Un beau jour, Kevin, presque 16 ans, abat neuf personnes dans son lycée.
Depuis lors, Eva, sa mère, s'interroge : aurait-elle pu empêcher ce massacre si elle avait (mieux) aimé son fils ?
A travers les lettres qu'elle écrit à Franklin, le père de Kevin dont elle est séparée, elle décortique leur histoire, leurs personnalités à tous les trois, pour tenter d'identifier les grains de sable, les erreurs, les malentendus, les occasions manquées, qui se sont accumulés au fil du temps pour aboutir à une tragédie.
D'abord il y avait Eva, bourlingueuse invétérée, directrice d'une florissante maison d'édition de guides de voyage. Eva était indépendante, libre, et ne voulait pas d'enfant.
Mais il y avait Franklin, l'homme de sa vie, qui, lui, se projetait en papa modèle. Eva était tellement amoureuse et craignait tellement de perdre Franklin, qu'un soir de panique, elle a pris un risque.
Et neuf mois plus tard, il y eut Kevin, et le début d'une histoire de non-amour et de rejet mutuel entre une mère et son enfant. Si pendant 15 ans Eva fera semblant d'aimer son fils et tentera de se comporter comme une mère digne de ce nom, Kevin, lui, ne se donnera pas la peine de cacher son aversion pour elle.
Apathique, sournois, froid, cruel, manipulateur et exceptionnellement intelligent, Kevin semble faire payer à sa mère le fait qu'au tréfonds d'elle-même elle ne l'a pas désiré. Par contre, il joue parfaitement son rôle de fils modèle avec son père, archétype du papa cool, qui ne soupçonne rien de la personnalité toxique de Kevin, contrairement à Eva. Et chaque fois que celle-ci tente d'aborder le sujet avec son imbécile heureux de mari, un dialogue de sourds s'installe.
Je crois que je n'ai jamais rencontré de narrateur/trice aussi sarcastique.
Sans la moindre complaisance, Eva scrute rétrospectivement son comportement et ceux de Franklin, Kevin et Celia (la petite soeur), tout au long de ces années.
Ce qu'elle a cerné de son fils dès sa naissance, ce qu'elle a loupé, ce qu'elle n'a pas empêché, ce qu'elle n'a pas vu venir, ce qu'elle n'aurait jamais imaginé.
Son analyse est froide, implacable, extraordinaire de lucidité. Page après page, elle fait tomber tous les masques, pour finalement répondre à LA question : Eva aime-t-elle son fils ?
C'est bien cette question-là qui traverse tout le roman, celle de l'amour maternel inné et inconditionnel. Une question encore choquante, taboue, et Lionel Shriver ne prend pas de gants pour la poser. Pas de mièvreries, d'auto-apitoiement ou de bons sentiments, mais une déconstruction méthodique des mythes de l'enfant innocent et de l'instinct maternel, et un dézingage en règle des principes d'éducation laxistes accoucheurs d'enfants-rois.
On se perd parfois dans des longueurs un brin trop cérébrales, mais ce roman est remarquable par l'intelligence de sa construction et la complexité des sentiments. Malgré les atrocités et le malaise, ce livre puissant est passionnant.
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