"Après la mer" - Alexandre Feraga
Devant la voiture chargée jusqu?à la gueule, Alexandre comprend qu?il part en vacances, seul avec son père. L?occasion, pense-t-il, de glaner de cet homme enfin quelque signe d?affection. le temps d?un été, Alexandre va devenir Habib, traverser la mer, découvrir l?Algérie et prouver à ses grands-parents que leur aîné n?a pas renié ses origines. Mais le but de ce voyage se révèle, au fur et à mesure, plus inquiétant. Avec la tendresse et la cruauté qu?on a pour le passé qu?on enterre, Alexandre Feraga signe le roman de la fin d?une enfance.
En librairie le 9 janvier 2019
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C'est étrange, la mémoire ne retient pas la voix des gens morts. Les visages sont presque indélébiles, les mots sont à peu près justes, la voix, elle, disparaît. C'est toujours notre voix intérieure qui parle pour les autres. Je parle là des gens que l'on a bien connus, parce que pour les autres, il ne reste presque plus rien, ni visage, ni voix, tout juste une vague émotion qui traverse l'esprit. La mémoire est un luxe.
C'est peut-être cela l'avenir du commerce et de la science. Pouvoir acheter du temps. Le clampin moyen passe son temps à le tuer en remplissant les espaces vides par un tas de saloperies en plastique, chevaux sous la capot ou machines tyranniques. Et puis il se lasse de toutes ces choses qu'il n'arrive plus à ranger. Il se lasse tant qu'il en crève. Un jour viendra où tout aura été acheté et vendu mille fois. Il n'y aura plus rien pour remplir les espaces vides. Il faudra tuer la mort en achetant du temps. Quelle blague.
Le temps que tu as traversé est écrit sur ta peau. Tu es vivant aujourd'hui par le temps que tu as vécu hier. Tu peux mentir, changer de visage ou même de nom, tu seras toujours ce que tu as vécu. Si la personne à laquelle tu parles ne t'entend plus ou si tu n'as plus personne à qui parler, alors tu n'existes plus.
Chaque chambre porte un nom de fleur. Aux Primevères l'avenir est assuré. Les enfants peuvent continuer d'abandonner leurs géniteurs et la science peut continuer ses progrès car il existe encore un paquet de noms de fleurs et un paquet de chambres à ouvrir. Avec les appellations de fromage ils auraient été pénards aussi.
Je crois que notre corps sait très bien nous rappeler qui nous sommes. (...) On nous donne la vie et on nous donne la mort en même temps. Entre les deux c'est à nous de nous débrouiller. Il n'y a rien à regretter car peu importe les décisions que nous prenons, elles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles sont, un point c'est tout. Peu importent nos décisions, on continuera de nous juger tant que notre corps tiendra. La chance de vieillir.
Je comprends qu'exister juste pour soi-même est une erreur qui peut être fatale.
Les souvenirs ne suffisent à personne. Ils ne servent même à rien si personne ne les entend. Gardés enfouis, ils alimentent l'incontrôlable nostalgie du bonheur passé. Ils finissent par s'effilocher comme une couverture qui traverse de nombreux hivers.
Quand on est mal, c'est qu'on est vivant, voilà ce que disent les vieux.
Méfiez-vous, les femmes les plus silencieuses font le plus de ravages.
Nous pensons connaître les gens alors que nous ne sommes même pas capables de nous pencher sur notre propre cas. C'est une entreprise qui nécessite une relecture permanente de nos contradictions et un certain courage pour les dépasser.