Solange Bied-Charreton -
Les visages pâles .
Solange Bied-Charreton vous présente son ouvrage "
Les visages pâles". Parution le 24 août aux éditions Stock. Rentrée littéraire 2016. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/bied-charreton-solange-
les-visages-pales-9782234078116.html Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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Ensemble ils avaient eu des désirs d’ailleurs, mais ce n’était jamais un ailleurs misérable. Le dénuement pour vivre mieux, pas pour mourir. La vie dans des huttes, si l’on voulait, mais dans une ambiance détente, où ne se trouverait aucun clochard. Ils auraient eu peur de rencontrer de vrais pauvres. Enseignante en banlieue nord, Noémie en fréquentait pourtant tous les jours, mais c’étaient des pauvres accessibles, qu’on aimait instruire, issus de la diversité, et qui l’enrichissaient de leurs différences. Avec les autres, on ne savait pas, c’était trop loin, ils avaient sans doute des maladies, des bras en moins. Ce loin pourtant qu’ils chérissaient se devait de comporter des dangers, des surprises. Ils s’y préparaient pour quand ils se décideraient à franchir le pas, aller là-bas, à l’autre bout de la Terre, sans savoir où.
A l'emmurement de l'histoire dans l'agitation du présent des villes, à ma propre sève handicapée dans des préoccupations logistiques, empêchée dans des activités professionnelles, aux chômages et aux trains de vie qui oeuvraient pour ma désertion. L'alcool du vide puis la recherche du plein, sans l'atteindre, m'ont fait tourner de l'oeil. C'était n'être que somnambule, narcoleptique peut-être. Ce n'était pas être vivant. Je n'ai rien cru ou personne, j'ai simplement aimé ma demeure hors la vie et la souffrance que ça faisait, cette joie souffrante malgré tout de s'en rendre compte.
Si elle m'avait confié son nom de famille, j'aurais pu la retrouver sur ShowYou, avoir accès à ses photos de profil et surtout lui envoyer une demande de mise en relation. Nous aurions pu converser sur le chat, connaître déjà nos passions, nos couleurs favorites, [...]. Elle aurait pu savoir, bien avant notre rendez-vous, que je ne fumais pas et que je ne me droguais pas. [...] que je pensais qu'il fallait tout se dire, dans un couple ; que j'avais lu Les Mille et Une Nuits en version abrégée ; que je voulais trois enfants, mais pas tout de suite.
out s'éclairait soudain, sans que je n'y puisse rien changer. Le loisir se mêlait au travail, le loisir exigeait du travail, tandis que le travail était un nouveau loisir. Le travail était aussi divertissant que le loisir exigeant. Travail et loisir étaient, au fond, la même chose. Nous passions notre temps à nous amuser à gagner de l'argent.Nous nous amusions, nous cherchions à nous amuser toujours plus.
Anne-Laure Bagnolet, vingt-deux ans, parisienne, n'était pas inscrite sur ShowYou ? [...] Pourquoi ne pas vouloir exister sur internet ? Comment assumait-elle au quotidien les railleries ou la mise à l'écart dans sa vie sociale, à la fac, au sein de son groupe de musique ?
L’âge adulte leur avait ouvert de nouvelles perspectives. Ils se targuaient d’avoir su intégrer autant d’automatismes en si peu de temps, de ne plus se griser du moindre jour de chance. Chaque année, Ivan et Noémie prenaient du galon, ce qui avait été exceptionnellement accordé hier était devenu un acquis. L’émotion gravitait, brûlante puis anodine. À présent ils évitaient de s’émerveiller pour rien. Car tout était normal, ils devenaient sérieux. Une manière d’accepter qu’ils ne compteraient pas, aussi bien qu’ils mourraient oubliés. Ils acquiesçaient difficilement, ils n’étaient pas armés pour sortir de l’histoire. Ils n’y étaient pas entrés mais c’était la même chose.
A peine arrivé chez moi, j'allumais l'ordinateur, je dînais devant, j'y restais jusqu'à tomber de sommeil.
« Sur le pas de la porte, […] je me rapprochai de lui et l’embrassai. Il accepta ce baiser sans tout à fait me le rendre, comme il accepta cette relation, sa nudité, son inutilité. Il accepta de compter pour moi, il accepta d’entrer dans ma vie. Il accepta de ne pas être l’acteur de cette configuration, et d’en être le spectateur. Il le fut jusqu’au bout, à la naissance de notre fils, et jusqu’à la rupture, qu’il accepta aussi de très bonne grâce. Jusqu’à l’étrange accord qui nous lie à présent, l’entente autour d’Erling. Il accepte mon pardon, accepte cette affection, cette amitié particulière. Il aura, très longtemps, assisté à sa vie. »
« Ce tas de cendres, c’était eux-mêmes, et ils se regardaient bien en face dans le miroir, et longuement chacun, Hortense, Lucile, Alex, avec l’effroi de vivre, l’effroi d’être finis, décombres parmi les décombres. » (p. 269)
Le manchot, l'unijambiste ne sont pas des réguliers, mais j'ai bien le souvenir de cet homme-tronc parcourant le train en rampant sur la ligne 14. Il passait dans l'allée à la hauteur des genoux. Levant les yeux de nos Smartphones, nous le toisions d'un air gêné. Le sentiment du voyageur oscillait entre compassion et nervosité accusatoire. Le scandale semblait tenir à sa présence et non à son état. Nous ne supportons ni la laideur, ni l'infirmité. A la vision de l'homme sans jambes, la peur qui nous étreint est celle de notre propre mutilation.