Mon cerveau fabrique du danger. Quand je suis dans la rue, il n'arrête pas d'avoir peur. Dès que je sors, c'est comme si je tentais d'arrêter la course d'un camion qui me fonce dessus.
Le pire n'est pas d'être quittée par tous ou par tout le monde. Le pire est de ne pas pouvoir vivre avec soi.
Depuis quelques jours, ma peur du dehors m'attrape parfois dans la maison. Je ne sors plus, logique, elle vient à ma rencontre. C'est comme une cloche sur un plat. Elle descend sur moi et me plaque au lit.
Je dois être câblée de travers. Chaque fois qu’une personne normale réussit quelque chose dans sa vie, comme tomber amoureuse de son psy pour guérir, obtenir un stage, choper un job d’été, choper un mec, moi, pendant ce temps, je suis en panique sur l’autoroute de la peur.
Je suis peut-être entourée d'un voile, mais eux sont carrément entourés d'un film. Un film de cinéma avec des images qui défilent sur eux, comme des sortes de photos plaquées. Ils prennent des poses.
Ça fait vingt mois que j'explique à mon psy mes mauvais rapports entre ma sève et mon écorce, le fait que je n'ai pas de racines, que mes feuilles s'agitent au vent.
Je ne peux pas continuer ma route. Fuir est mon seul réflexe. Désespérée, je me rue à la maison.
Rient ne tient. Ni le sol, ni les murs, ni le ciel. Un nuage bouge et toute ma vision se fracasse. Comparés à une crise de panique, les plus grands manèges à sensation sont une blague. Généralement, ma force d'accélération remplace ma raison et je rentre chez moi à toute vitesse pour garder l'équilibre. J'arrive dévastée mais réaliste : je n'ai pas échappé à des flammes ou à des tirs. Je me retrouve alors devant des visages familiers qui ne se rendent pas comptent que je viens de livrer une bataille sincère mais absurde contre la mort. J'ai arriver d'arracher le papier peint qui les recouvre parce que leurs figures sont soudain étranges, trop précises et trop factices à la fois.
Le pire est de ne pas pouvoir vivre avec soi.
J'habite une cage invisible dont j'ai moi-même dessiné les contours afin de me protéger de mon cerveau. Il ne fait pas la différence entre le réel et l'imaginaire alors la moindre émotion le retourne contre moi.