"A présent, je revois la ville noire
qui est encore restée la même,
les traîne-savates pantouflards y déambulent encore,
les pauvres --,
si pauvres,
le feuillage automnal rouge ivresse sent pareil pour eux.
L'automne est à son aise dans ce pays des vents d'hiver !"
L'artiste ressent aisément
la grande lumière tremblante,
la chaleur,
le souffle des êtres vivants
l'émergence
et la disparition.
La guerre est finie et je dois partir.
(Derniers mots avant de mourir le 31/10/1918)
Je ne nie pas avoir réalisé des dessins et des aquarelles à caractère érotique. Mais il n'en demeure pas moins que ce sont des oeuvres d'art.
Autoportrait
J'existe pour moi, et pour ceux auxquels ma soif inextinguible de liberté donne tout,
mais aussi pour tous, car dans la mesure où je vais aimer - j'aime tout le monde.
Parmi les coeurs nobles, je suis le plus noble - et le plus généreux à payer de retour.
Je suis un être humain, j'aime la mort et j'aime la vie.
Quel jour? - ?!?! -
Interruption, changement. J'ai été transféré dans la maison d'arrêt de St. Pölten.
Le gendarme s'est montré très aimable. Un brave homme. Il ne m'a pas enchaîné. J'ai même été autorisé à fumer, pourvu qu'on ne me voie pas.
Mais le plus agréable a été le voyage en chemin de fer. Je pouvais m'imaginer être en vacances. Je regardais par la fenêtre et voyais les champs verdir à mesure que le train avançait. C'était un train qui roulait lentement, ce qui cette fois m'a réjoui parce que je voulais regarder lentement et beaucoup. Je vis de belles choses: le ciel, des nuages, des oiseaux qui volaient, des arbres ébouriffés et des maisons tranquilles aux confortables toits rembourrés.
Maison d'arrêt de Neulengbach, 16 avril 1912
Enfin! - Enfin! - Enfin! - voici qui soulagera un peu mes souffrances! Enfin du papier, des crayons, des pinceaux, des couleurs pour écrire, pour dessiner. Quels tourments que ces heures grises-grises, monotones, informes, qui se ressemblent toutes, grossières, confuses et vides, que je fus obligé de passer nu, dépouillé de tout, comme un animal, entre ces murs froids et nus!
Quelqu'un de plus faible intérieurement serait devenu fou sur le champ, et moi aussi à la longue, à force d'être hébété jour après jour; c'est pourquoi, déraciné avec violence de mon terreau créatif, pour éviter de devenir vraiment fou, je m'étais mis à peindre avec mon doigt tremblant humecté de ma salive amère des paysages et des têtes sur les murs de la cellule en me servant des taches dans le mortier; puis je regardais comment ils séchaient petit à petit, pâlissaient et disparaissaient dans les profondeurs des murs, comme effacés par une main invisible, puissante et magique.
À présent, par bonheur, j'ai à nouveau du matériel de dessin et de quoi écrire; on m'a même rendu le dangereux petit canif. Je peux travailler et supporter ainsi ce qui serait sinon insupportable. Pour l'obtenir, j'ai dû courber l'échine, je me suis rabaissé, j'ai déposé une demande, prié, mendié et j'aurais gémi si ce n'eût été possible qu'à ce prix. Ô Art tout-puissant - que ne serais-je capable d'endurer pour toi!
En enfer! Non. Pas l'Enfer avec un grand "e". C'est dans un enfer bien précis, vil, abject, sale, misérable, humiliant qu'on m'a jeté sans délai.
De la poussière, des toiles d'araignées, des glaviots, des flots de sueur, de larmes aussi, ont éclaboussé le mortier galeux qui s'émiette. A l'endroit où la couchette touche le mur, les taches sont plus nombreuses et l'enduit de chaux est abrasé; des morceaux de briques rouge sang ressortent là tout lisses et brillent d'une couleur graisseuse, comme polis. Je sais à présent ce qu'est un cul-de-basse-fosse - tout ressemble ici des oubliettes. Quand on voit cette porte épaisse, brutale, massive, avec sa grosse serrure solide, qu'aucun coup d'épaule ou de pied ne saurait ébranler, le judas avec le clapet, ce qu'on appelle le banc ou la couchette assemblé à partir de poutres grossièrement équarries, ces vieilles couvertures rêches en lambeaux - un cheval frémirait d'horreur si on lui couvrait le dos avec - qui sentent curieusement le phénol ou le lysol et la sueur des hommes avec des relents de moisi et de laines bestiales - quand on prend conscience de tout cela, on vit et on revit tous les culs-de-basse-fosse de tous les temps, ces puits d'horreur creusés dans le sol de l'ancien château fort, de l'ancien hôtel de ville, dans lesquels on jetait et laissait pourrir les prisonniers.
EGON SCHIELE EN PRISON - 17 avril 1912
L'art ne peut pas être moderne, l'art est éternel.
Promenade dans la cour de la prison. Roller est certainement un grand artiste mais sa cour de prison dans Fidelio n'est que du théâtre, alors que la peinture Cour de prison de Van Gogh est une vérité des plus saisissantes, du grand art.
( p36)