Haut niveau de réflexion dans ce livre qui entend replacer l'innovation technologique dans son contexte économique mondial sur le long terme. J'ai beaucoup apprécié les deux premières parties qui démontrent l'origine crypto-anarchiste de l'intention créative à l'initiative de la création de la technologie
blockchain et… ses contradictions : la chaîne comme symbole de liberté ?... la disparition de l'autorité centralisée au travers d'une chaîne immuable dont les informations ineffaçables s'imposent comme référence pour l'éternité ?....la notion de confiance au coeur d'une technologie qui, justement, par son fonctionnement déterministe, l'élude ?...
On déduit un cadre d'application de cette nouvelle technologie, une mesure de l'utilisation qui pourrait en être faite, indépendamment de son concept et de son origine idéologique.
Il est ensuite question de la mise en pratique de la technologie qui… elle aussi achoppe en partie à réaliser son ambition théorique :
- la centralisation est loin d'être absente des
blockchains postérieures au bitcoin ;
- elle est de toute façon fortement relativisée pour celui-ci, puisque les trois plus gros centres de calcul regroupent à eux seuls plus de 50% de la capacité de calcul (et donc de la capacité décisionnaire à valider les transactions !) ;
- le « déterminisme », certes avéré dans le fonctionnement de la chaîne, a pourtant besoin de l'information d'un « oracle » (cette entité qui renseigne la chaîne sur les conditions de réalisation du monde extérieur), ce qui n'élude donc pas la « défiance » et la prise de décision humaine ;
- la transparence, évidemment, est limitée pour les
blockchains permissionnées et privées ;
- la gratuité du traitement du calcul est faussée par les « frais de gas » ;
- l'égalitarisme prétendu est dégradé par les chaînes qui fonctionnent sur le « proof of Stake » (comme ETH) puisque les transactions les plus attractives sont les mieux rémunérées – en plus, elles rémunèrent les centres de calcul qui peuvent déjà aligner une richesse supérieure à la moyenne des noeuds du réseau ;
- etc.
Bien que le fonctionnement de la
blockchain soit très bien décrit, j'ai regretté que le fonctionnement des smart contracts et des DAO soient totalement évité.
La suite du livre m'a paru moins incisive : la démonstration selon laquelle les crypto-monnaies sont des vraies monnaies est poussive et assez peu convaincante ; les propositions de calcul de la valeur du bitcoin m'ont paru assez spéculatives (ça ne marche pas avec les données actuelles) ; les exemples d'applications ne mentionnent aucun cas dans l'industrie et aucun cas de DAO (encore !).
La classification des acteurs est cependant intéressante :
- facilitateurs d'appropriation qui fournissent les outils (accompagnateurs ou mineurs, échangeurs ou fournisseurs de crypto-monnaies, régulateurs, coffre-forts),
- crypto-monnayeurs qui utilise les BK depuis des couches supérieures (pour le confort de l'utilisateur et une extension des capacités de la
blockchain initiale qui signe en même temps l'éloignement de ses caractéristiques premières),
- process winners (qui améliorent les process de l'entreprise), et
- DAPPS, qui font office de process winners et de crypto-monnayeurs à la fois.
Il ressort la description d'une technologie innovante, qui fait son chemin ; dont les principes de base, adaptés, mènent sans doute à la création d'un nouveau secteur de l'économie, mais qui ne saurait être considérée sous l'angle exclusif de ses « avantages-compétitifs » : ils sont très largement subvertis par les acteurs qui tournent autour de la
blockchain et qui, pour beaucoup, sont des acteurs de l'économie traditionnelle (par exemple, les « échangeurs » fonctionnent comme des banques, ces intermédiaires que la
blockchain est soi-disant censé éliminer).
Un secteur plein de promesses qui cherche son efficacité…