Citation prise dans la nouvelle "Présent", à propos des personnes âgées atteintes d'une maladie de la mémoire.
"Mais non. Il y a en lui, là où la peau devient esprit et l'esprit cellules, un cœur pétri d'un terreau douloureux, de sillons vertigineux ; qui ne se laissent nommer.
Sa maison s'est réduite à une seule chambre, et à un couloir blanc qui mène au réfectoire, et les murs blancs sont consolés de fleurs peintes, on peut les regarder à loisir tant on y marche lentement.
Ce cerveau hors du temps qui recherche son âge, ce regard anxieux scrutant une réponse dans tout, dans les visages et dans le paysage, un paysage à redécouvrir chaque matin, transformé sans cesse par des brumes inconstantes ou par la nuée d'un regard qui s'absente, c'est le lot commun, ici.
Cette voix qui se parle pour se vérifier, ce corps qui se tremble pour connaître encore, bénie et sacrée, la sensation d'un corps...
Cet esprit endeuillé qui se souvient d'un mort mais plus de qui pleurer ; les cellules déjà sèches dont il est le linceul ne peuvent le lui souffler..."
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Extrait du récit QUARANTE JOURS
1er réveil après ta mort
Papa,
L’air est frais, le fond de l’air humide, le « fond de l’air » : étrange expression…
C’est un matin sans soleil et d’une grande clarté, avec des nuages pâles et immobiles, pâles et immobiles comme moi probablement.
J’ai dans la tête un champ de fleurs où tu m’avais conduite, je n’en avais jamais vu de tel. Nous nous sommes arrêtés, nous avons contemplé le cadeau, inespéré, éphémère, radieux comme toi probablement.
J’ai dans la tête une forêt clairsemée, sur les hauteurs d’un plateau venté. Des troncs noirs et nus, comme calcinés, dressés dans un bout d’immensité. Nous avons marché, côte à côte, dans un silence recueilli et attentif, comme moi probablement.
J’ai dans la tête une route qui défile au milieu des bois et des prés, de temps en temps une buse s’envole et croise notre trajectoire, c’est à qui la montrera à l’autre. On suit son vol ample, majestueux et solitaire, comme toi probablement.
J’ai dans la tête une barque qui grince, un fleuve calme et profond, un air humide et frais, les rames plongent et remontent, le clapotis est doux, léger et limpide, comme moi probablement.
J’ai dans la tête une danse à tes côtés, nous sommes légers, l’air nous porte, nous élève, nous croisons les oiseaux, nous avançons sans effort, juste un peu moins vite qu’eux, ils restent à distance mais ils ne s’effarouchent pas, le haut air sent vif comme une terre lavée par la pluie et il est accueillant, tu poses ta main dans mon dos et tu m’apprends à voler.
Carole’s Wounded heart on earth
33Le jaillir
Mais viens donc rire ! Viens, on va jaillir ! Je te pousse et tu me pousses, galoper mon vieux, galoper ! Et pas parce que y aurait le danger derrière, non que nenni, tout le contraire ! C'est pile là et devant nous, "là" et "devant" inséparables je te dis, c'est le jaillissement mon vieux, le galop, tu galopais toi aussi, tu te rappelles quand même ?! Alors, qu'est-ce que tu attends ? Je t'attends. T'inquiète pas mon vieux, l'aura des montagnes, la clarté de l'air vif, la force de la fraîcheur, la lumière en mouvement dans le ciel toujours mais toujours immensément présent et le scintillement de la brume sur une terre couvée de rosée et de jour naissant, c'est pas parce que pour l'heure tu les vois pas qu'ils sont pas là ! Tiens, ça me rappelle les mots d’une vieille dame sur son lit de mort à l'enfant qui lui demandait ce que c'était que ça : " Quand tu ne vois plus au loin le bateau que tu as regardé partir, ce n'est pas qu'il n’existe plus, c'est juste qu'il a dépassé l'horizon ! "
Tu me fais rire ; tu me fais tendre ; ça l'emporte sur l'inquiétude car dans le fond, je le sais bien que t’as pas oublié ; toutes ces choses ... Toutes ces choses, dis ! Données ! A l’origine ! Données, oui ... Alors, allez hop hop ! Et qui courra verra ! Et qui verra vivra.
Dans le grand mystère
Nous buvons des thés
Ambrés de terre ensoleillée,
Les tuniques sont dentelées et blanches
Passées de douceur
Et nous goûtons les miels heureux
Des mères miraculées
Votre regard au chevet du dernier mot
Votre regard où ne reste plus que la lumière
La dernière pour la route
Pour toute la route
Ecouter la nuit, juste cela, rien de plus
Elle est là,
Et moi en elle
Celle de mes ancêtres,
Celle de mes jeunes frères aux regards de chats jouant des arabesques,
Celle des regards absents,
Celle de l’inconnu
Au creux de tes rêves
Aux souffles de tes désirs
Reconnaîtras-tu l'énergie que tu sécrètes et qui te porte
Là où leur cours rejoint la grève
Retrouveras-tu ta terre profonde
Comme les vagues
Nous revenons,
Nous repartons,
Et dans le vent,
Aux profondeurs claires d’infini
L’essor parfois devient chant
Ingénue,
Toi seule n’imagines pas,
Par celle que tu es, la vie portée,
Comme par l’enfant, la vie donnée
Constante et éphémère
Comme ce pouvoir de la neige
Au-delà des larmes, cet Ailleurs,
Pour Nous les vivants, quand
Le mot s’efface de l’espace nommé temps
Au-delà des larmes
Cet Ailleurs,
Terre de silence et d’amour
Et je tourne en silence
Vrille aux forces motrices
Origine
La terre sous mes ongles,
Les herbes gardiennes,
Leur baume-caresse a tracé le silence sur nos lèvres
Et le vent, compagnon du toujours
Je tourne sur moi-même
Danse-accueil-recueil,
Je réponds présent
Elles me portent,
Je danse avec elles
Moi l'errante
S'il n'y avait leur amour
Le vent passe sur mon visage
soulève mes cheveux
caresse magnifique
magnifique
je n'exagère pas
le vent aurait pu être feu
pics de glace
néant
Mais non
il y a cet instant
entre lui et moi