Suzon de la librairie le Divan partage ses lectures : "(...) une lecture très enrichissante qui donne vraiment des pistes de réflexion."
Notre mot sur "Nos puissantes amitiés", écrit par Alice Raybaud et publié aux éditions La Découverte : https://www.librairie-ledivan.com/livre/9782348079702
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Et pourtant nos amitiés sont des liens précieux. Ce sont des endroits moteurs où peuvent se partager solitude et affection, sans que l'on soit tenu•e auc loyautés et attendus conjugaux ou familiaux. À travers elles, nous sommes nombreuses et nombreux à avoir trouvé un espace au sein duquel se grandir était soudain possible, des lieux où laisser tomber ses défenses et où rencontrer une attention, un respect, un confiance qui, ailleurs, ne se distribuent pas toujours.
Il suffit de penser à la douleur que peut engendrer une rupture amicale pour saisir l'empreinte qu'elle laisse sur nos vies, bien que ces deuils-là n'aient que peu intéressé les auteurs et autrices de fictions. Et qu'il n'y ait généralement personne pour venir nous consoler avec un gigantesque pot de crème glacée lorsque nous perdons un•e ami•e.
Nous nous sommes ensemble éveillé•es au féminisme, et cela n'y est certainement pas étranger. Au contact les un•es des autres, nous affûtons nos pensées politiques comme intimes.
Nos liens amicaux sont, dans nos sociétés occidentales, généralement considérés comme secondaires, voire sacrifiables, en particulier une fois la jeunesse étudiante passée.
Tout cela me semble un brin ironique : alors qu'on fustige les féministes pour vouloir "faire sédition" et s'exclure du vivre ensemble en s'aménageant des espaces en non-mixité, ce sont en réalité les hommes qui ont, statistiquement, davantage tendance à rester entre eux, et ce depuis leur petite enfance. "L'entre-soi des hommes [est] une non-mixité si vaste, si étendue, si généralisée, si ordinaire, en somme, qu'elle passe inaperçue", rappelle la chercheuse québécoise Martine Delvaux.
Mais il est vrai que notre société, entre une demande de productivité constante et un temps qui nous manque en permanence, ne nous aide pas à nous engager dans nos amitiés. On nous encourage plutôt à investir la sphère conjugale et familiale, au risque de ne plus rien cultiver en dehors et de s'isoler. On perçoit la famille nucléaire comme le seul espace souhaitable. Mais, en plus de n'être ni naturelle ni universelle, car c'est une invention plutôt récente en Europe, elle n'offre pas toujours un espace d'épanouissement ni de sécurité. Elle est même parfois, malheureusement, un haut lieu de violences envers les femmes et les enfants.
dans le supplément "Léna" du journal "Le Soir" des 27 et 28 janvier 2024.