Tout ce pour quoi nous nous prenons au niveau de notre subjectivité – nos souvenirs et nos émotions, notre capacité pour le langage, les pensées mêmes et les impulsions qui donnent naissance à notre comportement – dépend de processus distincts qui sont répandus dans la totalité du cerveau. Beaucoup de ces facteurs peuvent être interrompus indépendamment, et même effacés. C’est pourquoi l’impression que nous sommes des sujets unifiés – le penseur immuable des pensées et l’expérimentateur immuable des expériences – est une illusion. Le moi conventionnel est une apparence transitoire parmi d’autres apparences transitoires, et il s’évanouit quand on le recherche. Nous n’avons pas besoin d’attendre d’autres données venant de laboratoires pour affirmer qu’il est possible de transcender le moi. Et nous n’avons pas besoin de devenir des maîtres de méditation pour en réaliser les bienfaits. Il nous est possible de reconnaître la nature des pensées, de nous réveiller du rêve de nous croire simplement nous-mêmes et, ainsi, de devenir davantage capables de contribuer au bien-être des autres.
On sait depuis longtemps à quel point les choses dans le monde peuvent être trompeuses, et ceci n’est pas moins vrai de l’esprit lui-même. Et cependant de nombreuses personnes se sont aperçues, grâce à une introspection soutenue, qu’on peut rapprocher la façon dont les choses apparaissent et ce qu’elles sont. En un sens, la science qui fonde cette proposition est encore en enfance – mais en un autre sens, elle est complète. Bien que nous soyons seulement en train de commencer à comprendre l’esprit humain au niveau du cerveau, et que nous ne sachions rien de la manière dont la conscience elle-même apparaît, on peut déjà affirmer que le moi conventionnel est une illusion. Il n’y a pas de place pour une âme dans votre tête. La conscience elle-même est divisible – comme nous l’avons vu dans le cas des patients au cerveau divisé – et même dans un cerveau intact la conscience est aveugle à la plupart des choses que l’esprit opère.
Peu de scientifiques et de philosophes ont développé de fortes capacités d’introspection – en fait, la plupart doutent que de telles capacités existent vraiment. Inversement, la majorité des plus grands contemplatifs ne connaissent rien à la science. Or, il y a une connexion entre le fait scientifique et la sagesse spirituelle, et elle est plus directe que la plupart des gens ne le supposent. Bien que les idées que nous puissions avoir concernant la méditation ne nous disent rien à propos de l’origine de l’univers, elles confirment certaines vérités bien établies concernant l’esprit humain : le sentiment conventionnel que nous avons du moi est une illusion ; des émotions positives, telles que la compassion et la patience, sont des capacités que l’on peut enseigner ; et la manière dont nous pensons influence directement notre expérience du monde.
Mais la conscience est différente. Elle semble n’avoir aucune forme, parce que tout ce qui pourrait lui en donner une devrait se produire à l'intérieur du champ même de la conscience. La conscience est simplement la lumière par laquelle les contours de l’esprit et du corps sont connus. C’est ce qui est conscient des sentiments tels que la joie, le regret, l’amusement et le désespoir. La conscience peut paraître prendre leur forme pendant un moment, mais il est possible de reconnaître qu’elle ne le fait jamais tout à fait. En fait, nous pouvons faire directement l’expérience que la conscience n’est jamais ni améliorée ni endommagée par ce qu’elle connaît. Faire cette découverte, encore et encore, est la base de la vie spirituelle.
La spiritualité reste la grande oubliée du laïcisme, de l’humanisme, du rationalisme, de l’athéisme, et de toutes les autres postures défensives dont des hommes et des femmes raisonnables s’emparent en présence d’une foi sans raison. Les gens des deux côtés de cette séparation imaginent que l’expérience éveillée n’a pas sa place dans le contexte de la science – en dehors des corridors d’un hôpital psychiatrique. Tant que nous ne pourrons parler de la spiritualité en termes rationnels – en reconnaissant la validité du fait que l’on peut transcender le moi – notre monde restera obscurci par le dogmatisme. Ce livre a été ma tentative pour commencer une conversation de ce genre.
La spiritualité doit être distinguée de la religion – parce que des gens de toutes croyances, et ceux qui n'en ont aucune, ont eu des expériences spirituelles de même nature. Alors que ces états d'esprit sont d’habitude interprétés à travers les lentilles d’une doctrine religieuse, nous savons que c'est une erreur. Rien de ce qu'un chrétien, un musulman et un hindouiste peuvent expérimenter – l'amour transcendant le moi, l'extase, la béatitude, la lumière intérieure – ne constitue une preuve à l'appui de leurs croyances traditionnelles, parce que leurs croyances sont logiquement incompatibles les unes avec les autres. Un principe plus profond doit être à l'œuvre.
Il existe maintenant une vaste littérature sur les bénéfices psychologiques de la méditation. Différentes techniques produisent des changements au long terme dans l’attention, l’émotion, la cognition, et la perception de la douleur, et ces choses sont corrélées à la fois à des changements structurels et fonctionnels du cerveau. Ce champ de recherche est en croissance rapide tout comme notre compréhension de la conscience de soi et des phénomènes mentaux qui y sont reliés. Étant donné les avancées récentes dans la technologie de la neuro-imagerie, nous ne rencontrons plus d’obstacles pratiques à l’examen d’intuitions spirituelles dans le contexte de la science.
Comme nous l’avons vu, il n’y a pas de raison irréfutable de croire que l’esprit est indépendant du cerveau. Et cependant l’attitude réductionniste envers la conscience adoptée par de nombreux scientifiques – dans laquelle la réalité est considérée uniquement de l’extérieur, dans les termes de la troisième personne – n’est pas non plus démontrée. Un chemin médian existe entre faire une religion de la vie spirituelle et n’avoir aucune vie spirituelle du tout.
La spiritualité doit être distinguée de la religion – parce que des gens de toutes croyances, et ceux qui n'en ont aucune, ont eu des expériences spirituelles de même nature. Alors que ces états d'esprit sont d’habitude interprétés à travers les lentilles d’une doctrine religieuse, nous savons que c'est une erreur. Rien de ce qu'un chrétien, un musulman et un hindouiste peuvent expérimenter – l'amour transcendant le moi, l'extase, la béatitude, la lumière intérieure – ne constitue une preuve à l'appui de leurs croyances traditionnelles, parce que leurs croyances sont logiquement incompatibles les unes avec les autres. Un principe plus profond doit être à l'œuvre.
Beaucoup de ceux qui croient être en train de méditer sont simplement en train de penser les yeux fermés.