Citations de Laurence Vilaine (87)
Quand la vie gronde, les pieds vont plus vite que la tête, disait la Tante, parce que dès l’instant où tu nais, tu cours, sache-le, tu ne cours pas vers la mort, non, c’est elle qui te talonne.
Quand elle est arrivée au village, on aurait dit une légende, à cause de son manteau jusqu'aux chevilles et le bord des manches plus loin que les doigts, une légendes à cause du brouillard par-dessus, à cause de son bonnet qui ramasse tout, de ses bottines de ville emmaillotées dans des carrés de laine et montées sur des crampons d'un autre siècle - d'où est-ce qu'elle sortait ça ? Quelle sotte, ce n'est pas parce qu'on vient à la montagne qu'il y a de la neige. Le soleil était à deux doigts de tomber derrière la Géante, et on aurait dit qu'elle sortait du soir lui-même, celui de l'hiver avec ses arbres qui craquent, les cris des bêtes qu'on invente et les portes qu'on barre à cause des histoires que les vieux font courir dans les montagnes, les sorcières blanches, les survivantes des cent cascades, le front bleu et du verre à la place des yeux - ça fait des siècles que les enfants ont ça dans leurs cauchemars. Ceux d'aujourd'hui n'ont pas l'air d'y croire longtemps, mais il y a encore des vieux qui à cause d'elles ne passent pas des nuits bien calmes.
(Incipit)
Faire lentement pour faire juste, comme quand je parle je cherche le mot qui rarement me vient d'emblée, étirant souvent les silences comme on tire un fil de sucre brûlant jusqu'à ce qu'il froidisse et se brise. J'ai le besoin de cette justesse-là qui semble conduire au plus proche de soi, qui touche le coeur et colle tous les morceaux, alors on se sent un tout, un bloc, un morceau vivant jusqu'à la moelle. Ca pourrait ressembler à quelque chose de la vérité, à quelque chose de sa propre vérité, presque comme une certitude, peut-être la seule possible et défendable : ça toucherait du doigt qui on est exactement, justement, à ce moment-là quand on se sent comme un bloc. Ca dit le vrai de l'instant, ça dit le vivant, comme il est, oui, à cette seconde-là précisément. Je ne sais pas s'il y a les mots justes pour ce que je veux dire là.
Il joue comme un dieu. S'endormant bien souvent à nos pieds, quand nous jouions des nuits presque entières, il nous a regardés faire, ils nous a écoutés, et, seul, il a fait de la musique sa raison d'être; des heures pouvaient s'écouler sans qu'il pose son archet.
Quand il joue, il a les yeux de son père, tout ronds; levés vers le ciel, mais tournée en-dedans, intra muros, dans sa forteresse.
Le berger monte à la verticale avec les mollets de celui qui a franchi bien des obstacles et fait confiance à ses pieds qui savent quand changer de cap.
J'ai compris ce soir-là que la vie ne se résume pas à une maisonnette, à un livre d'histoires et à des mots brodés sur la poche d'un tablier, j'ai lu dans le sourire heureux de mon père qu'elle est aussi une route balisée d'inconnu, un immense terrain vague que je foulais pour la première fois, sans poser mes pieds dans les empreintes de ses pas.
En nageant je t’ai parlé. Des mots à toi comme une
évidence, un flux de mots au rythme de mes gesticulations
dans l’eau, puis je les ai égarés – peut-être
parce que je nage vite, oui, je me dépêche et je nage
en désordre. Mes mâchoires restent soudées, et mes
poumons dans leur étau. Je suis presque nue, mais
une cuirasse écrase ma poitrine et pour flotter il me
faut batailler. J’alterne les nages, je tourne la tête, je
l’immerge, je cherche l’oxygène – juste respirer parfois
fait mal.
Dire adieu n'est rien, l'insupportable, c'est la séparation qui suit l'étreinte. Dire adieu, c'est un concentré d'amour, l'ultime peut-être, mais à l'instant où notre corps avec celui de l'autre ne fait qu'un, à quoi bon vivre par avance l'instant où ils se sépareront.
Je nage entre les lignes comme j'écris sur celles de mon cahier, sans pause et en levant à peine la pointe de mon crayon - et comme on ne rebrousse pas chemin dans le désert, je ne fais pas de ratures, je les garde tous, les mots et leurs silences, qui peut-être, conduiront au plus juste.
J'ai peur, bien sûr que j'ai peur, mais avec la peur, on ne fait rien. Aussi je la congédie. Parce que la vie, c'est maintenant.
J'ai parlé au soleil en le regardant. Je lui ai fait promettre d'être là chaque matin et je lu ai promis que j'y serais, que je reviendrais pour son lever.
Le rire, parfois, c’est juste des pleurs qu’on déguise
Les portes étaient des intruses dans nos vies, du silence et de la solitude qui nous empêchaient de respirer, et c’est justement de ça dont nous ne savions pas nous passer, la respiration de l’autre à proximité.
Pour trouver un emploi, il fallait désormais être qualifié. Même les musiciens, pour jouer dans les auberges ou les réceptions, devaient détenir un permis attestant de leur qualification. Inutile de dire que nos chances étaient pour le moins réduites. Avant même de prouver que nous étions en mesure de lire des notes sur une portée (ce qui aurait impliqué ou des nuits de travail ou une supercherie digne des plus grands fourbes de notre espèce), nous étions bien incapables de franchir avec succès la première étape du formulaire à remplir : nous avions beau nous appliquer à travers des croix propres et régulières, elles ne tombaient qu’une fois sur dix dans les bonnes cases, et les agents administratifs, peu friands de notre jeu du hasard, nous refoulaient vers la sortie
« Partir dans les montagnes par une nuit calme et sombre comme l’enfer pour y trouver la folie ou la félicité, c’est peut - être cela, vivre pour quelque chose.
JÓN KALMAN STEFÀNSSON .
LA TRISTESSE DES ANGES’.
J'ai longtemps cru que les années m'aideraient à être un sage. Bien des fois dans ma vie, j'ai pensé que j'arriverais à toucher du doigt le savoir penser et l'agir juste, sans me méprendre, sans juger ni blesser, approcher le bien, contourner le mal, enfin tout ça, le comment être là, naturellement, comme un oiseau sur la branche.
Nos silences ont été jusqu'ici les plus beaux. Celui-là est laid comme un coup dans le dos, il donne des acouphènes et fait mettre la musique à fond même la nuit, j'écoute la radio du matin au soir, j'ouvre en grand ma vitre quand je roule sur le périph. Oh, je garde le sourire, ne t'inquiète pas, je sors, je vais même voir des gens et ils croient que je ris, parfois, c'est juste des pleurs qu'on déguise, il n'y a que la nuit qui le sait et qui soulage, et ton drap que tu mords, parce que le chagrin, les angoisses, il n'y a que lui qui les voit.
Quand l'écriture trouve la grande solitude pour y naître, on n'est plus seul.
Alida est toute habillée de noir et ses contours s’effacent dans la nuit. Josef sait qu’aussitôt passé l’arrêt du tramway, elle disparaîtra sous le porche et filera comme une anguille, et c’est soudain comme une désolation que lui donne la perspective de cette absence, Josef est surpris de ce sentiment-là qui vient se loger dans son ventre.
Il fait silence dans la Grande Villa, et aussi tout autour.
Mais je t’entends.
J’éteins la lampe.
Et je fais comme si de rien n’était.
Une enjambée me sépare de mon lit, je m’y allonge.
Et je rabats le drap sur ma tête – les moustiques ne
m’auront pas, et au cas où le téléphone sonnerait, peut-
être qu’ainsi je ne l’entendrai pas.