Jeanne Cherhal - A cinq ans, je suis devenue terre à terre
Le petit voisin il a un grain, de sel ou bien de sable, ou bien de caféine. Le petit voisin habite au-dessus de chez nous, qui évidemment sommes en-dessous. Il prend des cours de Ju-Jitsu mais n'est pas mauvais, n'est pas mauvais pour deux sous.
Et, dans tout l'immeuble, crado mais sympathique, on se chicane, on se cherche, on s'engueule gentiment. Mais le petit voisin, il est total stoïque. Et d'ailleurs il s'en fout car il est étudiant.
Extrait de la chanson Le petit voisin, album douze fois par an, 2004.
Bleu d'orage
Quelquefois notre amour a le sens de l'effort.
Il va puiser profond son magma de ressource.
Brûle son dernier sucre en un dernier renfort.
Et nous lance, épuisés, sur la fin de la course.
Tes muscles sont de pierre, ils tremblent de fatigue
Et ta langue incendie mon palais sans salive.
Le poids de ton ressac, éclate sur ma digue.
L'air vient à nous manquer pour atteindre la rive.
Pourtant, rien ne saurait nous faire abandonner.
Car l'un à la barre, et l'autre à la misaine.
Mais le temps d'un éclair, le vent aura tourné !
Ce navire est sacré : il a deux capitaines.
Proue et beaupré vivants, nos bassins d'entrechoquent
Et vibrent à l'unisson, de délice et de rage.
Notre lave en fusion vient lécher notre coque,
En ces instants bénis, nos corps sont bleu d'orage.
MAUVE
Pose du bout des lèvres un baiser sur mes cils.
Adoucis bien ta langue et lisse mes paupières.
Goûte un peu l'eau salée des mes iris d'argile,
Comme si tu mangeais mes yeux cernés de mauve.
Glisse ton doigt léger sur mon poignet fragile,
Dessine mes vaisseaux traversés de bruyère.
Crée au fil de ma peau un frisson immobile
En effleurant tout doux mes veines bleues et mauves.
Aide-moi s'il te plaît à ôter l'inutile
Etoffe de lilas qui vraiment ne me sert
Plus à rien maintenant. Oh, le beau projectile !
Au pied de notre lit gît un petit tas mauve.
J'ai trouvé sur ton corps un repli pulsatile,
Tendre secret caché, aveugle à la lumière,
Qui se déplie parfois en pétale, en pistil,
Et détient le plus délicat de tous les mauves.
Tes mots sont vifs,
Nerveux, charnels,
Définitifs,
Irrationnels.
Quand ils palpitent
En turgescence,
Ils précipitent
Mon impatience.
Tes mots sont crus
Et rock'n roll.
Je monte à cru
Sur tes paroles.
Leur peau est fine,
Leur viande épaisse,
Leur chair sanguine,
Leur corps topless.
Tes mots parfois
Sont en désordre
Et quelquefois,
Ce sont des ordres.
Ils se murmurent
Le souffle court
Entre les murs
De notre amour.
Etoile
La Voie lactée tenait entre ses deux épaules
En dévoilant parfois un astre méconnu.
Il était constellé sur chacun de ses pôles,
Et je lisais le ciel entier sur son dos nu.
J'aimais frôler du doigt les chemins éphémères
Qui naissaient au hasard des ses points cardinaux.
Sa colonne était souple et se creusait, chimère
De ma phalange-plume aux traits subliminaux
Je reconnaissais là Orion sous l'omoplate,
Et nichée dans le double creux de son coccyx,
La Grande Ourse l'éclaboussait jusqu'à la cuisse.
Moi, j'aurais pu jurer que la Terre était plate
Pour contempler toujours son éden sidéral.
Les grains de sa beauté étaient couleur d'étoile.
Béluga
La cascade ruisselait
Sur les rochers froids,
L'eau ressemblait à du lait
Le long des parois.
Quelques anguilles frémissantes
Filaient dans les fonds,
Pas plus d'un mètre soixante,
Même au plus profond.
Dans ce bassin naturel,
Un bel animal
Prenait un moment pour elle,
Simple joie thermale.
Soudain, sous le soleil d'août,
L'adorable bête,
Pour se rafraîchir sans doute,
Piqua une tête.
A cet instant apparut,
Sublime oméga,
Son joyau de beauté crue
D'un blanc béluga.
Rouge est aussi le Rubicon
Miniature qui dégringole
De mon verre à ma gorge molle,
Bien tempéré dans son flacon.
Les sœurs Labèque, en cavalières,
Battent les flancs de leurs pianos.
Leurs boucles folles, crescendo,
Rebondissent dans ma tanière.
La rosée
Qui recouvre
Ton dos nu
S'est posée
Comme au Louvre
Sur un nu.
Ô statue
Qui transpires
Dans tes rêves,
Le sais-tu ?
Tes soupirs
me soulèvent.
La sueur
De ta hanche
Me harponne,
Sa lueur
Douce et franche
Me passionne.
Saint Crème
Sur la vallée de son ventre,
Il est penché comme un ciel.
Ses rapides torrentiels,
Intimes et confidentiels,
Vibrent dans son épicentre.
De la main dont il écrit
Et dont il est très agile,
Il travaille son argile
Et durcit son évangile,
Adorable Jésus-Christ.
Est ce la paille ou la poutre
Qu'il empoigne sur lui même ?
Peu importe. Quand il s'aime,
Prince de Jérusalem,
Des détails il n'a que foutre.
Il est au sommet je crois,
De sa manuelle ascension,
Je contemple sa Passion
Avec grande discrétion
Et petit signe de croix.
Et l'amour universel
Qui jaillit comme un poème
De sa prière bohème
A le nacré du Saint Crème
Et le goût sacré du sel.
GLAUQUE
Tu ressembles à la mer juste avant la tempête,
Quand les vagues se gonflent en couvant leur écume,
Quand l'air se charge d'eau sous le poids de la brume ;
Ta bouche prend le goût de l'orage qui guette.
Tu ressembles à un ciel qui va se fendre en deux
Quand tu es traversé d'un désir électrique,
Quant ton pouls s'accélère et cogne sur la brique
De ta poitrine dure et tes muscles fiévreux.
Tu ressembles au tonnerre qui menace et qui gronde,
Quand l'éclair attendu va zébrer le ciel noir,
Et quand le vent panique au-dessus du miroir
De l'eau qui débordera dans quelques secondes.
Tu es mon ouragan, ma bourrasque secrète.
Ton souffle se fait court et ta voix se fait rauque,
Tes yeux verts presque bleus sont divinement glauques ;
Ils ressemblent à la mer juste avant la tempête.