Interview de l'auteur Patrick Breuzé pour son dernier livre: Bout d'Chien paru aux éditions les passionnés de bouquins. Interview réalisée par l'émission : La Place du Village.
Il fit quelques pas dans la pente et regarda blanchir la nuit. C’était comme une gaze qui s’imbibait de ciel et lui ôtait ses teintes sombres. Rien d’important en apparence et pourtant tout se transformait, se délayait dans un émiettements de lumière qui révélait les formes en ponçait les reliefs.
Une vapeur d’eau tiède baignait la vallée, retroussant ses voiles sur le bord des versants. Au-dessus, les sommets émergeaient de leur cache-nez de laine grise, attendant patiemment que la lumière vint les réchauffer. Il y avait dans tout cela une douceur de matin clair.
La vieille femme s’imprégnait de ces détails. Dans l’instant, il ne lui était pas possible de réunir tous ses souvenirs, mais plus tard, cette nuit ou dans les jours à venir, lui reviendraient ces petits morceaux de mémoire qu’elle recoudrait un à un pour leur donner l’apparence de la réalité.
Les deux sœurs se regardèrent. L’une petite est mince, un corps tout en finesse et en os d’oiseaux. L’autre, la cadette, plus en rondeurs, surtout aux hanches qu’elle avait larges, lesquelles étaient portées par des jambes droites comme des troncs de sapin.
A un moment, il posa la main sur le dos du fauteuil. Le cuir semblait chaud comme si un corps venait de s’y reposer, il était rêche, crevassé par endroits, pareil à ces cicatrices faites aux arbres quand on leur confie un secret de cœur.
Il respira fort, croyant ainsi chasser la poussière des souvenirs.
La nuit était belle. Le ciel avait tendu son voile bleu marine d'un bout à l'autre de la vallée, prenant appui sur chacun des sommets. Pas un nuage ne le plissait. Partout dans les pâtures, une fine rosée s'était déposée, libérant des odeurs d'herbes sucrées et de terre mouillée. Le long des lisières de noisetiers, un vent timide fouinait sans bruit, furetait comme un chien sous le couvert, hésitait, puis repartait, entraînant dans son sillage des odeurs fortes de sous-bois et de troncs moussus.
Assis sur son train arrière, le chien le regardait, calmement, attendant un signe pour savoir quoi faire. Les chiens aiment les choses simples : un ordre, un geste, une caresse ou une réprimande. Pour ce qui est des sentiments c'est une tout autre affaire et il est peu probable que les humains comprennent un jour la complexité de ce qui lie un chien à son maître. C'est peut-être mieux ainsi. Tout n'a pas à être expliqué en amour.
Il questionnait la roche du regard, une roche rabotée par le vent, dure et fière le long des couloirs. Rongée par une sorte de pelade sur toute la partie gauche, là où le moutonnement des épicéas avait réussi à prendre racine. Le gros de la troupe se blottissait en une longue crinière vert foncé abandonnant à quelques troncs le soin de jouer les éclaireurs, lesquels s'agrippaient là où pourtant rien ne semblait vivre. Des sacrifiés vaillamment accrochés à la roche, avec leurs branches tordues, leurs flèches tourmentées, tête de pont illusoire d'un mouvement de troupe qui ne se ferait jamais.
Seulement après, il remercia chacun des hommes de quelques mots dits avec retenue et pudeur, les yeux au sol et le front bas. Des mots jamais répétés, mais que l'on rangeait comme des images entre les feuilles de sa mémoire.