VLEEL, Rentrée littéraire Acte 1, 6 éditeurs présentent leur titres de rentrée littéraire 2022
L'histoire du design patriarcal peut se résumer ainsi : l'homme est la mesure de toute chose. Littéralement. Ce qui entraîne des désagréments pour au moins 50% de l'humanité.
[Cette façon de penser] correspond à une idée cultivée de longue date elle aussi, selon laquelle les femmes auraient, pour correspondre aux exigences de leur genre, le contrôle total de leurs fonctions corporelles. Elles ne se grattent pas quand ça démange. Elles ne baillent pas quand elles s'ennuient. Elles ne pètent pas quand elles sont ballonnées, et elles ne pissent pas non plus. Une femme comme il faut sait se maîtriser.
Ce livre se demande pourquoi le monde est tel qu'il est, et pourquoi cela ne convient pas à beaucoup de gens**. Et il pose la question de savoir ce que nous pouvons faire pour le changer. Il raconte l'histoire de la robe à fleurs, et aussi celle des chaussures de football, des jeux vidéo, du sexe et de la religion. Il sera question des absurdités du design genré, d'idées et d'inventions ayant pour seul but de tenir la dragée haute aux femmes. Mais il sera aussi question des absurdités du design non genré, qui empêche les femmes de réaliser leur potentiel, d'être efficaces ou tout simplement de survivre. Et il s'agira de montrer que le patriarcat est le design fondamental qui sous-tend presque tout ce qui nous entoure.
** À toutes les personnes ni cis ni masculines.
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Bien entendu, tous les parents ont le droit d'habiller leurs enfants comme ils le veulent. Tout comme les enfants ont le droit, en grandissant, de s'habiller selon leurs gouts et les circonstances ; sinon, comment développeraient-ils des gouts personnels ?
Mais les succès de l’informatique auront été fatals aux femmes. Plus la programmation devenait prestigieuse, plus les femmes en étaient bannies. Tant qu’il s’agissait de tâches peu qualifiées, les femmes demeuraient une main-d’oeuvre appréciée. Mais dès que ce fut un domaine où l’on pouvait exceller, l’ego masculin évinça les femmes.
La situation est plus grave en ce qui concerne les gilets pare-balles et pare-lames. Il en existe très peu pour les femmes, ils sont moins protecteurs que ceux des hommes et coutent plus cher. De plus, il ne suffit pas qu'une femme soit assez grande pour que sa longueur de buste et sa carrure lui permette de porter un gilet pour home. La règle vaut là aussi : les femmes ne sont pas des hommes en modèle réduit. Les corps des femmes cis ont des proportions et des centres de gravité différents. En se contentant de réduire la taille des équipements, on néglige les différences dans l'anatomie et dans leur utilisation pratique. Une policière britannique a notamment dû recourir à une réduction mammaire pour pouvoir porter son gilet de protection.
Parfois, ils se rendent compte que les femmes aussi font du VTT dans le monde réel. Il doit être possible de leur vendre quelque chose ! Et voilà que guette le prochain piège : interroger des femmes imaginaires au lieu de femmes réelles.
Jeanne Labrosse a failli se voir interdire le vol en ballon avec son mari, l'inventeur André-Jacques Garnerin, parce que - le spectacle de deux jeunes personnes de sexe diffèrent s'élevant dans les airs indécent, immoral, et que l'on ne pouvait pas garantir les inconvenants de la pression d'air sur les tendres organes délicats d'une jeune fille -. Voila ce qu'écrivait un journal français en novembre 1789. Labrosse décida d'en prendre le risque, ses organes délicats résistèrent et, l'année suivante, elle fut la première femme au monde à sauter en parachute : là aussi, ses viscères survécurent sans dommage. Et même si, depuis Labrosse, les femmes ont toujours prouvé que la seule raison de les empêcher de voler était la misogynie, l'égalité est encore loin de régner dans ce domaine. Il est difficile d'avoir des chiffres au niveau mondial, mais les estimations pour les 34 plus grandes compagnies aériennes s'établissaient en 2018 à 5,2 % de femmes pilotes. Dans l'armée, la proportion est ramenée à 3 %. Si l'on compare avec les vols spatiaux, il y a deux fois plus de femmes dans le cockpit des fusées que dans celui des avions ordinaires.
En Grande-Bretagne, la plupart des élèves des écoles publiques et privées portent un uniforme jusqu'à de 16 ans, ou plutôt des uniformes. Le but premier des uniformes scolaires est d'établir une forme d'égalité entre les élèves, indépendamment des sommes que les parents peuvent ou veulent consacrer à l'habillement de leurs enfants. Mais la réduction de 'inégalité sociale en a renforcé une autre : l'inégalité entre les genres. En général, les filles portent des jupes plissées, les garçons des pantalons - où il y a des poches !-, la tenue étant complétée par des chaussures assorties. Ce qui signifie : pour les garçons des chaussures robustes, imperméables, avec des des semelles crantées ; pour les filles, des ballerines - mary-janes -, non imperméables, sans semelle crantée, avec lesquelles elles peuvent ni escalader, ni courir, ni sauter dans les flaques, bref, se lancer à l'aventure par tous les temps - et on connait le climat anglais -.
Socrate, si souvent cité, a dit un jour que ce qui n'était pas mentionné par le langage n'existait pas dans la conscience. 2400 ans plus tard, nous constatons que c'est vrai, et que peu de chose ont changé depuis. Mais cela ne signifie pas que jusqu'ici toutes les femmes se soient resignées à leur invisibilité.