Autour de Jacques Lavigne, philosophe

De notre présent nous ne saisissons jamais qu’une infime partie. Son épaisseur nous échappe. Nous le voyons se déployer devant nous comme une surface monotone que viennent troubler des instants de violence : haine ou désir. Sans doute un moment d’idéal peut nous apporter l’espoir d’un relief qui séduira notre cœur et notre esprit. Mais cet idéal vient aussitôt se dissoudre dans ce mouvement des jours où toute chose est comme sans contenu : épuisée et rejetée avant d’être approfondie ; découverte et classée sans être cherchée. C’est pourquoi penser, c’est intérioriser, c’est rompre avec l’immédiat afin d’en éprouver la profondeur. C’est aussi susciter une image par laquelle ce qui est caché est introduit dans l’espace pour s’y mêler, pour lui donner son ordre, sa densité et son sens. Enfin, c’est prêter une figure à ce monde afin d’y découvrir un parcours et, en lui, le lieu d’une destinée.

C'est Claude Paulette qui signa « Doit–on être anticlérical ? par le Chef », en première page de la livraison du 29 novembre 1949 du journal des étudiants de l'université. Il présentait dans cet article, tout en prenant soin d'ajouter des « ce n'est peut–être pas le cas », les principales accusations portées « par les gens instruits » contre le clergé : la dictature sur le gouvernement et la dictature du clergé sur l'éducation. Paulette faisait aussi, dans son texte, cette remarque : « Les jeunes gens de nos universités qui se préparent, en philosophie ou ailleurs, à l'enseignement pré–universitaire se verront probablement forcés, comme les autres, d'émigrer aux États–Unis pour y dispenser une science qui aurait peut–être été plus profitable aux élèves de chez nous que les vasages savants de certains moines qui enseignent parce qu'ils y sont forcés, qui tentent de donner ce qu'ils ont mal reçu ».