme a changé et le narrateur ne les maitrise pas : « racisé », « privilège blanc », « appropriation culturelle », « intersectionnalité », lui dont le logiciel est profondément universaliste. Lui qui se définit comme progressiste n'est plus qu'un boomer mâle blanc clashé par la jeune génération ultra militante, excessive dans sa bonne foi, sans indulgence ni nuance.

Ce qui est très fort, c'est que malgré sa casquette de satiriste quasi houellecquienne, jamais Abel Quentin ne sombre jamais dans le brûlot méchant. Il souligne juste les excès de certains activistes à s'enfermer dans une communauté, à jubiler de façon malsaine dans une campagne de shaming après avoir sonné l'hallali pour ostraciser l'ennemi désigné avant de passer au suivant . Au contraire, il invoque les figures tutélaires de James Balwin ou Frantz Fanon, qui combattaient farouchement le racisme sans jamais se complaire dans la peau de la victime et surtout avec,en tête, le projet de faire société.

Un roman dense, enlevé par une hauteur de vue remarquable et un sens de l'intrigue impeccable, jusqu'à un réjouissant épilogue en ironique clin d'oeil.
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