Une américaine, espionne et soutien actif de la résistance française ? J'entends d'ici votre réponse : « Facile, c'est
Joséphine Baker ! »… Eh non, c'est Virginia Hall, «l'ennemie n°1 de la Gestapo». Klaus Barbie, gestapiste estampillé, la traquera et fera placarder des affiches dans tout Lyon avec son portrait-robot et la mention «L'espion le plus dangereux de l'ennemi» qui obligeront Virginia à fuir la France in extremis et dans des conditions périlleuses (elle avait une jambe de bois suite à un accident de chasse en 1933).
Plusieurs biographies lui ont été consacrées, celle de
Sonia Purnell étant la dernière parue en français. Merci aux Editions Alisio et à Babelio pour l'envoi dans le cadre de la Masse Critique de juin.
Pour y avoir séjourné avec bonheur en tant qu'étudiante pendant les années folles, La France est « le second pays » de Virginia. Employée de bureau d'ambassade en Europe lors du déclenchement de la seconde guerre mondiale, cette jeune fille de bonne famille américaine aisée plaque tout pour être ambulancière dans la France de 1940.
Avide de prendre part à la lutte contre l'occupant, elle commence sa carrière d'espionne au SOE (1). Parmi les toutes premières recrues à être envoyées en France (sous couverture en tant que journaliste accréditée du New York Post), elle « allait compter parmi les pionniers d'un tout nouveau type de guerre : des amateurs et des improvisateurs qui se mesuraient à la brutalité professionnelle de la Gestapo et de la police de Vichy ». Grâce à
Sonia Purnell vous découvrirez l'ampleur du travail effectué par cette personnalité hors normes et son « palmarès inégalé derrière les lignes ennemies ».
Après le SOE qui refuse de la renvoyer en France où elle est grillée (cf la fin du premier paragraphe de cette critique), elle va poursuivre sa carrière de femme de l'ombre à l'OSS (Office of Strategic Services), nouveau service américain qui cherchait à recruter « des gens peu orthodoxes capables de mener une guerre peu orthodoxe » et aptes à préparer les résistants français à jouer un rôle crucial lors du débarquement proche. Là encore, elle va se révéler « l'un des principaux pionniers dans le domaine de la guerre clandestine ». Allers-retours entre Paris et le centre de la France (elle est activement recherchée par la Gestapo), organisation et approvisionnement de mouvements résistants de Haute-Loire disparates jusque-là, renseignement et sabotages, elle va être sur tous les fronts à la fois, devant composer avec les ego et les convictions politiques… accessoirement, elle y rencontre son futur mari.
Fin de la guerre et l'OSS va être dissous par Truman, le nouveau président américain.
Début 1946, la perspective de la guerre froide avec l'URSS obligea celui-ci à créer le CIG (Central Intelligence Group). Virginia « fut l'une des premières femmes à rejoindre ce qui deviendrait plus tard la
Central Intelligence Agency ou CIA », dont la mission était des « opérations psychologiques secrètes destinées à contrer les activités soviétiques et d'inspiration soviétique » dans le monde entier. Elle ne retrouva jamais de missions à la hauteur de ses attentes (« Dans un rapport secret sur sa carrière, la CIA a admis que ses collègues officiers avaient le sentiment qu'elle avait été mise sur la touche, reléguée sur des dossiers mineurs, parce qu'elle avait tellement d'expérience qu'elle faisait de l'ombre à ses collègues masculins, qui se sentaient menacés»). Les pages consacrées à cette période donnent un aperçu des dérives de la CIA dans ces années-là.
Cette biographie se lit comme un roman… Virginia Hall était destinée au sort réservé aux femmes de l'époque : « obéissante, se consacrant à la maison et aux enfants ». Forte personnalité, libre et courageuse, « cette écolière de Baltimore devenue une héroïne de la Résistance française » (
Washington Post) fut « l'un des agents les plus efficaces et les plus fiables » (New York Times). Elle fut fidèle jusqu'à l'abnégation aux gens qu'elle enrôla dans ses réseaux et garda beaucoup d'amis parmi ceux qui survécurent.
Deux bémols :
- une traduction très moyenne par moments, des fautes de français et des coquilles d'impression m'ont agacée ; peut-être ai-je reçu une première impression non relue et corrigée ? Mais aucun élément dans l'envoi ne le laisse penser.
- une insistance, tout au long du livre, sur les difficultés de Virginia face à certains des hommes qu'elle côtoie à cause de leur machisme et de leur mesquinerie ; seules une ou deux allusions permettent de subodorer que ces difficultés sont peut-être dues en partie à la nature dominatrice, brusque et secrète de celle-ci. Il serait intéressant de comparer cette biographie écrite par une femme, avec ‘'
L'espionne'', biographie de Virginia Hall écrite par un homme,
Vincent Nouzille, journaliste également.
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(1) https://www.babelio.com/auteur/
Sonia-Purnell/583281/citations/2406493