La dernière parution de la collection Griffe Sombre des Éditions du Chat Noir nous propose d'entrer dans une nouvelle saga, puisqu'il s'agit ici du premier tome de Crimes Surnaturels de
Pauline Sidre (autrice de
Rocaille aux Éditions Projet Sillex).
Chaudron de bruyère plussoie l'existence de la sorcellerie. Aujourd'hui, le terme de sorcière/sorcier, rétrograde, le terme de sortilégeant.t est usité ; sortig pour la version abrégée. Les personnes sortilégeantes ne sont pas encore réellement acceptées par les profanes (alias les moldus), elles sont parfois considérées comme des curiosités. Entre les sortilégeants et les profanes, il y a un certain écueil, d'autant plus que les deux ne peuvent pas se « mélanger », les relations amoureuses étant interdites.
Malgré ces deux communautés bien définies, des électrons libres apparaissent d'emblée dans le récit, via les personnages principaux. Bénédicte, le commissaire profane en proie aux visions. Sésanne, sa secrétaire solaire à la personnalité atypique. Lycaon, la jeune recrue, fraîchement diplômée limier, un métier déshonorant. Tous les trois gravitent entre simples humains et sortilégeants.
Bénédicte et Sésanne travaillent ensemble depuis plusieurs années, au sein de la DCCS (Direction Centrale des Crimes Surnaturels). Ce département du ministère de l'intérieur ne compte que le commissaire ronchon et la secrétaire plurielle. D'ordinaire laissés dans un coin, voilà qu'une affaire impliquant profanes et sortilégeants leur tombe dessus. Un corps les attend à Tilliac. Village aux rues (très) pentues, maisonnettes pourvues de jardins, parc et bois sauvages : un charme rustique et ancestral.
Sur place, le jeune Lycaon est amené par l'inspecteur Verdin pour sa première enquête. Les limiers sont des sortilégeants capables d'affûter leurs sens, ce qui s'avère pratique sur une scène de crime. Pourtant, le choix de carrière de Lycaon détonne puisque cela fait des décennies qu'il n'y a plus eu de limier. le décès de la dernière limière en date a abouti à un procès sans précédent. En effet, les limiers sont perçus comme des subalternes, le démontre le « mode d'emploi » envoyé par le supérieur de Bénédicte.
À Tilliac, un deuxième corps est retrouvé. Les victimes semblent endormies, elles ne présentent aucune blessure, aucune plaie ; toutefois, il leur manque des organes. Quel monstre peut faire ça ? L'affaire s'annonce ardue, l'une des victimes étant une touriste : peu d'éléments pour nos enquêteurs. Mais alors que la pluie torrentielle provoque la crue de la rivière, les voilà contraints de demeurer à Tilliac. En parallèle, ils découvrent l'existence du Cercle de Bruyères, des adeptes du surnaturel spécialistes en généalogie qui admire une sortilégeante phare ayant vécu à Tilliac.
Le surnaturel et l'étrange s'épaississent. Dès qu'il a mis les pieds à Tilliac, Bénédicte a bien souvent des visions, entre son Cauchemar (traumatisme de son enfance) et ses rêves éveillés, il approche bien trop de la folie, tragique destinée des visionnaires. de son côté, Sésanne lutte de plus en plus pour être elle-même, ce qui s'avère mission impossible avec l'aura d'Athé, qui la harcèle sans cesse. Quant à Lycaon, le Cercle de Bruyères s'intéresse à lui du fait de sa nature de sortilégeant, ce qui le met très mal à l'aise, d'autant plus qu'avec ses sens affûtés, il perçoit les miasmes de sombres sortilèges peser sur Tilliac.
Lorsqu'ils aboutissent à un lien : un conte ancien, celui de l'illustre sortilégeante admirée par le Cercle, avec le chaudron dans le bois, installé au creux des troncs de trois chênes entrelacés. Sang humain et poison. Ils ont affaire à un démon ; mais lequel ? Ils doivent remonter dans le passé pour comparer aux événements du présent. Pourtant, la logique esquissée s'essouffle. Ils ne sont pas au bout de leur peine pour démêler les fils de cette enquête.
D'une plume quasi minimaliste,
Pauline Sidre trace les contours de Tilliacs, de l'intrigue, des décors et de ses personnages en ayant le sens aigu des mots, des évocations, des images. L'atmosphère est impeccable, nous plongeant tantôt dans les brumes et le givre du passé, tantôt dans l'éthéré et le liquide du présent. Fantômes et spectres brouillent la frontière si ténue entre la réalité et les visions. Nous voilà à notre tour errant dans les bois et le parc
De La Bruyère, sous la pluie diluvienne, trébuchant dans la boue et les lichens détrempés, respirant le vert de la végétation, une végétation qui se mêle à la pourriture et aux poisons.
Comme dans les anciens contes, les sorcières d'autrefois concoctaient de véritables potions, elles connaissaient les simples, prenaient plaisir à faire mijoter du poison… Et si un pacte démoniaque avait également été conclu ? Car il y a un monstre qui rôde, et il a de plus en plus faim…
Même si j'ai rapidement eu des soupçons concernant certains personnages, cela n'a pas gâché ma lecture. J'ai adoré les personnages créés par l'autrice. Bénédicte Leuphorie, le commissaire froid, profane visionnaire rejeté par sa famille comme par les sortilégeants. Son côté ronchon, limite asocial cache sous la surface une fissure, celle du Cauchemar ; il recherche toujours un équilibre. Sésanne, la colorée et lumineuse secrétaire qui est rappelée lors de ses vacances sur la plage pour rejoindre une scène de crime à Tilliac. Elle se sent concernée, n'hésite pas à s'opposer aux préjugés. Elle et Bénédicte ont eu le temps de se connaître l'un l'autre, ils se taquinent, se soutiennent, et Sésanne n'hésite pas à le remettre sur le droit chemin. Entre eux deux, se profile Athé, arrogant et misogyne bougre qui se gargarise de la science infuse qu'il entretient, encore plus quand on fait appel à ses lumières. Enfin, Lycaon, notre jeune limier. Timide dans la vraie vie, il est un véritable influenceur sur les plateformes virtuelles, grand adepte des quêtes sur les jeux en ligne. Rejeté par la communauté sortilégeante puis moqué pour son choix de carrière, que l'attend-t-il sur le terrain, face aux préjugés des profanes ?
J'ai adoré le fonctionnement des personnages. Les efforts et remises en question de Bénédicte, touchée par ses failles et ses visions. Sésanne est éblouissante, malgré tout, à cause de la présence d'Athé, rien n'est simple et elle doit faire des efforts pour garder le cap. Lycaon devra affronter ses craintes, prendre confiance en ses capacités comme en lui-même. Ensemble, ce sont les pièces d'un puzzle qu'ils assemblent : les paragraphes d'un conte incomplet, un conte ancien qui s'est prolongé jusqu'à leur présent.
Bientôt, cauchemars et macabre, passé et présent, vont se mélanger, répandant miasmes empoisonnés et sombre sortilège. Bloqués à Tilliac sans renfort, sous la pluie diluvienne qui efface les traces des scènes de crime, notre équipe va devoir se serrer les coudes pour résoudre cette sordide affaire !
En bref : j'ai dévoré en un jour et demi ce premier opus de la saga de
Pauline Sidre ! Une lecture qui m'attirait depuis son annonce et que j'avais précommandée. J'avais adoré
Rocaille, et ici, j'ai retrouvé des éléments qui m'avaient plu : l'écriture acérée quasi minimaliste, les personnages ambigus tout en nuances, un décor immersif. Chaudron de bruyère déploie une atmosphère de conte ancien : un territoire ensorcelé, peuplé de brumes et de miasmes méphitiques, une pluie torrentielle qui fait éclore la pourriture... Passé et présent, visions et folie, spectres et démonologie : bienvenue à Tilliac !
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