Artemisia Gentileschi

L'écriture épistolaire d'Artémisia Gentileschi - du moins telle que l'a transcrite Francesco Solinas - est dans l'ensemble aisément déchiffrable. Sa langue se rapproche en effet du toscan "illustre", mais non littéraire. L'artiste a reçu fort probablement, comme la plupart des femmes de la classe moyenne de son temps, une instruction familiale sommaire, se limitant à la lecture, à l'écriture et au calcul. Dans une déclaration, faite à l'âge de dix-huit ans, elle affirme d'ailleurs qu'elle ne sait ni lire et écrire ; mais, en fait, elle a dû apprendre bien vite par l'expérience pratique au cours de sa majorité. Et il n'est pas très significatif, d'autre part, qu'elle délègue parfois le soin d'écrire ses lettres à un tiers : car c'est, comme elle l'assure elle-même, afin de pouvoir, occupée par ailleurs ou pressée par le temps, continuer à peindre tout en dictant. Ainsi, surtout dans la première période romaine des années 1620, elle charge souvent son mari d'écrire son courrier, se contentant d'ajouter aux lettres un simple post-scriptum.

Adelin Charles Fiorato
Introduction, XLIX

Artemisia Gentileschi de Lomis (Rome 1593- Naples vers 1654) est sans doute une des artistes du XVIIe siècle dont la vie et l'oeuvre ont le plus retenu l'attention du public depuis le milieu du siècle dernier. Comparée au Caravage, "peintre maudit", à Rubens "peintre diplomate", au Bernin, artiste "politique", ou encore à d'autres de ses contemporains tels Antoine Van Dick, Nicolas Poussin et Rembrandt, sans doute la signora qui a enchanté un siècle se révèle-t-elle moins intéressante du point de vue artistique ; mais l'étude de ses toiles relativement peu nombreuses et d'une qualité discontinue, doit être approfondie. Sa personnalité et son existence, très aventureuse pour l'époque, fascinent par leur modernité.

Francesco Solinas, préface.

Artemisia Gentileschi à Don Antonio Ruffo (p. 101)

Mon illustrissime Seigneur,
La semaine dernière j'ai répondu à une de vos lettres, que j'ai reçue des mains du seigneur don Pietro ; à présent, je me vois contrainte par deux circonstances : d'abord, il me faut achever rapidement votre tableau, ensuite je ne dispose pas d'argent pour le finir. Je prie Votre Seigneurie Illustrissime, dans la mesure où je suis sa servante, de bien vouloir me rédiger une lettre de change de cinquante ducats, afin que, au vu de celle-ci, j'achève le tableau, car les dépenses sont importantes, pour employer ces femmes nues. Croyez-moi, Seigneur don Antonio, les dépenses sont insupportables, car si j'en déshabille cinquante, c'est à peine si on en trouve une qui convient. Pour ce tableau je ne peux utiliser un seul modèle, parce qu'il comporte huit personnages, et il faut faire varier les beautés. Je prends le risque de supplier mon maître par cette requête. Pardonnez mon audace, et je vous baise les mains en toute révérence.
Ce jour, le 12 juin 164[9].
De Votre Seigneurie Illustrissime,
votre très Humble et Dévouée servante.
Artemisia Gentileschi

Ne vous étonnez point de la variété de la graphie de mon écriture, car je dicte mes lettres tandis que je peins, et quand vous verrez la signature de votre [...], vous serez assuré que c'est la mienne.

Artemisia Gentileschi à Don Antonio Ruffo

Mon Illustrissime Seigneur,

[...] Pour ce qui est du prix que ce Monsieur veut connaître, avant que l'oeuvre soit exécutée, croyez-moi, en tant que je suis votre servante, il agit fort mal s'il croit fermement ne point se tromper et peser sur ma conscience, que j'estime plus que tout l'or du monde. Je sais combien par mes erreurs je puis offenser notre Seigneur Dieu : je sais et je crains que la grâce de notre Seigneur ne nous comble pas toujours : c'est pourquoi je n'apprécie jamais mes oeuvres aussi longtemps qu'elles ne sont pas achevées. Mais puisqu'il plaît à Votre Seigneurie Illustrissime, qu'il en soit fait selon vos ordres, veuillez dire à ce Monsieur que je peux les faire voir à tout le monde, et que s'il trouve que lesdits tableaux ne valent pas deux cents écus de plus, je ne veux point qu'il me les paye. Le contrat [est] conclu, et j'assure Votre Seigneurie Illustrissime que ce sont là des tableaux qui comportent des figures nues et des femmes, qui coûtent très cher et vous causent de grands casse-tête ; et lorsqu'on y trouve parfois quelque chose de bon, on me plume à rebrousse-poil, et parfois il faut se soumettre à de petites bagatelles avec la patience de Job. Quant à vouloir faire des esquisses et à les envoyer, j'ai fait résolument le voeu de n'envoyer jamais plus d'esquisses de ma main, car j'ai été victime de forts méchants tours ; et, en particulier, aujourd'hui même, je me suis trouvée avoir fait une esquisse sur des âmes du Purgatoire pour l'évêque de Sant'Agata, et cette esquisse, pour dépenser moins, on l'a fait exécuter par un autre peintre, lequel travaille à partir des fruits de mon labeur. Si j'avais été un homme, je ne sais comment cela se serait passé, car une fois établi le sujet, définis les clairs-obscurs et déterminés les différents plans, tout le reste n'est que broutille. C'est pourquoi il me semble que ce Chevalier a bien tort de rechercher des esquisses, puisqu'il connaît ce dessin et la composition de Galatée. Je ne saurais rien ajouter d'autre, si ce n'est que je baise les mains de votre Seigneurie Illustrissime et je vous fais une très humble Révérence, en priant le Ciel de vous accorder le comble de toute félicité.
Ce jour, de Naples, le 13 novembre 1649.

De Votre Seigneurie Illustrissime,
votre Très Humble servante,
Artemisia Gentileschi

Que Votre Seigneurie Illustrissime sache que, quand je demande un prix, je ne le fais pas à la mode de Naples, où l'on demande trente écus pour en recevoir quatre. Je suis Romaine, j'entends procéder toujours à la romaine.

(p. 109 - 110)