Citations sur Les Abysses (33)
- C'était comme un rêve, dit Yetu.
Elle avait mal à la gorge, elle pleurait sans arrêt depuis plusieurs jours, s'étant égarée dans la souvenance d'un des premiers Wajinrus.
- Alors réveille-toi, dit Amaba. Réveille-toi tout de suite. Qu'est-ce que c'est que ce rêve qui te fait dériver dans les eaux infestées de requins comme une imbécile, alors que tu saignes à flots ? Si je ne m'étais pas mise à ta recherche, si je ne t'avais pas trouvée à temps…
Amaba secoua la tête, ce qui remua l'eau sombre autour de son visage.
- Tu veux mourir, c'est ça ?
Incipit du roman
Si le passé est plein d’horreurs, si un peuple se définit par les atrocités qui ont été commises contre lui, alors oui, c’est bien de tout quitter.
Quand tu incarnes tous ceux qui ont vécu autrefois, quand tu existes pour tous ceux qui vivent aujourd’hui, tu n’es personne. Personne. Tu n’existes pas.
Quand nous avons appris que nous deviendrions historien, nous étions satisfait. Enfin, nous pourrions assouvir la soif de notre esprit. Quand notre prédécesseur nous a transmis les souvenances, nous avons senti une étincelle de vie, et le torrent du passé s'est engouffré en nous. Nous ne serions plus jamais vide.
Certains sont tristes quand ils prennent connaissance de l'Histoire, mais nous, nous avons ressenti une colère immense et glorieuse. Ce défi nous plaisait, nous convenait. Et la colère était notre émotion préférée. nous en jouissions. La colère donnait un sens à notre vie.
Nous ne sommes pas chrétiens, nous sommes capitalistes. Tout le monde dans ce pays de branleurs est capitaliste, que les gens le veuillent ou non. Tout le monde dans ce pays fait partie des consommateurs les plus voraces qui soient, avec un taux d’utilisation des ressources vingt fois supérieur à celui de n’importe qui d’autre sur cette pauvre terre. Et Noël est notre occasion en or d’augmenter la cadence.
Nous devons retrouver nos places. – C’est quoi, notre place ? demandons-nous. – C’est là où il n’y a pas de solitude.
Yetu voulait que les autres revivent les mêmes souvenirs qu’elle, qu’ils entendent les mêmes cris. Elle refusait que ces catastrophes deviennent un spectacle, que ces tragédies, qu’elle avait fini par considérer comme les siennes propres, se fardent en divertissement.
Il est plutôt déconcertant, quand on a passé presque toute sa vie à se poser des questions au sujet d'une chose, de découvrir que la réponse à ces questions est horrifiante. Nous savions qu'un lien de parenté nous unissait aux habitants de la terre. Cela seul pouvait expliquer nos similitudes, notre capacité à parler leurs langues, notre souvenir de ce visage qui ressemblait à celui de Waj et que nous avons vu, alors que nous étions un nourrisson, flotter, immobile, à la surface de l'eau.
- D'où venez-vous, Zoti Aleyu? demandons-nous à ces créatures qui nous ressemblent tant.
Nous les serrons contre nous, nous les caressons du bout du nez. Nous les regardons quand ils tentent maladroitement de nager et de se déplacer. Leur peau écailleuse est plus douce que la nôtre, et leurs visages sont si tendres, comme la douce chair d'une palourde à l'intérieur de sa coquille.
– Un pays, c’est un lieu, c’est tout, dit Oori d’une voix éteinte, tremblante. Un lieu qui signifie quelque chose, à cause de son histoire.