L’Italie a-t-elle une histoire avant l’unification ? Au cœur de la Méditerranée, pendant des siècles, la péninsule se présente comme une koiné culturelle à première vue uniforme mais montre une complexe pluralité politique, économique et sociale.
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En raison de sa situation géographique, la péninsule italienne fut longtemps considérée comme un « pont » ou une « porte » vers l’Orient. Cet « Orient » n’obéit à aucune définition politique, chronologique ou religieuse précise, si bien qu’il peut englober Byzance comme le sultanat mamelouk voire la Perse, les croisades du XIIe siècle comme le Levant du XVIIe siècle, les chrétientés orthodoxes comme l’Islam. Avec cette perspective très lâche, l’histoire des relations des villes italiennes avec l’Empire ottoman n’est pas pensée sous l’angle de la rupture, mais plutôt dans la continuité d’échanges anciens, tissés notamment depuis le Moyen Âge par les républiques maritimes de Venise et de Gênes avec le Levant, l’Égypte ou la mer Noire, mais aussi de rapports violents et de défiances réciproques.
Le Condottière intrigue car il ne porte aucun des attributs associés à un homme d’armes : nulle épée ou armure ne permet de l’identifier comme tel, alors que le portrait semble avoir toujours été ainsi dénommé. Les historiens d’art ont spéculé sur la discrète cicatrice au bord supérieur de la lèvre, qui peut passer pour un stigmate du champ de bataille, et sur le regard, dont le caractère volontaire témoignerait de fonctions de commandement. On a pensé qu’il pourrait s’agir du portrait que le duc de Bari – reconnaissable à ses traits énergiques, à son tempérament combatif et à son expression autoritaire – offrit à Galeazzo Maria Sforza. Mais il est plus probable que le personnage soit Giorgio Corner, frère de Catherine, reine de Chypre, qui se maria en 1475, date figurant à côté de la signature de l’artiste.
S’il n’a pas connu les guerres d’Italie, Antonello da Messina (vers 1430-1479), a vécu les convulsions politiques du Quattrocento. [...]
Les portraits d’Antonello ne se détachent pas sur un paysage, à la manière d’Andrea del Castagno (vers 1419-1457) ou de Sandro Botticelli (1445-1510), mais sur un fond noir qui fait vibrer la lumière sur les visages et souligne les ombres – la technique de la peinture à l’huile lui permettant de jouer aussi plus finement avec les nuances. Le Condottière constitue l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre, associant esquisse physiognomonique, réalisme de la description et subtilité dans le modelé du visage par la lumière.
(Antonello da Messina, Le Condottière, Paris, musée du Louvre, 1475.)
Dans ces conditions, quelle pertinence le cadre italien conserve-t-il pour étudier les réformes du XVIIIe siècle ? Aux yeux des voyageurs européens, la Péninsule ne présente de ce point de vue aucune homogénéité. C'est une mosaïque d'États où s'opposent les réformes éclairées de Lombardie et de Toscane, les Lumières sans réformes du royaume de Naples, les réformes sans Lumières du royaume de Piémont, et enfin les États sans réformes ni Lumières, comme la république de Gènes, les États du pape, voire la république de Venise.
Italia : le nom se trouve sur toutes les cartes dès la fin du XIIIe siècle. C'est un nom ancien qui, s'il a, dans la haute Antiquité grecque, désigné le plus souvent la partie méridionale de la Péninsule, est devenu aux temps de la République romaine, notamment avec Polybe, celui qui la désigne tout entière, telle qu'elle est limitée par le puissant massif alpin. Au sud, les îles, en particulier la Sicile, restent toutefois exclues, ce que rappellera plus tard l'image de la jambe ou de la botte, vue comme étant en train de frapper vivement la Sicile. Depuis l'Antiquité, l'Italie s'est en grande partie construite cartographiquement avant même d'avoir pu trouver une existence politique.
(INCIPIT)
Les voyageurs ont été l'un des vecteurs de l'émergence de l'Italie sur la scène européenne. Leurs expériences et leurs écrits ont modelé la perception par les Italiens de ses réalités physiques et humaines. Avec plus d'intensité qu'ailleurs en Europe, le voyage y a conduit nombre d'hommes mais aussi de femmes, originaires du reste du continent ou de plus loin. Munis de leur bagage culturel, ils ont arpenté l'espace et y ont agi, parfois en se divertissant et souvent en observant, découvrant dans la Péninsule les lieux d'un patrimoine partagé par tous les Européens ou d'autres plus inattendus, rencontrant des habitants de condition, d'âge et de sexe variés. À travers leur regard, les étrangers ont fini par façonner une identité italienne.
Rencontre avec Jean Boutier, auteur du « Grand Atlas de l'Histoire de France »