Blanche Cerquiglini présente Les aventures du brave soldat vejk de J
- Vous avez lu?
- Non, je n'ai rien lu?
- Mais vous savez la nouvelle?
- Non.
- Enfin, vous savez bien ce que je veux dire?
- Non, je ne m'occupe de rien du tout.
- Mais ça devrait vous intéresser tout de même, voyons?
- Je ne m'intéresse à rien de rien. Le soir je fume tranquillement mon cigare, je bois mes demis de bière, je dîne, mais je ne lis pas. Les journaux mentent. À quoi bon me fatiguer la tête?
- Alors, vous ne vous intéressez même pas à cet assassinat à Saraïévo?
- Aucun assassinat ne m'intéresse, qu'il ait lieu à Prague, à Vienne, à Saraïévo ou à Londres. Pour ça, il y a les autorités! Les tribunaux et la police. Moi, ça ne me regarde pas. S'il se trouve des types assez imbéciles pour aller se faire tuer n'importe où, c'est bien fait pour eux. Il n'est pas permis d'être crétin à ce point-là.
Mais lorsque j’étais à Prague, j’ai lu dans le Journal officiel un exemple d’héroïsme encore plus beau. Il s’agissait de l’aspirant docteur Joseph Bojnov. Il était en Galicie, au 7e bataillon de chasseurs, et comme il partait à l’assaut à la baïonnette, il reçut une balle. Pendant qu’on le transportait au poste de secours, il ne cessait de crier qu’on n’allait tout de même pas lui faire un pansement pour ce bobo, et il voulait avancer de nouveau avec son escadron. À ce moment-là une grenade lui brisa la patte. Et, de nouveau, les infirmiers voulurent l’emporter, mais il commença à ramper vers la tranchée, et c’est avec un bâton qu’il se défendit contre l’ennemi. Vint une nouvelle grenade qui lui emporta la main qui tenait le bâton. Il saisit le bâton de l’autre en hurlant qu’il ne leur pardonnerait pas ça, et Dieu sait comment ça aurait fini si un shrapnell ne l’avait définitivement occis. Sans doute qu’on lui aurait donné la médaille d’argent du courage. Lorsque la grenade lui arracha la tête, il cria encore en mourant : « Mourir pour la patrie, c’est le sort le plus beau, le plus digne d’envie. »
Je vous déclare avec obéissance, mon lieutenant, que je suis excessivement content, répondit le brave soldat Chvéïk ; ce sera quelque chose de magnifique quand nous tomberons ensemble sur le champ de bataille pour Sa Majesté l’Empereur et son auguste famille impériale et royale…
(Fin)
Sérieusement, je ne comprendrai jamais pourquoi les fous se fâchent d’être si bien placés. C’est une maison où on peut se promener tout nu, hurler comme un chacal, être furieux à discrétion et mordre autant qu’on veut et tout ce qu’on veut. […] Tout le monde était libre de dire ce qu’il avait envie de dire, tout ce qui lui passait par la tête. On se serait cru au Parlement.
CHAPITRE IV – COMMENT CHVÉÏK FUT MIS À LA PORTE DE L’ASILE D’ALIÉNÉS.
Je vous déclare avec obéissance, mon lieutenant, que je suis excessivement content, répondit le brave soldat Chvéïk ; cela sera quelque chose de magnifique quand nous tomberons ensemble sur le champs de bataille de Sa Majesté l'empereur et son auguste famille impériale et royale ...
- Je suis innocent, je suis innocent! répéta l'homme aux poils hérissés.
- Jésus-Christ aussi était innocent, répondit Chvéik, et on l'a crucifié quand même. Depuis que le monde existe, c'est toujours et partout des innocents qu'on s'est le plus foutu. Maul halten und weiter dienen! comme on disait au régiment. C'est encore ce qu'il y a de mieux et de plus chic.
- Quoi donc? fit-il.
- Eh bien, notre Ferdinand... il n'y en a plus!
[...]
- Jésus-Marie, n'en v'là d'une nouvelle! s'écria Chvéïk. Et où est-ce que ça lui est arrivé, à l'archiduc, voyons?
- À Saraïévo. Des coups de revolver. Il y était allé avec son archiduchesse en auto.
- Ça, par exemple! Ben oui, en auto... Vous voyez ce qu'c'est, m'ame Muller, on s'achète une auto et on ne pense pas à la fin... Un déplacement, ça peut toujours mal finir, même pour un seigneur comme l'archiduc... Et surtout à Saraïévo! [...]
Et tandis que l’officier de service au bureau criait à Chvéïk qu’on devrait fusiller des saletés comme lui, dans les chambrées du premier étage la commission continuait à tuer les simulateurs à petit feu. Sur soixante-dix soldats, deux seulement purent s’en tirer. L’un avait la jambe coupée par un obus, l’autre un cancer aux os.
[…] Tous les autres, sans exception des trois poitrinaires mourants, furent reconnus « bons pour le service armé », ce qui fournit au président de la commission le prétexte d’un discours.
[…] À en croire le président, ce n’étaient tous que des canailles et du fumier, et il n’existait pour eux qu’une seule alternative, aller au front et se battre pour S. M. l’Empereur, ce qui leur permettrait de reprendre leur place dans la société humaine et leur ferait pardonner, après la guerre, le crime de s’être dit malades pour échapper aux tranchées. « Mais, pour ma part, ajouta-t-il, je n’en crois rien, car je suis persuadé, au contraire que c’est la corde qui vous attend tous ! »
CHAPITRE VIII – COMMENT CHVÉÏK FUT RÉDUIT AU TRISTE ÉTAT DE SIMULATEUR.
– Vos papiers ?
C’est avec ces paroles aimables que le commandant de la patrouille militaire qui faisait une ronde, aborda Chvéïk. C’était un sergent suivi de quatre soldats, baïonnette au canon, il ajouta, en mauvais tchèque :
– Je vois que vous assis, vous pas voyager, vous boire, toujours boire.
– Je n’ai pas le moindre papier, milatchkou (1), répondit Chvéïk. M. lieutenant Lukach, du 91e régiment les a tous sur lui. Moi je suis resté à la gare.
– Qu’est-ce que cela signifie, milatchkou ? demanda le sergent en s’adressant à l’un de ses soldats, un vieux de la territoriale.
– Milatchkou, en tchèque, ça veut dire sergent, répondit celui-ci en souriant.
Le sergent déclara à Chvéïk :
– Tout soldat doit avoir des papiers. Sans papiers, un pouilleux comme toi doit être enfermé au poste de la gare comme un chien enragé.
(1) Chéri.
Notre colonel Makavoc nous disait toujours : « La discipline, tas d’abrutis, il la faut, parce que, sans elle, vous grimperiez aux arbres comme des singes, mais le service militaire fait de vous, espèces d’andouilles, des membres de la société humaine ! » Et c’est vrai ! Imaginez-vous un parc, mettons celui de la Place Charles, et sur chaque arbre un soldat sans discipline. C’est toujours ça qui m’a fait le plus peur.
CHAPITRE PREMIER – COMMENT LE BRAVE SOLDAT CHVÉÏK INTERVINT DANS LA GRANDE GUERRE.