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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans le dernier Tokarczuk nous sommes en pays mysogine, au début du siècle dernier en Basse- Silésie, dans « une pension pour messieurs », dont les pensionnaires sont des tuberculeux. le personnage principal est Mieczyslaw Wojnicz , un jeune aspirant ingénieur venu se faire soigner au sanatorium de Görbersdorf (aujourd'hui Sokolowsko, en Pologne), dans la chaîne des Sudètes, au coeur de la Basse-Silésie, alors germanophone.
Bien que le contexte rappelle fortement celui de la Montagne Magique de Thomas Mann, Tokarczuk ici joue sur une autre corde , celle du réalisme magique sur le support d'une prose enchanteresse.
Dès les premières pages, la femme de Wilhelm Opitz, sinistre propriétaire de la « pension pour messieurs » où loge Wojnicz, meurt. Celui-ci l'aperçoit , morte, étalée sur la table de la salle à manger, où elle lui avait porté le petit déjeuner, le matin même . Une mort mystérieuse qu'alimentent des ragots de tout genre. Suit alors à un quart du livre, la révélation de l'identité du narrateur, qui renforce l'atmosphère gothique de l'histoire, « Quant à nous, qui sommes des spectatrices assidues, nous considérons que le plus intéressant reste toujours dans l'ombre, là où prévaut l'invisible. ».Ce « nous » sont les « Empouses », sorte de vampires femelles, de succubes, qui, dans la Grèce antique, constituaient le ­cortège d'Hécate, l'infernale déesse. Ces créatures qui ne manquent pas d'humour « Nous, les empouses, nous aimons regarder les chaussures », resterons discrètes tout au long du récit, tout en cassant la noirceur d'un contexte trop masculin et empâté. Avec leur mode d'observation fantaisiste , regardant les hommes par en dessous la table, suivant le mouvement d'une chaussure, d'une main , et observant espiègles , des détails physiques et vestimentaires plus révélatrices sur un personnage que ses paroles ou son comportement, elles nous font sourire .
Quand à notre héros Wojnicz bien qu'élevé dans une ambiance mysogine ,orphelin de mère dès sa naissance, « Oncle Emil, d'ordinaire poli, avec de bonnes manières, retirait sa cuillère du potage pour l'agiter au-dessus de l'assiette : – La femme, le diable et le crapaud sont trois enfants d'un même lit. », il est loin d'être à l'aise dans son nouvel environnement . Il peine à retrouver ses repères sexuelles parmi cette faune de mâles désoeuvrés qui se soûlent d'une liqueur bizarre, voir « diabolique »😈, qui porte le nom de Schwärmerei ( un terme qui chez Kant et les philosophes du XVIIIe siècle, désigne le fanatisme à combattre par la science), en s'emportant sur La femme, quelque soit le sujet discuté , même si celui-ci ne la touche que superficiellement.

Bref une fois encore Tokarczuk nous entraîne dans son univers fantastique, dans une histoire en contrée inconnue où les femmes sont quasiment absentes, mais étrangement, continuellement présentes à travers les conversations des hommes qui semblent les connaître mieux que quiconque 😁, « Peu importe le sujet initial de leurs débats, ils finissent par parler…des femmes. » J'ai adoré ses captations cinématographiques des détails des personnages, dirigeant sa caméra de bas en haut , ses perspectives d'une nature quasi surnaturel , ses phrases inquiétantes dit avec un naturel tout aussi inquiétant. L'ensemble suscitant un suspens éloquent qui va crescendo, toujours accompagné de piques explicites à son pays , “Son père ne croyait pas que la Pologne retrouverait un jour son indépendance. Pourquoi est-ce que cela arriverait ? Seul ce qui est grand est puissant….”. Un livre intéressant, où l'auteure a choisi le négatif du féminisme radicale poussé à l'extrême à travers les conversations sans queue ni tête des machos pour souligner encore plus fort l'évolution de la place de la femme dans nos sociétés modernes.
Une lecture qui m'a cependant mise légèrement mal à l'aise avec cette compagnie de bonhommes mysogines à la sexualité douteuse, aux propos ambigus , mangeurs de “rubans blancs”😖, agrémentée de la présence de chaises avec des sangles aux accoudoirs et aux pieds qui semblent faire partie du mobilier local, et autres détails glauques . Mais ayant lu d'autres livres d'elle, tout ceci faisant partie de son univers , mon malaise s'est finalement estompé grâce à son écriture grandiose 😊et l'arrivée d'une surprise totale qui se dévoile vers la fin.
C'est une très grande écrivaine , ce dernier roman le prouve encore une fois. Si vous l'aimez, à ne pas manquer !

« Ne sont immortelles que les choses soit minuscules, soit immenses, répond-elle avec prudence. Les atomes sont immortels, les galaxies sont immortelles. Tout le mystère est là. La portée de la mort se trouve particulièrement définie, autant que celle d'une onde radio. »
“Quand une personne juge qu'elle est devenue parfaite, qu'elle s'est accomplie, elle devrait se tuer.”

Un grand merci aux éditions Noir sur Blanc et NetGalley France pour l'envoie de ce livre.
#Lebanquetdesempouses #NetGalleyFrance





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De l'identité.

Savez-vous ce qu'est une Empouse ? Vous donnez votre langue au chat ? Car dans ce livre il sera fortement question d'ingestion d'organes, vous allez être étonnés.
Les Empouses sont des créatures spectrales, issues de la déesse Hécate, qu'on devine et qu'on peut voir dans certaines conditions. Vous allez faire leur connaissance, ce sont les narratrices du livre, et qui sait, peut-être vous attacherez-vous à elles !
Olga Tokarczuk, Nobel de littérature en 2018, nous embarque dans un nouveau livre-monde, aussi envoutant qu'étrange et donc, puisque c'est le sous-titre, épouvantablement naturopathique
Si vous acceptez l'invitation, vous ferez un voyage improbable entre l'humidité moussue des sous-bois et les sommets maudits de Basse-Silésie. On y parle l'allemand, c'est important pour le récit.
Mais tout commence par le village thermal de Görbersdorf (Sokolowsko, dans la Pologne contemporaine) où les narratrices nous entrainent pour une cure un peu spéciale même si, au départ, le sanatorium est avant tout destiné aux tuberculeux.
Nous sommes à la fin de l'année 1912.
Disons-le tout net : Olga Tokarczuk reprend le schéma de la Montagne Magique de Thomas Mann. Nous allons rencontrer plus intimement une demi-douzaine de curistes, le docteur Sempeiweiss,Opitz le tenancier de la pension pour hommes, l'infirmière Sydonia, une jeune femme à large chapeau etc.
Puis, pffff, tout s'évaporera ou volera en éclat… et nous nous éloignerons radicalement de l'oeuvre de Thomas Mann.
Notre héros, c'est ce pauvre Mieczyslaw Wojnicz, polonais originaire de Lwów (l'actuelle Lviv ukrainienne) étudiant en ingénierie des adductions d'eau…
Le voilà obligé d'habiter la fameuse Pension pour Hommes au lieu des prestigieuses villas du sanatorium rouge brique (qui existent encore!) et surtout de co-habiter avec cinq hommes bavards dont le point commun est la dérive misogyne. Leur savants débats finissent immanquablement par d'horribles diatribes qui, en fait, appartiennent pour de vrai à des hommes célèbres (malicieuse Olga!) : Saint Augustin, Kerouac, Freud,Nietzche, Sartre, Shopenhauer, Swift, Yeats etc.
Et donc les femmes sont des attardées de l'évolution, au psychisme fragile et délicat, attirées par l'invraisemblable et les motifs de tapisserie, ravagées par leur utérus etc., la liste de leurs élucubrations est longues et malheureusement classiques.
Voila le décor planté, il commence à faire froid, c'est l'automne, la brume se répand et se disperse…
Les soins thermaux sont féroces: douches glacées, enveloppements humides etc.
Mais tout est plus ou moins humides et vaporeux et l'on s'ennuie ferme.
Jusqu'à ce de sordides évènements viennent bousculer les certitudes friables de notre cher Mieczyslaw. Une liqueur de psylocibes (champignons hallucinogènes dont la cueillette est interdite en France) brouille les discours et les perceptions, notre héros trouve des tuntshi ( fabriquées en mousse, bois et pierre, elles reproduisent le corps féminin et servent à assouvir les besoins sexuels des charbonniers) et tout devient flou et évanescent. Une autre histoire commence…

Les identités des protagonistes sont complexes à tout point de vue : culturellement, linguistiquement, socialement, sexuellement et le décor de la cure n'est qu'un prétexte pour déconstruire tout cela et détruire les shémes de domination.
Olga Tokarczuck va s'en donner à coeur joie et, c'est là la vraie magie du livre, va célébrer les identités multiples, un Moi « fait de strates nombreuses…comme un récif de corail, comme le mycélium dont la véritable existence se trouve sous terre ».
Nous irons de surprises en surprise avec un final d'anthologie.

Car Messieurs, Chers lecteurs, méfiez-vous : les Empouses vengeresses sont funestes aux hommes non déconstruits qu'elles charment et dévorent avec avidité lors de leur grand banquet automnal. Pour en finir avec la domination.

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Dans un recoin du monde macère une faune interlope. A l'abri du vent, sur les hauteurs de la Silésie, au sud-ouest de la Pologne, bacilles de Koch, syntaxe allemande, mousses, discours pontifiants et coutumes culinaires étranges se partagent une petite station thermale que fréquentent des tuberculeux plein d'espoir. Selon les préceptes du docteur Brehmer, on y prend des douches froides, on y fait de revigorantes balades en altitude avant de se reposer de longues heures dans des chaises longues.

« Les pensionnaires du sanatorium, quand on les voit sur le cours, semblent de taille plus haute, plus propres sur eux, avec des chemises plus blanches. Ils font penser à de la volaille bien nourrie, y compris lorsqu'ils sont aussi malades que les autres. Les femmes portent des jabots vénitiens, c'est-à-dire sur la poitrine un bouillonnement de batiste ou de soie qui donne l'impression d'avoir jailli à l'instant de la robe cintrée. Les têtes des hommes sortent de cols raides, elles sont comme apportées sur un plateau pour le thé de l'après-midi. »

Tout cela aurait un petit air de déjà vu sans cette malheureuse comparaison avicole, ces têtes mâles offertes, nouveaux Jean-Baptiste à la décollation tout juste prête pour le goûter, ce décalage que l'on peut croire imperceptible mais qui finit par raconter une toute autre histoire émergeant de ces montagnes assurément magiques.

C'est en fait une question de point de vue. Et pour ce roman, il nous faudra adopter celui des Empouses. « Spectres de la déesse Hécate », elles sont partout, au ras du sol, serpentant sans doute avec la brume grise, se faufilant dans les interstices, manifestant leur prédilection pour les chaussures habillant des pieds nerveux ou alanguis, ces mâles extrémités des dignes et respectables curistes hébergés à la Pension pour Messieurs que tient Wihelm Opitz. Silencieuses, attentives, elles se rappellent à nous au fil du récit. Cette histoire, c'est la leur. Ecoutons-la.

Elles ont choisi comme héros Miecysław Wojnicz, étudiant en ingénierie des adductions d'eau à qui ses poumons malades valent un séjour prolongé dans ce village de Sokołowsko. C'est un héros frêle et incertain, poli et effaré qui a déjà vécu bien des terreurs minuscules. Elevé par un père trop vite veuf dont la rigueur virile n'autorise pas l'expression de la moindre émotion, Miecysław se conforme aussi bien qu'il le peut aux attentes conçues pour lui. Reste que sa faible constitution et sa sensiblerie ont déjà beaucoup déçu. Et le voilà désormais quasi agonisant, obligé de prendre les eaux en compagnie d'autres souffreteux avant que commence enfin sa vie d'homme, de vrai.

Dans la pension pour Messieurs où il réside, il croisera différents individus parmi lesquels Thilo von Hahn, étudiant des Beaux-arts, spécialiste en paysage. Malgré son souffle court vite teinté de sang, malgré ses manières étranges, il faudra écouter attentivement ce jeune homme parler à Miecysław de tableau et de regard. Selon lui, la manière dont on voit habituellement le paysage transforme les lignes en éléments attendus mais il existe « une autre manière de regarder, une manière globale, totale, entière, absolue » qui rappelle assez les premiers mots des Empouses d'ailleurs, à l'incipit du roman : « La vue est obstruée par les volutes de vapeur échappées de la locomotive et qui serpentent à présent sur le quai. Il faut regarder à travers elles pour tout voir, se laisser aveugler par la brume grise, le temps que le regard se fasse acéré et omnivoyant du passé, du présent et du futur. »

Nous sommes à l'aube du 20e siècle, les premières automobiles font leur apparition avec la psychanalyse, les idéologies cimentent les existences et les nationalismes s'ébaubissent de leurs prétentions mutuelles. A table, devant un verre, et bien plus, de la locale Schwärmerei, liquide sombre au goût « vraiment particulier, sucré et amer à la fois (…) [avec] une vague saveur forestière de lichens ou de bois oublié en cave ou peut-être de pommes légèrement moisies », les curistes discutent, pérorent, ordonnent de leurs mots définitifs un monde qui, selon eux, en a bien besoin.

Dans un pêle-mêle vertigineux d'inquiétude et de thèses sur lesquelles on s'arcboute de toute son impuissance, s'accumulent croyances et systèmes : les grands mythes de la Grèce antique, Aristote, Platon, Aristophane et Plotin pour August August, phtisique spécialiste en langues anciennes et en chair fraiche ; le cours de l'histoire et la manière dont il conduit l'humanité vers une civilisation toujours plus pure de toutes les systèmes primaires polythéistes antérieurs selon l'honorable et malade Longin Lukas, professeur au collège de Königsberg ; de mystérieuses légendes locales qui expliquent l'absence quasi parfaite des femmes de ce roman. On parlera démonologie, femmes, religion. Infériorité du sexe faible, paganisme, recettes de cuisine et même matriarcat. Comme une menace insensée et folle, naturellement. Il faut compter aussi avec Sainte Emérencie, Sainte Anne et la Vierge tenant un enfant malingre, trinité de femmes représentées sur une icône cachée dans l'église orthodoxe du village. Avec la jeune femme au large chapeau qui ne dira jamais rien. Quelques macarons et le docteur Semperweiß, le bien nommé.

Le banquet des Empouses, est un livre magique, vous l'aurez compris. Parce qu'il mêle des histoires invraisemblables à des atmosphères étonnantes, parce qu'il campe des caractères typés et en révèle les failles, parce qu'il se paie des sacrifices humains avec une jubilation qui n'est même pas cruelle.

Mais aussi parce qu'il invite dans ses pages un nombre de lectures antérieures sidérant. Dans la description de Miecysław jouant avec les pions de son échiquier, j'ai retrouvé le narrateur enfant d'une Histoire d'amour et de ténèbres lorsqu'il bâtit des mondes sur le tapis du trop triste appartement où il vit avec ses parents. Les questions de paysage et de manière de regarder la réalité sont celles que traite Descola dans Les formes du visible. Emilie Hache n'est pas loin des péroraisons de Longin Lukas sur le matriarcat, le paganisme et la place d'un dieu transcendant. le sacrifice d'Abraham que traite Marie Balmary dans le sacrifice interdit a une place importante dans cette histoire. J'ai même retrouvé l'apithérapie, le fait de se soigner par les abeilles, qui m'avait été expliquée dans Les abeilles grises.

Comme si toutes mes lectures récentes s'étaient agrégées dans ce livre pour participer au magma de connaissances et de représentations qui composent l'étrange liqueur dont s'abreuvent les personnages. Comme si, avec la même fausse assurance, je communiais aux rodomontades, fière de mes savoirs, inconsciente de leur enracinement profond dans une dynamique de brume et de lichen, de mycélium et d'altérité aussi continue que mystérieuse.

Un livre magique, malicieux, insolent et érudit. Une oeuvre littéraire dense, propice aux analyses, échos et interprétations. Un renversement espiègle, cul par-dessus tête, jamais arrêté, jamais féroce, délicieusement vivant.
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Mieczyslaw Wojnicz retenez bien ce nom car c'est celui que vous allez devoir reconnaitre et lire à de nombreuses reprises lorsque vous allez tomber dans le banquet des Empouses.

Dans ce livre, on découvre la Silésie, une région Polonaise malmenée par l'histoire car elle a été envahie à de nombreuses reprises. L'histoire d'un petit village qui est connu pour son sanatorium car nous sommes au début du siècle et la tuberculose / phtisie fait des ravages.

Des curistes logent dans une pension pour messieurs en attendant qu'une place se libère au sanatorium principal. En attendant, c'est la femme de l'aubergiste qui libère une place en se suicidant.

Tout les clients / Gast, en Allemand, se retrouvent seuls. Et cela devrait leur plaire car quelques soient les sujets de conversation, tout finit autour des femmes et ceci pour déplorer leur absence d'âme et autres gentillesses. Car ces messieurs sont bien supérieurs mais leur supériorité consiste à rabaisser les autres…

En attendant parmi ces différents clients, il y a un catholique rigoriste, mais qui n'hésite pas à côtoyer des prostitués. Il y a un policier qui est en service mais que tout le monde a identifié. Également un professeur de latin / grec. Un jeune homme homosexuel et peintre. Et il y a Mieczyslaw Wojnicz.
C'est lui que l'on suit dans ce livre. Il nous partage ses découvertes et ses souvenirs. Et ils sont loin d'être heureux ses souvenirs. Sa mère est morte en couche. Et c'est de la faute de sa mère s'il a un caractère faible… Et oui car en mourant, elle a abandonné son fils… Bref… le père pour réparer cet abandon va essayer de rendre son fils fort…

Je ne vais pas plus loin car il ne faut pas spoiler ce livre.

Olga Tokarczuk livre encore une fois une narration qui est hors du commun. Elle montre à quel point la normalité et les normes peuvent être tyranniques.

Son livre, ancré dans le fantastique et les croyances populaires, ne plaira pas à tous ceux et toutes celles qui n'aiment que le rationnel. Mais si vous êtes prêts à vous embarquer dans cette aventure, beaucoup plus simple et courte que les livres de Jakob, alors foncez.

Je note les phrases suivantes qui m'ont beaucoup plu. Et qui me font pardonner certaines incohérences de l'histoire comme le médecin à qui va se confier Mieczyslaw Wojnicz alors que ce médecin est fort peu sympathique pendant toute la première partie du livre va devenir philosophique en un clin d'oeil me laisse pensive.

Dans tous les cas, c'est un livre duquel j'aimerais échanger avec d'autres pour clarifier certains points…

"Le sentiment d'infériorité influe sur l'ensemble de notre existence, plus particulièrement sur notre manière de penser. Vous le saviez ? Puisque nous ne sommes pas sûrs de nous, nous inventons un système très stable, rigide, capable de nous maintenir debout. Il simplifie ce que nous jugeons être des complications inutiles. Or, penser blanc ou noir, recourir à des antithèses basiques est la plus grande des simplifications. Vous comprenez ce que je veux dire ? Notre esprit se constitue un ensemble d'oppositions strictes – blanc-noir, jour-nuit, haut-bas, hommes-femmes et ce sont elles qui déterminent l'ensemble de notre perception. Il n'y a aucun entre-deux. le monde ainsi perçu est manifestement plus simple.

Il est aisé de circuler entre ces pôles, facile d'établir des règles de conduite et surtout, commode de juger autrui en se réservant volontiers pour soi-même le luxe du flou. Pareil mode de pensée protège de toute incertitude. Tchac, tchac ! et tout est clair les choses sont comme ceci ou comme cela, il n'y a pas de troisième possibilité. le nombre d'or ou le veau d'or ! … Cela nous protège de la réalité, qui se compose d'une multitude de nuances très subtiles. Celui qui pense que le monde n'est qu'un ensemble d'oppositions strictes est malade. Je sais de quoi je parle. C'est un dysfonctionnement majeur…

Et comment est le monde ? Flou, trouble, vacillant, tantôt comme si, tantôt comme ça cela dépend du point de vue."

Ces phrases résument notre monde actuel, basé sur la communication et les jugements à l'emporte pièce.

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En 1913, Mieczyslaw Wojnicz est envoyé au sanatorium de Görbersdorf pour soigner sa tubercolose. Il loge avec d'autres, dans la pension pour Messieurs de M. Opitz.
Dès son arrivée, il voit le corps de Madame Opitz pendre au bout d'une corde. Cet épisode va effrayer le jeune Mieczyslaw, pourtant les autres locataires vont vite continuer leur séjour de curistes en médisant sur la gente féminine.
Première fois que je lis Olga Tokarczuk, pourtant cette auteure m'intrigue avec ses titres depuis qu'elle a gagné le prix Nobel de littérature en 2018. L'occasion m'a été donné avec ce roman avec un titre et sous-titre qui interroge. J'avoue que j'attendais à une histoire au rythme plus soutenu. La cure de Mieczyslaw lui permet de rencontrer d'autres hommes. Les sujets de conversation sont divers mais il revient souvent celui des femmes, très peu représentées pendant le séjour.
Elles ne sont que des ombres qui passent, Mieczyslaw, lui-même, n'a plus de mère depuis sa naissance. La narration alterne entre le présent de la cure et le passé du jeune Wojnicz. le mystère demeure en un fil rouge et tout se dénoue sans qu'on s'y attende vraiment.
Le banquet des empouses se passe au début du XXème siècle en Pologne, la place de la femme n'est pas la même qu'aujourd'hui, c'est sûr mais j'ai trouvé les propos misogynes très forts, dérangeants. Mieczyslaw, lui reste plutôt discret sur le sujet. J'ai aimé ce roman d'ambiance, on prend place avec ces hommes, on suit leurs discussions, on note le ton presque moqueur de l'auteure. J'avoue qu'avec le sous-titre, je m'attendais à un roman plus effrayant plutôt que le portrait d'une société encore dominée par les hommes. Les non-dits permettent de se faire sa propre opinion sur cette petite communauté.
Un roman qui a le mérite de faire réfléchir sur la nature du jeune Wojnicz mais aussi sur les rapports hommes-femmes de l'époque et de nos jours. Une auteure que je relirai !
#NetgalleyFrance #Lebanquetdesempouses
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C'est un livre fabuleux que je viens de fermer ! Il y a plusieurs jours que je suis entrée dans un monde très étrange guidée par des Empouses, un univers sombre et humide dans les montagnes de Basse Silésie où est niché le sanatorium de Göbersdorf.
Les Empouses sont des démons femelles qui séduisent les hommes pour mieux les détruire. Elles chuchotent, elles observent le jeune Wojnicz venu soigner sa tuberculose. Élevé à la dure par son père, il n'a connu la tendresse que dans les bras de la cuisinière. Il a été trimballé de médecin en médecin afin de mettre un nom sur sa maladie...
N'ayant que de modestes moyens il loge dans une pension pour hommes et non dans une luxueuse villa pour curistes. La seule femme de la maison est Mme Opitz, l'épouse du patron. Wojnicz a à peine le temps de l'apercevoir puisqu'elle se suicide le lendemain de son arrivée.
Six hommes logent dans la pension et, à l'exception du jeune et frêle Thilo, tous expriment à haute voix des propos excessivement misogynes. Leurs débats les animent surtout après les repas où leur est servi le fameux digestif du coin fait à base de champignons hallucinogènes. Ces messieurs philosophent beaucoup citant Platon, Aristote, Aristophane...et les femmes reviennent toujours au coeur des échanges... humiliées, rabaissées.
Ici on soigne à la dure, bains froids, longues promenades. Lors de ces randonnées les curistes rencontrent des charbonniers aux
mines inquiétantes ainsi que desTuntschi, sortes de poupées végétales, allongées, sur lesquelles se vautrent les hommes en manque de femmes. Tout un programme...
Dans ce village il y a des morts naturelles, et d'autres bien mystérieuses...et des rumeurs de sorcellerie circulent.
Le texte est dense, je l'ai lu lentement comme si cet univers me retenait.
La lecture est exigeante, passionnante, envoûtante.
La fin est étonnante, magnifique !
De la même auteure j'avais lu "Sur les ossements des morts" J'avais adoré, je ne tarderai pas à lire d'autres livres d'Olga Tokarczuk.

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❤ Coup de coeur ❤

La vallée de Göbersdorf est renommée en ce début de vingtième siècle pour son sanatorium destiné aux malades de la tuberculose.

S'y côtoient de riches curistes, des pauvres, plusieurs nationalités. Certains logent directement au sanatorium, d'autres dans des pensions situées aux alentours.

C'est le cas de Wojnicz. Ce jeune polonais, élevé par un père autoritaire a découvert que le bacille de Koch avait colonisé un morceau de ses poumons.

Il se retrouve à la pension pour messieurs dirigée par le sieur Opitz.

Mais, si le cadre est idyllique, le quotidien rythmé par les soins et les discussions entre pensionnaires autour d'une boisson locale, des choses étranges se produisent.

Un suicide, des bruits étranges, des regards et des silences, autant d'éléments qui vont conduire Wojnicz à se confronter à ses plus grandes peurs.

Que dire de plus que ce roman est un immense coup de coeur.

La quatrième de couverture nous apprend que l'autrice s'est emparée, dans ce roman, du schéma de la montagne magique de Thomas Mann pour le faire voler en éclat. N'ayant pas lu ledit roman je ne peux me prononcer sur ce point mais une chose est certaine, c'est qu'elle signe là un grand roman.

Olga Tokarczuk nous offre un quasi huis clos masculin, un cercle d'hommes plein de certitudes et de préjugés sur les femmes sans qu'ils ne leur viennent à l'idée d'interroger les principales intéressées ou soulever les violences dont elles sont victimes.

Ce roman est d'un rythme lent, au malaise distillé à petites gouttes mais il est impossible à lâcher, on se sent prisonnier de ses pages comme les personnages de l'histoire le sont de la vallée.

Ce roman chamboule les oppositions entre science et croyance, homme et femme, civilisation et chaos. Il est accessible et étrange, classique et original, bref du grand Tokarczuk et vous, l'avez-vous lu ?
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Quel étrange roman!
On y entre comme dans un rêve, guidé par les Empouses, créatures inquiétantes et omniscientes, qui nous invitent à suivre le récit de Mieczyslaw Wojnicz, jeune ingénieur polonais qui arrive à Görbersdorf pour soigner ses maux respiratoires. Nous sommes en 1912, et ce village de Basse-Silésie niché au coeur des montagnes accueille des malades de tuberculose dans son célèbre sanatorium.
Logé dans la pension pour Messieurs du village, Mieczyslaw passe ses soirées avec les autres résidents, à discourir sur l'état du monde et à se soûler, à grand renfort de Schwärmerei, la liqueur locale aux curieux effets. Attention les yeux, les hommes de la pension ont une vision très arrêtée de la place des femmes dans la société : "Pour ce qui est du génie littéraire, mes amis, quand une oeuvre ne plait pas aux femmes, c'est une indication des plus sûres qu'elle est remarquable" ou encore "L'attrait des femmes vient souvent de ce qu'elles se conduisent comme si elles cachaient un mystère, et c'est précisément ce qui attire les hommes. Mais, de fait, ce n'est qu'un simulacre chez elles pour dissimuler un vide intellectuel." CQFD!
Au milieu de ce symposium de vieux mysogines, Mieczyslaw et Thilo, l'autre garçon du groupe, détonnent. Sensibles et curieux, ils se retrouvent volontiers pour parler d'art, et de leur envie de porter un regard nouveau sur le monde.

Mais la forêt environnante dissimulent d'obscurs secrets et des créatures légendaires. Elles veillent et pourraient bien faire trembler les fondations d'un monde malade et donner à Mieczyslaw le courage de se libérer du poids de son passé.

J'ai adoré l'atmosphère oppressante de ce récit fantastico-philosophique, intelligent jusqu'au vertige, malicieux, qui élève la faiblesse au rang de force, et se réclame de ce qui est "flou, trouble, vacillant".

J'ai été absolument séduite par le propos puissant et universel d' Olga Tokarczuk, qui réussit le tour de force de faire de ce texte, d'où les femmes sont quasiment absentes, une Montagne magique à la sauce féministe, véritable festin offert au monde par les Empouses.

Une sublime découverte!
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Troisième incursion dans la bibliographie d'Olga Tokarczu et troisième exercice de lecture. En effet et rien qu'avec son résumé et son intrigant sous-titre j'étais déjà des plus envoûté même si je ne m'attendais pas à être aussi séduit que saisi. Il faut admettre qu'une fois encore, la romancière analyse et déconstruit notre société avec fougue et violence.

En plaçant son intrigue au coeur de sauvages contrées et au sein d'un bâtiment isolé, dédié aux traitements de pathologies respiratoires, que se dessine être les célèbres sanatoriums de l'époque, cette dernière s'offre le luxe de la juste critique. Pour parvenir à cette écriture aussi vrai que nature mais toujours aussi métaphorique que philosophique, Olga Tokarczuk s'inspire d'une figure mythologique, celle des Empouses. En véritables êtres chimériques, ces sortes d'entités se cachent aux yeux des hommes et les pensionnaires de cet établissement de soins n'échapperont nullement à leurs violents et acerbes courroux. Avec fermeté et pourtant nuances à la fois, l'auteure condamne les Hommes avant que ceux-ci ne se condamnèrent eux-mêmes. En effet et à travers son sensible héros, la romancière trace le portraits de tant d'autres allant du simple pieux au grand savant dont le dénominateur commun reste la femme dont l'absence signe son importance et sa place au sein de leur, semble-t-il, bien-pensance.

Une pensée commune des plus misogyne et révoltante qui soit qui permet à Olga Tokarczuk de dévoiler un récit aussi féministe qu'initiatique. En effet, notre jeune homme semble autant en décalage au sein de ce cercle d'hommes – qui n'a pas été sans me rappeler celui des sorcières et qui pourrait se rapprocher d'une pertinente métaphore de cette figure – qu'il l'était avant de tomber malade dans son enfance. En s'appuyant et s'imprégnant de cette fine psychologie, j'ai été des plus étonné et sensible quant à la diversité et la complexité des termes et autres sujets abordés par cette l'auteure. de manière scientifique au début, cette dernière dévoile les traitements, souvent cruels et hypothétiques, d'une telle cure pour sombrer peu à peu dans les sombreurs et autres chimères de tels paysages. Ainsi, ce roman peut se dessiner également gothique tant de mystères et de secrets semblent planer et se cacher derrière ces paisibles montagnes mais également derrière la vision que se font les hommes de leur monde. C'est alors un délicieux voyage initiatique qui attend le lecteur.

Un destin que ce dernier devra accepter de réaliser en se laissant guider par le toujours aussi singulier et poétique style d'Olga Tokarczuk. Bien qu'il s'agisse de ma troisième rencontre avec sa délicate plume, celle-ci est à nouveau parvenue à me transporter dans son univers et ce malgré une approche bien moins psychédélique que celles précédentes. Pour autant et avec illusion et utopie, l'auteure met en lumière de modernes questions sociales allant de la binarité du genre mais également en passant par la diversité sexuelle de l'être humain en s'arrêtant sur sa foi et sa construction un brin manichéenne. Tout cela est progressivement remis en question au rythme de l'évolution de notre protagoniste mais également au rythme de l'élevage de ces troublantes Empouses, semblant une intelligente métaphore de nous-mêmes au sein de notre société actuelle. Qui mieux que l'Homme peut juger et détruire son prochain ?

C'est pourquoi et si ce n'est toujours pas fait, je ne peux que vous recommander la découverte de cette auteure au style arrêté et pourtant des plus poétique et nuancé. Avec cette dernière parution, Olga Tokarczuk dévoile une vive et franche critique et déconstruction de notre société et offre un voyage initiatique séduisant bien qu'un brin moins psychédélique que ses précédentes oeuvres.

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Olga Tokarczuk nous entraîne dans une nouvelle aventure onirique et dense avec le banquet des empouses. Présenté comme une sorte de réécriture de la Montagne magique de Thomas Mann, ce récit d'horreur douce s'en éloigne pour devenir une quête initiatique empreinte de nature et de philosophie.

En 1912, le discret Mieczysław Wojnicz, jeune polonais malade, est envoyé au coeur des basses-terres de Silésie, dans un sanatorium destiné à traiter les maladies pulmonaires. Dans la pension pour messieurs du tenancier Opitz, il se mêle à un petit groupe de curistes bavards aux idées polluées par les dérives misogynes. Les femmes sont au centre de leurs discussions tout en étant, étrangement, absentes du village.

Le quotidien des malades rythmé par les repas, les balades ennuyeuses et les soins médicaux à la limite de la barbarie pourraient presque faire perdre la tête par leur régularité. L'auteur oppose ce monde et son apparente civilité à la sauvagerie du paysage local enveloppé d'une atmosphère lourde et glacée. À travers des excursions forestières imposées aux malades, la beauté brute et enivrante des sous-bois d'automne et ce qui s'y dissimulent vient briser le vernis de bienséance et de savoir-vivre qui recouvre la ville de Görbersdorf. Elle arrache Mieczysław à sa langueur pour le propulser dans un maelstrom d'interrogations et de ressentis nouveaux.

Alors qu'au fil des mois la tuberculose emporte les vies, les hommes se rapprochent en débattant de tous sujets autour des étranges liqueurs au parfum d'humus et de fourmis dont Opitz les abreuve. Mieczysław, bouleversé par ses émotions, écrasé par un passé rempli de terreurs et d'humiliations, va entamer une quête personnelle, se confronter au spectre de la mort, aux mystères de l'art et prendre conscience de ce qu'il peut réellement devenir.

Le Banquet des Empouses est une histoire magique, pleine d'érudition, totalement à part, extrêmement contemplative, à la limite entre récit féministe et nature writing. Elle déborde de détails propices aux interprétations, d'allusions à d'autres récits, de métaphores poétiques. le dernier quart est jouissif mais pour y parvenir, il vous faudra braver les balades en terrain forestier, les manifestations étranges et nocturnes et les repas insolites à base de champignons hallucinogènes où l'on aborde les femmes, la religion, la démonologie, l'histoire, la civilisation, la sexualité et la violence dans la plus extrême confusion. La conception délirante de la femme évoquée par les compagnons d'infortune de Mieczysław au cours de leurs palabres est exceptionnelle par la manière dont elle est illustrée : l'auteur utilise les propos d'hommes célèbres (Darwin, Nietzsche, Ovide, Kerouac, Swift, Freud, Shakespeare, Sartre...) qu'elle place dans leur bouche, permettant ainsi de mesurer la vacuité de leurs idées et surtout l'incroyable parcours réalisé par les femmes depuis des temps immémoriaux pour être parvenues à dépasser les conceptions poisseuses et aberrantes de leurs congénères.

Laissez-vous embarquer dans un monde végétal et sombre au coeur duquel des entités femelles écoutent et veillent... jusqu'au moment où les hommes les offusquent et provoquent le retour des sorcières.

Même si j'aurais aimé que certaines pistes soient davantage exploitées, une fois encore c'est une grande réussite de cet auteur polonaise que j'aime décidément beaucoup.
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