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EAN : 9782246827917
224 pages
Grasset (08/09/2021)
3.56/5   33 notes
Résumé :
Maquillée est le fruit étonnant d’un nombre incalculable d’heures perdues,passées à enchaîner les tutoriels maquillage sur YouTube, ou encore ànaviguer sur le site web de Sephora. Dans le sillage d’oeuvres magistralescomme Bleuets de Maggie Nelson (trad. française publiée en 2019, Éditionsdu sous-sol), cet essai poétique tire profit d’une obsession personnelle, lemaquillage, pour développer une réflexion singulière sur notre époque.Se situant au carrefour des discou... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
Il n'est pas fréquent que les auteurs d'essais se mettent en scène avachis dans leur lit, maquillés d'eyeliner violet et or, scrollant indéfiniment des vidéos de make-up influenceurs sur You tube. C'est ce que fait Daphné B. Longuement. Y revenant régulièrement. Elle nous parle aussi de la tendresse que l'on éprouve devant la vulnérabilité d'un paresseux, des sugar daddies qu'elle a commencé à fréquenter, de son ex petit copain « le sociologue » et de la peine qu'il lui a faite, de l'improbable couleur vert de gris d'un fard nommé « schmoney » et de ce que représente à ses yeux le maquillage. La réalité plastique des palettes, pinceaux et flacons qui s'accumulent dans la salle de bain, le geste de réappropriation de son image que cela permet, la part qu'il prend dans le capitalisme contemporain aussi.
C'est ce qui m'a enchanté tout d'abord, qu'au motif de penser une notion, on ne commence pas par restreindre le champ de celles qu'il aurait été acceptable de travailler. Prosaïque, quasi exclusivement féminin, futile et prohibitif, le maquillage a tout pour être déconsidéré par les hautes sphères intellectuelles. Mais il appartient au réel, il contribue, de manière ambivalente et complexe, à restaurer l'identité de celles qui l'utilisent, il pèse des milliards dans l'économie mondiale. A tous ces titres, il mérite qu'on le pense.
Puisque, comme le dit le titre d'un poème d'Anne Boyer que Daphné B. cite souvent « il n'y a pas d'autre monde que le monde », alors autant faire avec ce qu'il est et ce que nous sommes. Autant appréhender sa réalité avec l'intégralité de ce qu'est l'individu : sa capacité à intellectualiser, sa sensibilité, son histoire personnelle. le maquillage n'est plus seulement une activité dispendieuse en temps et en argent, un objet qui permet de critiquer la vulgarité et la vanité des femmes. Il devient « un texte qui se dérobe à mon propre regard », une revendication à inscrire sa réalité dans le monde, de persévérer à exister en dépit des assignation à disparaitre. Disparaître de soi, accepter les rôles qu'on a décidés pour vous, rester transparente et invisible. Disparaitre telles ces prisonnières dans les geôles américaines où on leur refuse tout fard et où elles multiplient les astuces pour se maquiller tout de même. Récupérer un peu d'elles-mêmes malgré l'incarcération et les blessures intimes passées.
Dans une conception platonicienne du monde pourtant, le maquillage peut être vu comme un jeu sur les apparences, une dangereuse mise en scène de la femme qui viserait à tromper sur son essence véritable. Il deviendrait le signe de la vacuité et de la scélératesse de celle qui l'arbore. Une telle vision, qui a d'ailleurs été largement reprise par l'Eglise dans sa critique du théâtre dès le 17e siècle, invite à croire que la vérité c'est l'authenticité et qu'elle réside dans la profondeur, sous le masque, sous la peau. Qu'elle est immuable et passive. Qu'elle ne résulte d'aucun artifice et ne cherche jamais à se mette en scène, qu'elle se dévoile à celui qui sait la voir mais ne s'expose pas, impudique qu'elle serait alors. On voit tout ce que ce discours comporte d'implicites sexistes... A cette critique moralisatrice conservatrice Daphné B. oppose le cynisme d'un capitalisme mutant, les milliards de dollars que pèse cette industrie florissante, mais aussi les rituels beauté comme autant de tentatives de restaurer une identité niée, de panser ses désarrois amoureux.
Et c'est là le deuxième aspect qui m'a plu dans Maquillée : non contente d'aborder un sujet non académique, de le traiter en mêlant des éléments de pop culture et d'autres beaucoup plus institutionnels, Daphné B. le fait avec ses tripes, ses expériences, elle nous livre une réflexion habitée. Incarnant un être au monde que ne renierait pas la phénoménologue féministe Camille Froidevaux-Metterie, l'auteur se revendique d'une vulnérabilité, d'une capacité à être blessée, à changer comme la marque de son caractère vivant. C'est la réappropriation du réel par toutes les sensations, par toutes les connexions qui s'opèrent entre une histoire individuelle et une expérience sensorielle, c'est un enracinement en dépit ou avec tout ce que le monde nous impose de constructions socialement normatives, d'assignations.
Malgré de nombreuses références à des études philosophiques ou à des essais féministes Maquillée est peut-être davantage un voyage halluciné dans ce que notre monde contemporain a de plus artificiel qu'un essai solidement charpenté. Mais c'est justement de la complétude de cette forme nouvelle que nait une réflexion riche et subtile, une honnête proposition de penser le monde depuis un regard incarné.
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La galaxie du maquillage , que ce soit sur internet ou dans la vie quotidienne, m'est totalement étrangère  mais j'ai été très intéressée par ce livre qui multiplie les points de vue sur cet artifice, souvent décrié , mais qui existe apparemment depuis la préhistoire.
Daphné B. ,sous forme de courts chapitres, évoque à la fois sa vie personnelle, convoque la sociologie mais aussi la poésie, la philosophie , sans oublier le féminisme pour brosser par petites touches un ensemble ma foi très convaincant , bien mené et qui m'a permis de voir le maquillage sous de nouveaux angles.
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Cet oeuvre est bien un objet littéraire non identifié, totalement inclassable. En faire un résumé relève de la gageure. A la fois autobiographie réflexion sociologique, économique, manifeste poétique, cet texte ambitieux est bien difficile à qualifier. Peu importe, le génie n'est pas loin. Daphné B. est très au fait des mécanismes de l'influence sur Instagram : et pour cause elle y est immergée à la fois en subissant et en l'analysant, comme une mise en abyme. le lecteur nage donc parfois en pleine contradictions dans ses pensées. Féminisme, capitalisme ultra libéral, marketing vicieux : le maquillage, sous la plume de Daphné B, n'est plus un sujet frivole s'il en était.
Il est de bon ton de parler "des jeunes" et de leur rapport houleux avec les mondes numériques et leurs "dangers" réels ou supposés. Voilà une jeune bien ancrée dans cette réalité qui a l'intelligence de l'analyse et qui assume sa position de femme maquillée, sur-consommatrice et ultra-fan.
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Un livre étrange qui m'a mis un peu mal à l'aise : le concept du "sugar daddy" n'est pas compatible avec ce que j'imagine être la vie d'une femme, jeune ou pas. Merci à Net Galley de m'avoir permis de lire ce texte.
Il me faut reconnaître néanmoins reconnaître que cet "essai" se lit facilement, est émaillé de références intéressantes et d'une réelle réflexion personnelle de l'auteur.
Car qui est-on vraiment lorsqu'on se maquille ? Pourquoi les femmes se maquillent-elles ? Quelles injonctions de perfection se cachent derrière les slogans publicitaires ? Une femme qui se maquille est-elle "faible" car elle ne peut se montrer sous son aspect véritable ? Une femme qui ne se maquille pas, est-elle plus "puissante" car son visage est nu ? le corps des femmes, le visage des femmes toujours reflet de l'oeil des hommes, des pensées des hommes.
Au delà de la réflexion sur le visage et les injonctions faites aux femmes, une interrogation et une enquête sur ce qui se cache derrière les produits dits de beauté : extraction de certains produits par des enfants, salaires de misère et futilité d'une quête que l'âge et la mort balayeront.
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Idées reçues

J'entends déjà la team grognon :
"Un essai sur le maquillage ? Mais ce n'est pas un peu superficiel comme sujet ? Ne pourrait-on pas parler littérature ? Ou bien politique ? Les élections approchent après tout" 🙄🙄🙄

Je n'ai jamais considéré le maquillage (ni la mode d'ailleurs) comme quelque chose de frivole. Au contraire, en tant que femme et mère de deux adolescentes, il fait partie de notre vie. Oh, et je préfère parler maquillage que foot 😁

Dans cet essai, Daphné B. nous parle de l'industrie du maquillage, de son histoire, de son retentissement social à l'époque où le selfie est roi, mais également de son propre rapport au maquillage.

J'ai apprécié les références continues, Daphné B. cite ses sources, donne les versions originales des textes traduits, renvoie à des sites internet.

Cet essai hybride est à la fois instructif et touchant. Il débute avec des faits et progressivement le ton se fait plus intime, l'auteure se dévoile. On sent une évidente sincérité dans ces lignes.
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critiques presse (1)
LeMonde
11 octobre 2021
Aussi agile de sa plume que de ses pinceaux à maquillage, ­Daphné B. orne ses réflexions d’une écriture superbe, aussi lucide que ­sensible – un fard qui n’a rien, lui non plus, de superficiel.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Quand je me maquille, je n'ignore pas tout l'argent que je dilapide en poudre et en crème. Je sais que mes dépenses me plombent, comme elles plombent le monde, que je sature de mes déchets. Quelque part sur Reddit, j'ai même trouvé une feuille de calcul qui permettait de déterminer combien d'années d'ombres à paupières je possédais . En me basant sur le nombre de fards que j'ai chez moi, j'ai découvert que j'avais six ans de fards devant moi. Et ça, c'est si je me maquille sept jours sur sept, en utilisant toujours au moins trois couleurs. Je consomme peut-étre autant parce que j ai un trou dans le coeur, un cratère de la taille d'un rouge à lèvres Ruby Woo. J'essaie de remblayer ma béance rouge-bleu vif, maculée de la nuance de rouge à lèvres MAC qui s'écoule à raison de quatre tubes par minute. J'imagine les tubes en forme de balle qui s'accumulent. Ils forment des tas de munitions racontent une guerre mondiale perpétuelle.
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Les cosmétiques, qu'il [Ovide] conçoit comme les armes nécessaires d'un «combat» hétérosexuel, donneraient à voir un spectacle choquant. Le poète demande aux soldates de prétendre qu'il n'y a tout simplement pas de conquête à mener. Seuls les hommes ont le droit d'en entreprendre (et de les multiplier). Les femmes qui manifestent leur désir délibéré de plaire risquent de passer pour des prostituées. La toilette féminine paraît obscène, parce quelle met en évidence une recherche de plaisir, mais aussi parce qu'elle traduit une situation où la femme est l'auteure de sa propre image. Le spectacle qu offrent ses « petites boites alignées sur la table», ce sont toutes les techniques, savoirs et connaissances qu'elle possède pour en user, et qui semblent menacer celui ou celle qui n'est pas initié-e.
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On dirait que le maquillage ne nous semble acceptable que lorsqu'il se cache, occulte le geste même qui l'a fait naitre. On tolère l'artifice s'il est doublement mensonger et quil camoufle sa véritable nature. Ça passe quand ce n'est pas voyant et que ça a l'air «naturel». On applaudit le «no makeup» makeup look, ce maquillage savamment invisible, qui ne dit pas ce qu'il est. On aime les looks qui subliment subtilement une beauté préexistante sans venir modifier drastiquement les traits du visage. Pas de métamorphose, mais un éclat délicat, une touche de fard qui se déguise en vraie peau, qui tente par tous les moyens de ne pas crier: fiction! Lornement ne doit pas se voir, mais faire voir il lui faut montrer sans se montrer. C'est ça, dit-on, le bon goût.
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En ne voyant qu'une manifestation de notre décadence dans la culture de la beauté, dans ce qui a trait à l'ornementation des corps, on enferme le maquillage dans une vision sexiste qui associe les ravages du capitalisme à la femme, et plus particulièrement aux soins du corps.
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On est porté à railler les visages fardés plutôt qu'à louer le talent artistique qu'ils démontrent. On aime se moquer des filles qui se poupounent «trop », parce qu'elles usent de l'artifice, qu'on oppose à la beauté. Comme la fioriture, le maquillage est élé- gant, jusqu'à ce qu'il devienne excessif ou de mauvais goût. C'est peut-être pour cette raison-là qu'un jour, une autrice avec qui je parlais de mon intérêt pour le maquillage s'est empressée de me dire qu'elle ne s'était jamais maquillée et qu'elle était fière de ça. Alors, moi qui suis maquillée, devrais-je avoir honte? Suis-je une enquiquineuse, une illusionniste en chef, une magicienne à deux cennes avec zéro lapin dans mon chapeau, mais beaucoup trop de noir sous les yeux?
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Videos de Daphné B. (11) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de  Daphné B.
Daphné B. lit un extrait de son nouveau recueil de poésie « La pluie des autres », en librairie le 6 avril 2022.
**** Comment sauver une amie sans risquer sa propre vie ? Une nouvelle voisine, aperçue de loin, s'absente de l'école. Très tôt, se dessine chez la narratrice l'envie de la connaître et de la sauver de sa mystérieuse maladie.
Elle-même aux prises avec l'amour blessant de sa mère, la narratrice tente de départager son amitié et son amour pour Alejandra, atteinte d'un trouble alimentaire qui l'efface peu à peu du monde.
« La pluie des autres » est un recueil dur, rempli d'images magnifiques, qui explore les fragiles limites entre l'amitié et l'amour, entre la vie, la survie et la mort.
Destiné aux ados, il saura toucher au coeur toutes ses lectrices et tous ses lecteurs tant les images qu'il convoque sont puissantes et justes.
Pour en savoir plus https://bit.ly/3qKE9zX
**** Lecture : Daphné B. Réalisation : Farid Kassouf Couverture : Ohara Hale
*** La collection Poésie de la courte échelle rassemble des oeuvres signées par des voix montantes de la poésie actuelle et propose des textes portés par un fil narratif qui met la poésie à la portée de tous et toutes.
+ Lire la suite
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