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Oedipe au Liban. Oedipe sur les routes de Sabra et Chatila.

La quête impitoyable d'une filiation maudite.

Jeanne et Simon, les deux enfants de Nawal Marwan, morte mutique et close sur son secret, pour donner au corps de leur mère une sépulture digne et un repos qu'elle n'a jamais trouvé, remontent le fil du temps, reviennent mettre leurs pas dans ses pas.

Remonter la chaîne de la colère et de la haine pour la briser, enfin. Découvrir la vérité et l'horreur pour les dire et les conjurer, enfin.

De Montréal, dans le cabinet rassurant d'un notaire vaguement ridicule avec son langage imagé et approximatif , à un "pays natal " , qui ne dit pas son nom mais où on reconnaît le Liban si longtemps dechiré par des luttes fratricides-et pays natal de Wajdi Mouawad- Jeanne et Simon remontent à leur naissance, en quête d'un père et d'un frère que leur mère leur a toujours cachés.

De tableaux en tableaux où présent et passé se mêlent ou se côtoient , ces modernes enfants de Jocaste reconstituent le puzzle d'une famille tragique. Simon, le boxeur et Jeanne, la mathématicienne auront besoin l'un, de sa pugnacité, et l'autre, des mystères poétiques de la mathématique moderne, pour affronter et pour déchiffrer les vérités dérangeantes - 1+1 font -ils vraiment 2?- ou pour réussir l'impossible reconstitution de leur polygone familial à l'aide d'une " vision périphérique" incomplète ou inopérante.( j'ai découvert, grâce à Jeanne, la théorie des graphes et de la vision périphérique , mais ne suis pas sûre de pouvoir vous l'expliquer!)

Texte génial, à la fois subtil et violent, poétique et politique, éternel, mythique mais évidemment incarné, allusivement historique!

Je ne l'ai pas vu porté à la scène, mais j'ai vu au moins trois fois le formidable film de Denis Villeneuve qui en est l'adaptation.

Et pendant toute ma lecture de la pièce , la "femme qui chante" avait les traits de la superbe Lubna Azabal.

Il faut lire ce grand texte théâtral contemporain... et voir ce film qui l'adapte à l'écran sans le trahir.
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Complexe, compliqué, difficile, délicat, malaisé... Ce sont les adjectifs qui me poursuivent (après un détour par un dictionnaire des synonymes, il est vrai) depuis que je me suis dit que j'allais devoir m'attaquer à la critique d'Incendies de Wajdi Mouawad. En l'occurrence, la difficulté pour moi vient de la nécessité de rendre compte de ce que la pièce m'a fait ressentir, mais aussi de dépasser ça pour atteindre une relative objectivité me permettant d'esquisser mon analyse de la pièce. J'essaie souvent de me détacher un minimum de mes sensations de lecture pour écrire mes critiques - ça doit être mon côté psychorigide. Et puis quand j'ai adoré un livre, une pièce, j'ai toujours peur que mon enthousiasme ait pour conséquence une grosse déception chez ceux qui les découvriront après que les y ai poussés. Bon, je ne fais que tergiverser et retarder l'inéluctable. Incendies, c'est une pièce qui prend aux tripes, dont on ne sort pas facilement indemne. le seul autre exemple que j'ai en tête pour cette année, c'est Un Sang fort de Wole Soyinka, et c'est déjà pas mal. Trop d'émotion de ce genre serait préjudiciable (préjudiciable à quoi, je sais pas trop, mais préjudiciable, c'est certain).


Incendies peut se lire indépendamment de Littoral, qui était la première pièce du cycle le Sang des promesses de Wajdi Mouawad. Mais les thèmes se recoupent : mort d'un des deux parents, découverte du pays d'origine, découverte de l'histoire familiale, quête d'identité. Et la guerre, bien entendu, qui a ravagé le Liban. Ainsi que la référence au théâtre antique, que Mouawad s'approprie de façon à la fois étonnante et percutante ; je ne peux en dévoiler plus sur ce point, ce serait gâcher complètement la pièce à ceux qui vont la découvrir.


Jeanne et Simon sont des adultes d'environ trente ans, jumeaux, qui viennent de perdre leur mère, après qu'elle se soit murée durant cinq ans dans le silence le plus complet. le testament qu'elle laisse est des plus étranges : un document pour chacun des deux jumeaux ; rien que le terme "jumeaux" utilisé dans le testament , qui semble dénué d'émotivité, est curieux, déstabilisant, et provoque la colère bien compréhensible de Simon. Mais il y a plus. Leur mère leur demande de retrouver deux personnes : leur père, censé être mort, et leur frère, dont ils ne connaissaient pas l'existence. À chacun de mener sa mission, à chacun de porter sa croix séparément. Pour Jeanne, ce sera le père. Pour Simon, le frère. Si Jeanne, qui enseigne les mathématiques, et plus particulièrement la théorie des graphes - ce qui se révélera essentiel -, se montre curieuse et décidée à suivre les directives de sa mère, Simon s'y refuse nettement, jusqu'à ce que le notaire se propose de l'accompagner, arguant du fait que rechercher son frère l'aidera peut-être bien à avancer dans la vie. Et les voilà embarqués chacun de leur côté dans un voyage au Liban, pays natal de leur mère. Une mère qu'ils ne connaissaient finalement pas, ne sachant rien de son passé avant son arrivée au Québec. Or, ce passé implique la guerre civile des années 70-80. Il n'est quasiment habité que par la mort et la violence. Mais aussi par l'amour.


Ce que découvriront Jeanne et Simon, c'est l'histoire d'un pays en guerre, c'est l'histoire d'une société qui refoule les réfugiés et les assassine, de réfugiés qui deviennent à leur tour des assassins, c'est l'histoire de ceux qui veulent résister à la violence et qui basculent à leur tour dans la violence ou cherchent une autre voie ; c'est l'histoire des crimes perpétrés par l'humanité tout entière. C'est aussi l'histoire de Nawal, la mère, et l'histoire de Jeanne et Simon, qui vont être confrontés à leurs origines - ceci impliquant des révélations traumatisantes, au point qu'on se demande si cette quête aura été salutaire ou destructrice pour eux. le choix leur est en quelque sorte laissé, un choix dont on ne sait s'ils pourront l'assumer, ni s'ils pourront porter le poids qui sera désormais le leur.


La composition de la pièce n'est en rien linéaire. Elle est parsemée d'allers-retours dans la vie de Nawal en parallèle au voyage initiatique des jumeaux, ainsi que de retours sur l'histoire d'autres personnages. Certains personnages morts côtoient par moments les vivants, sans que les uns et les autres puissent communiquer. Et bien que cette construction n'ait rien de linéaire, Mouawad nous mène, presque malgré nous, tout droit vers la fin de cette tragédie aussi bien antique que contemporaine. Intemporelle, universelle, pourrait-on dire. Chaque personnage a sa raison d'être, et la plupart sont plus complexes qu'ils n'en ont l'air - même le notaire, par exemple, qu'on pense avoir un rôle d'abord très secondaire, mais qui part au Liban avec Simon alors qu'a priori, ça n'est en rien son affaire. C'est une force de la pièce d'avoir donné une double identité à la plupart de ses personnages - à commencer par la présence de jumeaux (jumeaux qui sont une des références au théâtre antique, je peux au moins dire ça). Et c'est une force de Mouawad que d'avoir utilisé d'une manière aussi personnelle sa passion pour le théâtre antique.


Une pièce sur la quête d'identité, sur le mal en germe chez l'être humain et sur sa capacité à le dépasser ou non, sur la possibilité ou au contraire l'impossibilité d'échapper à l'histoire familiale, sur la question du destin et de la fatalité. Tout ça impeccablement maîtrisé, au point que vous en aurez, peut-être, un noeud dans la gorge.


Ah, j'oubliais : lisez la petite préface de Wajdi Mouawad ; le coup du clown triste (que malheureusement Denis Villeneuve a évacué de son film, pour des raisons que je ne m'explique pas) vous reviendra en tête plus tard, et vous comprendrez comment Wajdi Mouawad travaille pour créer ses pièces, et comment la participation des comédiens a pu nourrir celle-ci et lui apporter un élément éminemment saisissant.


Enfin, une fois n'est pas coutume, merci à Meps pour m'avoir poussée à lire Mouawad (oui, même Littoral), à Bruidelo, pour m'avoir poussée à écrire cette critique-ci, et à bookycooky, qui me soutient tout le temps... ainsi qu'à tous les autres, car pourquoi être mesquin et se limiter à trois remerciements seulement ??? Bon, là, j'ai comme le sentiment d'être une femme politique cherchant à se faire (ré)élire, ou encore Molière léchant les bottes de Louis XIV, le talent en moins (et non, soyons clairs, je ne dis pas ça pour que vous me répondiez "Mais si, tu es aussi douée que Molière, et même davantage" ; cependant vous êtes autorisés à le faire et je vous croirai alors sur parole).

Lien : https://musardises-en-depit-..
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C'est grâce à ma fille que j'ai découvert cette pièce de théâtre. Elle l'a étudiée en classe, l'a beaucoup aimée et m'a conseillé de la lire.

C'est en effet une très belle pièce. Il s'en dégage une atmosphère forte en intensité dramatique.


L'auteur Wajdi Mouawad, comme il l'explique dans la préface, a écrit cette pièce en s'inspirant du jeu et des envies des comédiens. Au fur et à mesure des répétitions, il écrivait le texte, influencé par la personnalité de chacun. Cela peut paraître surprenant mais pas tant que cela finalement. Certains auteurs de cinéma écrivent bien des scénarii en s'inspirant de la personnalité des acteurs déjà choisis.
Si le texte s'en trouve enrichi, il ne faut cependant pas négliger l'influence de l'expérience propre de Wadji Mouawad, homme de théâtre québécois, qui a dû quitté son pays natal, le Liban, à l'âge de dix ans. La guerre civile y faisait alors rage.


En faisant quelques recherches sur Internet, je me suis aperçue que cette pièce avait également été adaptée au cinéma et que le film avait reçu de nombreuses récompenses.
Ce qui n'est guère étonnant au vu du caractère poignant de l'histoire que nous raconte Wajdi Mouwad.


Cette histoire repose bien évidemment sur la terrible répression subie par les habitants lors de la guerre civile au Liban mais prend toute son essence dans la tragédie grecque. Je ne vous dirai pas de quels personnages de mythologie elle s'inspire car cela dévoilerait l'intrigue finale.


Deux fils de narration composent cette pièce. On suit tout d'abord Jeanne et Simon. Leur mère, Nawal, vient de mourir et leur lègue un testament des plus surprenants. Par les dernières volontés de Nawal, ils apprennent que leur père qu'il croyait mort est bien vivant et qu'ils ont un frère dont ils ignoraient l'existence. S'ensuit une quête à la recherche de leur père et de leur frère qu'il les mènera jusqu'au Liban.
Le deuxième fil de narration nous transpose bien des années auparavant alors que Nawal n'est qu'une jeune fille que l'on suivra ainsi jusqu'à ses soixante ans, ce qui permet de dévoiler au lecteur/spectateur les différents éléments de réponse aux interrogations de Jeanne et Simon.


Cette composition renforce bien sûr le côté tragique et intense de l'histoire, chaque époque se renvoyant l'une à l'autre. Les personnages des deux époques se croisent, s'interpellent dans une sorte d'intemporalité qui crée de l'angoisse. Les dialogues se percutent, se fracassent, se révèlent les uns aux autres pour finalement se rejoindre, ne faire plus qu'un lorsque vient l'heure de la révélation des secrets...
Toutes les vérités sont dites. le rideau peut alors se fermer.
Et le spectateur, encore abasourdi, d'applaudir.
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A la mort de leur mère, Simon et Jeanne, des jumeaux âgés de 22 ans, découvrent que cette dernière leur a caché l'existence de leur père, qu'ils croyaient mort depuis longtemps ainsi que celle d'un frère aîné. Afin de répondre aux dernières volontés de Nawal, Simon est chargé par le notaire de remettre une lettre à leur frère tandis que Jeanne se voit confier une lettre pour leur père. Si le jeune homme laisse éclater sa colère face à cette demande incongrue, sa soeur en revanche voit dans cette requête l'occasion de lever le voile sur le passé obscur de cette mère secrète et tourmentée et ainsi de remonter aux sources de leurs origines. du Québec au Liban, le voyage s'avèrera riche en surprises et en révélations. Une quête d'identité menée tambour battant, qui pourrait bien changer l'avenir des jumeaux à jamais…


J'avais été marquée il y a quelques années par l'adaptation cinématographique de la pièce de Wajdi Mouawad par Denis Villeneuve. L'histoire, terriblement sombre et glauque, m'avait vraiment perturbée à l'époque et je dois dire qu'en lisant cette fois la pièce d'origine je me suis de nouveau retrouvée imbibée par ce malaise et cette tension ambiants. N'ayant pas l'habitude de lire des pièces de théâtre, contemporaines du moins, je ne m'attendais pas à subir un choc aussi violent à la lecture de celle-ci…

Dès les premières phrases, je me suis trouvée emportée par la beauté et la puissance de l'écriture. Sa justesse et son souffle dramatique m'ont donné des frissons, rendant les personnages terriblement vivants et l'histoire encore plus terrible. Wajdi Mouawad, à travers le récit de cette tragédie familiale, nous fait naviguer entre passé et présent et c'est pour lui l'occasion d'explorer et de mettre à jour les souffrances d'un pays déchiré, défiguré par les guerres et par la haine et d'où l'espoir a déserté. Les secrets sont déterrés au fur et à mesure, révélant leur horreur dans un final époustouflant et extrêmement intense. « Incendie », qui est le deuxième volet d'une tétralogie, est un texte brillant et percutant et restera l'une des lectures fortes de cette année 2015. A découvrir absolument !


Challenge Variétés : Une pièce de théâtre
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Nawal Marwan, Libanaise, meurt au Canada. le notaire, Hermile Lebel convoque les enfants, les jumeaux Jeanne, prof de maths et Simon, boxeur. le voeu testamentaire de leur mère est spécial : que Jeanne remette une lettre à son père ; que Simon remette une lettre à son frère. Mais pour cela, il faut d'abord les retrouver, et donc retourner au Liban. A travers ces recherches, Jeanne et Simon ( plus réticent ) découvrent, derrière le silence de leur mère, toutes les horreurs de la guerre qu'elle a subie au Liban ; guerre que eux n'ont pas vécue.
.
Du sang, il y en a beaucoup.
Des promesses, Nawal en fait pour "tenir" malgré le sang de la guerre : il y a d'abord la promesse faite à sa grand mère pour briser le cercle de la violence : lire-écrire-penser ; puis elle fait le serment de retrouver deux personnes, mais elle meurt, alors ces missions seront celles de ses enfants.
.
C'est une deuxième lecture pour moi. Ce livre est l'écriture d'une pièce de théâtre épique contemporain.
Beaucoup d'émotions circulent derrière ces descriptions de scènes de guerre, de tueries, de vengeances. Heureusement ou malheureusement, ces émotions me dépassent. Ceux qui ont vécu la guerre auraient mieux « bu » les incendies de bus, les coups de fusils, les viols et les tortures, à moins que, comme certains, ils aient effacé tout cela de leur mémoire.
La construction est faite de bric et de broc, sans doute à l'image de ce qu'est une guerre de miliciens, sans cohérence. On a du mal à se retrouver avec tous les flash back volontaires.
Les dialogues des enfants avec la mère morte sont intéressants pour le spiritisme.
Les interventions de Nawal sont très fortes, tout comme celle de Chamseddine. Simon peut avoir de l'humour, et détendre involontairement l'atmosphère.
C'est un livre rempli de symboles, en particulier avec les phrases répétitives, comme :

« Maintenant que nous sommes ensemble, ça va mieux », qui semble être le symbole de la dispersion familiale imposée par la guerre ;

« L'enfance est un couteau que l'on vient de me planter dans la gorge. », pourrait symboliser le passage direct à l'âge adulte, sans passer par la case « enfance », quand il y a une guerre.

« You know, Kirk... », est pour moi le pétage de plombs ( de Nihal ) dont les valeurs n'ont jamais été cadrées, pour cause de guerre.

J'ai aimé l'engagement, « La promesse » faite à sa grand-mère de lire, écrire et penser, car elle donne un fil directeur, des valeurs à Nawal pour ne pas se faire exploser au milieu des miliciens, afin de casser le cycle de vengeance expliqué par le médecin.

C'est un livre de guerre pour inciter à la paix, et en cela, Wajdi Mouawad mérite le respect.
La guerre du Liban, ou guerre civile libanaise, est une guerre civile ponctuée d'interventions étrangères qui s'est déroulée de 1975 à 1990 au Liban en faisant entre 130 000 et 250 000 victimes civiles.
Wajdi Mouawad, Libanais d'origine, a été très marqué par ce conflit, même s'il a quitté son pays pour le Québec en 1978, à l'âge de dix ans.
Autour des années 2000, l'auteur a rencontré la résistante libanaise Souha Bechara, dont le combat fut une source d'inspiration pour Mouawad.
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J'aime les textes riches avec des mélanges étonnants, remuants, et avec Incendies, je suis servie! Tout s'y mêle, l'Histoire, le mythologique, l'intime, le présent et le passé, la haine et l'amour... Wajdi Mouawad réussit à évoquer les horreurs bien réelles de la guerre du Liban en s'affranchissant de la pesanteur de l'anecdotique, dans une tragédie moderne où l'histoire d'amour fait penser à Roméo et Juliette, où le recours à la mythologie grecque nous fait ressentir à quel point la guerre est folie.
Embringués dans le vertige des engrenages, sangs, beauté, horreur mêlés, dans le grand jeu du balancier d'amour et haine, on apprend qu'1 + 1 ne font pas toujours 2, on suit Jeanne et Simon dans leur quête, on découvre la femme qui chante, qui malgré l'effroyable continue à se demander comment, dans l'escalade monstrueuse et démente de la violence, tenir la belle promesse, sortir de la haine, comment « Ne haïr personne, jamais, la tête dans les étoiles, toujours ».
Wajdi Mouawad, tout en faisant preuve d'une « volonté têtue d'interroger sur scène les brutalités du monde contemporain, tel qu'il a été façonné par la violence démesurément meurtrière des guerres qui ont émaillé le long XXème siècle », veut tenter de trouver, derrière la dune la plus sombre, la source de beauté, et c'est fort, émouvant, poignant.
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Mouawad, c'est toujours too much. Trop de dialogue (les scènes sont presque toujours réduites à deux personnages), trop de texte (alors qu'il s'agit d'expliquer un silence), trop de ruptures de ton (la lecture pathétique du testament de la mère suivie de la bordée d'injures fleuries du fils), trop de symboles (la pluie diluvienne qui tombe pour clore une pièce intitulée « Incendies »), trop de mystique éducative (la prison devenue une école), trop de références (Tirésias = Chamseddine et je m'en tiendrai là pour ne pas divulgâcher davantage)…
Après, il suffit de se pencher 2 mn sur l'histoire du Liban pour se dire qu'en ce qui concerne l'outrance, ce n'est pas Mouawad qui a commencé.
Et s'il manie à ce point l'excès, peut-être est-ce l'autre nom de la générosité. Candide, généreux, outrancier : il y a du Victor Hugo dans cet homme-là.
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J'ai découvert Wajdi Mouawad en lisant son roman Anima, puis en découvrant qu'il était aussi auteur de théâtre, j'ai eu envie de lire Littoral (premier tome de la tétralogie le temps des promesses), puis envie de le voir adapté sur scène (Assoiffés d'abord, puis Littoral, au festival d'Avignon 2017) puis de lire Assoiffés après en avoir vu l'adaptation.

Ce parcours de découverte m'amène tout naturellement à Incendies, le tome 2 du temps des promesses. Comme le dit si bien Mouawad en introduction de la pièce, il ne s'agit pas d'une suite narrative mais d'une reprise de la reflexion autour de la question des origines.
A lire les premières pages pourtant, on sent la filiation narrative avec Littoral. Les débuts se ressemblent comme vus à travers des miroirs déformants, un sentiment de déjà lu qui fait presque peur, peur qu'on soit dans une redite et que le si talentueux Mouawad soit dans une forme de ressassement, ressassement d'une douleur qu'il a lui même vécu dans l'exil.

Et puis l'histoire se déroule et on voit comment il arrive à rendre les choses tout à la fois différentes et semblables. Les circonstances sont presque les mêmes, les protagonistes non. Leurs réactions divergent, la recherche de l'identité passe comme dans Littoral par un retour au pays des origines, par une confrontation à l'autre pour se connaitre mieux soi-même et apprendre qui l'on est réellement.

Ce que l'on y apprend est tragique, lourd, terrible. Lire Mouawad n'est pas un moment de détente et de rire garanti (même si l'humour est malgré tout présent au milieu du désastre). Lire Mouawad c'est se confronter à l'humain dans ce qu'il a de plus noir, et en ressortir malgré tout plus vivant.
C'est être bouleversé dans ses certitudes même quand on croyait avoir tout compris. C'est se retrouver face à l'invraisemblable et se rendre compte qu'il peut tout à fait être le réel. C'est voir une fiction tenter de se rapprocher d'une réalité par le biais de l'inenvisageable.

Bref,c'est une expérience de lecteur (et je l'espère un jour de spectateur... voire d'interprète...) assez indéfinissable que j'ai tenté de vous faire ici partager sans rien dévoiler.
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Incendies est la deuxième pièce d'une tétralogie, le sang des promesses. Elle est créée en 2003 et paraît la même année. Elle a connu plusieurs autres mises en scènes depuis sa création.

Nous sommes au Canada. Une femme, Nawal Marwan, vient de mourir. Hermile Lebel, le notaire qui a été son ami, lit son testament à ses enfants, Jeanne et Simon, qui sont jumeaux. Au-delà de la transmission de biens, Nawal charge chacun de ses enfants d'une mission : pour Jeanne ce sera remettre une lettre à son père, que tout le monde pensait mort, et pour Simon remettre une lettre à son frère dont il ignorait l'existence. Ce sera l'occasion pour l'un comme pour l'autre, de refaire un voyage dans le pays natal de leur mère, qui sans être nommé, ressemble au Liban, et surtout dans son passé, et donc dans leurs origines, dont ils vont vite comprendre, qu'ils ignoraient la plus grande partie. Il s'agit aussi, au-delà de rentrer dans l'histoire du pays de naissance de leur mère, de rentrer dans le processus de guerre civile, de violence, de haine, de destruction et de chaînes de meurtres.

La pièce est extrêmement complexe, puisque plusieurs époques se télescopent, parfois dans la même scène deux moments de l'histoire sont présents en même temps . Nous suivons Nawal depuis ses 14 ans jusqu'à sa mort. Les personnages sont dessinés, avec chacun sa personnalité, mais beaucoup d'éléments dans leurs vies restent en partie généraux et abstraits, et évoquent la situation historique au-delà de leur cas propre. le contexte est très complexe, Wajdi Mouawad ne raconte pas à proprement parlé la guerre, les différents camps en présence ne sont pas nommés par exemple, il y a des combattants, des affrontements, mais il ne nous dit pas qui combat qui. Ce qui vise d'une certaine manière à une forme d'universalité. Et qui rend impossible de désigner les bons et les méchants : chacun à son tour est victime et bourreau, dans des enchaînements de violence de vengeances, un engrenage sans fin. Même Abou Tarek, le terrible bourreau, est devenu ce qu'il est par un enchaînement de circonstances, la perte de sa mère, les divers expériences qu'il a vécues, ont provoqué ses comportements inhumains. Il ne peut y avoir de gagnants dans le processus de guerre, tout le monde perd à un moment ou un autre son humanité dans le processus en cours.

C'est une pièce puissante, d'une construction très élaborée, intégrant histoire, mythe, destin de l'humanité, dans un projet ambitieux et tenu de bout en bout. Impressionnant.
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Une fois n'est pas coutume, j'ai vu le film de Denis Villeneuve extrait de cette pièce (interprétée par ailleurs au théâtre) et qui m'a donné envie de lire la pièce de Wajdi Mouawad.

L'histoire : Jeanne et Simon Marwan sont jumeaux. Ils viennent de perdre leur mère, Nawal. A la lecture du testament, Jeanne reçoit une "lettre au père" et Simon une "lettre au frère". Pour offrir des obsèques décentes à leur mère, chacun devra la remettre à son destinataire. Situation surprenante... Simon refuse instinctivement de se soumettre à cette missison qu'il considère comme l'ultime accès de folie de sa mère. Jeanne, au contraire, espère y trouver la clé aux récents comportements énigmatiques de sa maman et brûle de soulever ce doute qui vient de s'abattre sur eux : les jumeaux croyaient leur père mort et n'ont jamais eu connaissance de l'existence d'un frère.

Jeanne quitte son Québec d'adoption pour pister la véritable histoire de sa mère. Elle se rend au Moyen-Orient dans un pays jamais nommé, marqué par les guerres successives, coupé entre le Nord et le Sud, entre nationalistes et réfugiés...
Dans un mélange d'indignation et d'affection, Jeanne a la force de se lancer dans cette odyssée homérique qui brasse dans un même élan les trajectoires intimes et l'Histoire du Moyen-Orient de ces quarantes dernières années.

Un voyage initiatique qui évoque les questions d'amour maternel, de filiation et d'identité dans un contexte de guerre civile, où la vérité fait jour, peu à peu, jusqu'à la révélation finale.

Une pièce de théâtre, un film, bouleversants.






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