Hélène Caratini

A cette époque, ma mère représentait tout mon univers. Elle était la première voix que j'entendais le matin, le sourire qui m'enlevait à la nuit, la main tendue chaque fois que la situation l'exigeait, les baisers sulfureux des soirées au coin du feu, le regard enveloppant des matins chagrins.

Durant le trajet en voiture qui me ramenait progressivement chez moi, je ne pouvais m'empêcher de me poser mille questions : cette rencontre physique allait-elle changer quelque chose dans l'intensité de notre correspondance jusqu'alors inchangée ? Etions-nous toujours aussi enthousiastes à la suite de cette découverte "réelle" de l'autre ? Ma voix avait-elle plu à Jeanne ? Le fait de se voir "enfin" allait-il rompre ce charme exquis de la relation à distance ? Autant de questions qui allaient peu à peu lever le voile sur une attente forcément fébrile...

La journée se déroula ainsi, dans une ambiance zen et veloutée. Irène irradiait. Elle n'avait pas vécu pareil bonheur depuis très longtemps. Elle aurait voulu que le temps s'arrête à cet endroit, dans les bras de cette femme, auprès de qui la vie semblait si paisible et si belle. Elles ne retournèrent pas à la deuxième nuit du festival de musiques orientales, ni même à la dernière. Sylvie décida plutôt d'improviser son festival grâce à une discographie aussi cosmopolite qu'envoutante, entrainant les deux jeunes filles dans un tourbillon de sensualité.

Il m'arrive d'imaginer comment j'aurais envie de te voir. Je veux dire, dans quelles circonstances. Tu me permettras de garder cela pour moi, d'autant que ce genre de considération est purement imaginaire et illusoire. Mais je t'en parlerai, assurément. C'est juste encore trop tôt. Et après tout, l'important est déjà que l'imagination soit à l'œuvre. Cela, oui, il est important que tu le saches d'ores et déjà. Pour le reste, le moment viendra de te faire part de ce que l'imagination produit.

Une fois encore, Irène était terrassée, une fois encore Constance lui avait plantée un coup de couteau au plus profond de son cœur. La jeune fille était inconsolable et Magali se sentait responsable de sa souffrance. C'était elle qui avait eu l'idée de cette lettre et la brutalité de la réponse résonnait comme une bombe aux oreilles des deux jeunes filles. Comment une mère pouvait à ce point ne pas être réceptive aux cris de son enfant ? Magali était à la fois furieuse et désemparée par la mine déconfite d'Irène. Elle la prit dans ses bras et redoubla d'amour et d'attentions pour elle tout au long de la journée.

- Nous reviendrons bientôt, je te le promets. J'ai parlé à Amélia et elle t'attendra. Votre histoire commence par un déchirement, mais elle n'en sera que plus belle. Dieu te donnera la force de te battre et tu la ramèneras à la maison, envers et contre tout. J'ai foi en toi et je suis avec toi. N'en doute jamais. A présent, nous allons tourner les talons et nous allons partir. Amélia ne doit pas te voir dans cet état. Elle peut en être affectée. Je t'en supplie, si tu veux lui dire au revoir, fais le dans la sobriété. Le peux-tu ?