Alain Charles

Derrière les mots, l’amour, la vie, la mort, la haine.
Derrière les mots que je n’ai pas dits, et que peut-être je ne dirai jamais.
Derrière les mots que je n’ai pas écrits, et que peut-être je n’écrirai jamais.
Derrière les mots, les non-dits, les sous-entendus, les incompris, les insinués.
Certains parlent pour ne rien dire, mais ne rien dire en dit déjà beaucoup, des pensées vides ou ressassées usent de mots jetés dans un puits et résonnent.
Écouter, tendre l’oreille, attentif et entendre le vide, la jactance, des mots qui se répètent et parviennent à sonner faux.
Écouter les mots qui s’entendent par eux-mêmes, une rengaine mille fois entendue qui martèle.
Les mots vides de sens, vides de vie, parlent pour eux-mêmes.
Je les entends.
Les discours, ceux du 1er mai, ces mots d’estrade, proclamés et combien de fois rabâchés. Des mots sans lendemain. Des lendemains qui pleurent. Leurs lendemains qui chantent. Toujours les mêmes.
Les mots sans actes, sans gestes, sans concrétudes, mais qui plaisent aux oreilles.
Les mots de la révolution, les mots qui soulèvent la foule, applaudis sans être compris.
Les mots qui parlent de fusils et qui parlent aux canons.
Les mots qui parlent de rumeurs. Les mots qui font peur.
La parole qui tue les hommes, les mots des vainqueurs qui écrasent et fracassent.
Les mots à gober sans réfléchir tellement ils sont beaux.
Les mots de guerre. Les mots d’indifférence. Les mots de haine. Les mots que je ne dirai pas.
Et puis, il y a les mots d’amour.
Et derrière les mots d’amour, il y a vous.
Il y a toi.

Il y a des samedis après-midi pluvieux, des soirs d’orage, des moments où l’âme vagabonde. La noirceur et l’âpreté du monde vous sautent à la figure, la nostalgie et la peur de l’avenir vous taraudent. Le temps est alors venu de prendre plume et papier, car il est absorbeur d’émotions. Et puis, au bout d’une phrase, au point final d’un texte, l’espoir renaît et avec lui, la joie d’être simplement vivant.

Au moment où il se leva, Pol entendit un son étrange dans la rue.
— Zabeth, tu n’entends rien ?
— Nothing, nada, c’est encore ta voix ?
— Non, de la musique, une flûte, comme celle que j’apprenais à l’école.
— Déso pas déso, c’est tes pavillons qui grésillent.
— Non, je t’assure, écoute.
Ils tendirent l’oreille et P’tit Poutch ronchonna d’être délaissé.
— T’as raison, mon coco, i’ joue faux.
Se précipitant à la fenêtre, ils aperçurent, à une centaine de mètres, un jeune homme très mince et très grand, tout de noir vêtu. Il s’arrêta de souffler dans son pipeau et commença à chanter.
— Assurancetourix au pays des soviets.
— Tu mélanges tout, Zabeth, le pays des soviets, c’est Tintin.
— Oki, monsieur je sais tout, kess qu’on fait ? Va voir en soumsoum et s’il ressemble à un thug, on s’cache.
— Zabeth, une personne qui aime la musique ne peut pas être un voyou.
— Hitler écoutait Wagner, du schnock, ça t’en bouche un coin.

— M’accompagnerez-vous, Anouck ? Votre présence m’est indispensable.
— Si vous le désirez, nous marcherons ensemble vers la librairie, je m’arrêterai quelques minutes, mais je devrai vous laisser, le docteur Carroll a besoin de moi.
— Et nous, Anouck ?
— Alice, depuis le début de l’histoire et jusqu’à aujourd’hui, il y a vous et moi.
— Et demain ?
— Demain est un autre jour, il est mystère, attente et espoir. Profitez d’aujourd’hui, Alice, et considérez-le comme un cadeau des cieux. N’oubliez jamais, aujourd’hui est unique, demain se répétera.

— Alea jacta est.
— Non, Professeur, la fatalité et le hasard n’ont pas leur place dans cette histoire. Je vous l’ai dit, nous contrôlons le processus, tout se passera comme je l’ai prévu. Vous devez, à un moment, me faire confiance. De plus, avec les évènements qui se sont déroulés, il lui restait l’enfermement ou une autre vie. Je vous rappelle, Professeur, que vous avez voté lors du Conseil.
— Elle était si jolie.
— Elle l’est encore plus, je vous le garantis.
— Mais je ne la reconnaîtrai plus.
— Voilà tout l’enjeu.

— Il s’appelle Philibert et…
— Il vous relooke avec des yeux de merlan frit. À tous les coups, Laura, il est amoureux de vous, cela se voit comme le nez au milieu du visage. Je trouve que vous avez beaucoup de chance, ma belle, il est mignon comme tout.
— Vous ne le savez pas, Geneviève, mais entre nous, c’est tout simplement impossible.
— Et pourquoi ?
— C’est un ange.
— Un ange ! Avec des ailes et tout ça !
— Oui, Geneviève, un ange et un vrai.

— Erreur Juliette, aimer est le plus grand des talents. Je vous ai vu admirer les tableaux, les yeux ne trompent jamais, vous aimez l’art et ceux qui l’aiment, aiment les gens.
— Naïm, vous me plaisez, personne ne m’a jamais parlé de cette manière. Vous me demanderiez de partir n’importe où avec vous, je partirais.
— Alors, venez avec moi.
— Où ?