A l'occasion du festival des littératures du monde : "L'usage du monde" organisé par Lettres du monde, rencontre avec Roy Jacobsen autour de son ouvrage "Les invisibles" aux éditions Gallimard.
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......à la fin août, une chaleur étouffante était tombée sur la terre et sur l’eau, capable d’amollir les pensées et de troubler la vue. De la vapeur flottait sur les champs noirs, les oiseaux se taisaient, le paysage laissait échapper des soupirs inaudibles et la mer était lisse comme un plancher que l’on vient de repeindre.
Maria se redressa sur ses coudes et répondit que les enfants, on ne les a pas, on ne les possède pas, les enfants, c’est comme des dons, des cadeaux que l’on reçoit.
Vivre sur une île, c’est chercher. Ingrid avait cherché depuis sa naissance, elle avait cherché des baies, des œufs, du duvet, du poisson, des moules, des plombs, des ardoises, des moutons, des fleurs, des planches, des ramilles… Les yeux d’un îlien cherchent, que sa main ou sa tête soit occupée, avec ces coups d’œil incessants sur les îles et la mer qui s’accrochent au moindre changement, qui notent le signe le plus insignifiant, qui voient le printemps avant qu’il n’arrive et la neige avant qu’elle ne peigne ses touches blanches dans les crevasses et les creux, ils découvrent les bêtes avant qu’elles ne meurent et les enfants avant qu’ils ne tombent, ils voient les poissons invisibles dans la mer sous les nuées d’ailes blanches, la vue est le cœur battant de celui qui vit sur une île.
Le foie d’un pèlerin occupe le quart du poisson, et il contient de la glycérine qui se vend cher dans le sud du pays, aux gens qui savent en tirer à la fois des parfums et de la dynamite.
Elle regarda les maisons là-haut sur la masse grise du dos voûté de l’île, visibles à quinze ou vingt milles par temps dégagé et qui, en cet instant, n’étaient que quelques petites caisses noires sous une mince couche de lait, sans lumière, sans la moindre trace dans la neige.
Elle mit le joug sur ses épaules, y accrocha les courses et grimpa. Les caisses se firent bâtisses et maisons, entourées d’arbres qui ressemblaient à des doigts calcinés.
L’homme qui vient de rentrer est content de voir que rien n’a changé, car c’est toujours celui qui s’absente qui préfère que le temps s’arrête.
Ils en étaient à cette époque de l’année où le vivant veut mourir, où les hommes et les bêtes se replient sur eux, et se font plus petits qu’ils ne le sont déjà, où la nature est muette et ne fait d’autre bruit que celui de la mer, et où aucune prière n’aboutit à rien.
Sa durée varie selon les saisons, le silence peut durer longtemps dans le gel de l’hiver, comme lorsqu’il y avait de la glace autour de l’île, mais celui de l’été est toujours comme une petite pause entre un souffle de vent et un autre, entre le flot et le jusant, ou pendant ce miracle qu’est l’instant où l’homme cesse d’inspirer avant d’expirer.....
Mais le silence sur une île n’est rien. Personne n’en parle, nul ne s’en souvient, tellement il marque les esprits. C’est l’infime aperçu de la mort tant qu’ils sont encore en vie.
Sur une île, tout ce qui a de la valeur vient d'ailleurs, sauf la terre, mais ce n'est pas pour elle qu'ils sont là, les îliens en ont tristement conscience.
On ne sait pas que, lorsque l’on vit sur une île, on n’en part jamais, on ne sait pas qu’une île s’accroche à ce qu’elle a, de toutes ses forces.