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Critique de myrtigal


J'ai découvert cette collection des éditions Seuil il y a quelque temps avec les ouvrages de Julia Cagé et de Romain Blondeau (respectivement sur Bolloré et Netflix).
Une collection qui a pour but « d'accueillir des textes courts d'auteurs engagés creusant l'information et devançant les polémiques » créée pour « pallier l'érosion du débat public en proposant des réponses argumentées ».
Une idée que je trouve salutaire et nécessaire, ayant effectivement constaté (comme beaucoup) la dégradation, voire l'hystérisation, du débat public

Ici, et comme le jeu de mots dans le titre le laisse deviner, il s'agit de la célèbre émission de télévision Touche pas à mon poste animée Cyril Hanouna sur la chaîne C8. Claire Secail, chercheuse au CNRS et spécialiste des médias, s'intéresse à cette émission depuis quelque temps déjà (notamment lors des présidentielles 2022), et après beaucoup de temps passé à analyser et étudier cette émission (qui lui aura un intense lynchage ordurier à l'antenne de la part de l'animateur durant plusieurs semaines), elle publie ici le résultats de ses constats sur l'évolution de cette émission.
Car il fut un temps où “TPMP” était une émission médias, une émission de télé sur la télé dont le concept reposait sur le décryptage des programmes et audiences tv, le tout dans une ambiance bon enfant, joyeuse et un peu loufoque. Mais ça, comme on dit, c'était avant.
Car depuis la reprise en main du groupe Canal par le milliardaire Vincent Bolloré, le virage idéologique du groupe n'a évidemment pas épargné l'émission phare, bien au contraire, celle-ci est devenue la vitrine et le fer de lance de cette nouvelle ligne éditoriale. Et c'est ce virage à 180° au service d'une idéologie réactionnaire que la chercheuse va décortiquer étapes par étapes.
La chercheuse commence par écrire les dispositifs sur lesquels reposent l'émission : le direct, primordial pour l'animateur dans sa relation au public/téléspectateurs, le chef de bande, figure centrale et indispensable de la machine, et enfin les chroniqueurs réunis (unis) autour de lui, délimités et enfermés dans des rôles caricaturaux assignés mais surtout à la merci du chef qui délivre la parole selon son bon gré. Une parole par ailleurs faussement libre, se donnant des allures de mini démocratie alors que c'est en réalité un système très vertical dans sa forme et surtout — et c'est le plus insidieux — totalement binaire dans sa forme : nulle place pour des argumentaires développés et nuancés, ce qui est recherché c'est une opinion immédiate, radicale, clivante et tranchée sur des thèmes qui vont de l'insignifiant au dramatique dans une optique, calquée sur les réseaux sociaux, où tout se vaut.
Et c'est sur ce dispositif devenu sournois que l'émission, notamment grâce au mouvement des Gilets Jaunes dont elle s'est largement servie, à opérer un détour populiste s'érigeant en porte-étendard du peuple contre les élites supposés. Prétexte, en réalité, à exacerber les tensions et à surfer sur une vague considérée comme populaire. Trop tard la caisse de résonance est devenue si grande que voilà les politiques de la majorité de droite ou de gauche se succédant sur ces plateaux ne pouvant plus échapper au vivier électoral que représente l'audimat. Puis la chercheuse nous démontre comment l'émission s'est peu à peu muée en émission de société mais sans la moindre modération et dépolitisée, s'emparant de sujets de plus en plus trash et extrême, puis virant de l'anti-élitisme vers un anti-parlementarisme de plus en plus radical et dangereux.
Puis, parachèvement ultime, terminal, c'est vers le populisme d'extrême droite que se dirige non seulement les sujets, mais aussi les invités récurrents et les intervenants. Dans un alignement quasi parfait d'intérêts financiers, idéologiques et médiatiques. Cocktail dangereux.

Claire Sécail nous livre dans ce très court essai une analyse d'une incroyable précision dans laquelle elle décortique les ressorts exacts de cette émission à l'aide de très nombreux chiffres et exemples. Ne vous fiez pas à ma critique. C'est factuel, c'est étayé, et c'est édifiant. Et alors que cette collection sert à des textes engagés, ici l'engagement se ressent moins dans un ton que dans l'argumentation ciselée et le professionnalisme méthodique avec lesquelles le sujet est traité. Dans un style érudit, même un peu technique d'ailleurs, elle met en exergue et démontre point par point combien cette émission au processus insidieux et aux conséquences délétères est devenue un réel danger pour notre démocratie et pour le débat public.
À lire absolument.
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