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4,25

sur 3114 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Cher Monsieur Capote,



Bien qu'il s'agisse ici d'une lettre d'outre-tombe et qui vous sera adressée dans l'au-delà, faisons pour un temps comme s'il n'en était pas ainsi. Pourquoi a-t-il fallu que vous rendiez l'âme l'année où moi, j'ai ouvert les yeux pour la première fois, acte par lequel j'officialisais mon arrivée dans ce monde mystérieux mais aussi, bien trop souvent, noir et ténébreux ?

J'ai enfin l'immense opportunité, de par cette lettre, de pouvoir vous dire ce que je ressens à votre égard. Sachez, cher Monsieur Capote, que je vous aime et vous admire autant que je vous hais.
Je vous admire car je trouve que votre écriture est emplie d'une immense richesse, autant par le style que vous utilisez que par la profondeur des sentiments que vous voulez faire transparaître. Vos écrits, romans comme nouvelles, sont poignants car ils révèlent une certaine meurtrissure de l'âme que l'on dénote chez bon nombre de vos personnages, tels que Grady dans La traversée de l'été, P,B Jones dans Prières exaucées ou encore Holly Golightly dans Petit déjeuner chez Tiffany pour n'en citer que quelques-uns. On retrouve aussi un profond attachement que le lecteur ressent indubitablement pour ces derniers. Voilà donc une des raisons pour lesquelles je vous aime ; vos personnages sont empreints d'une profonde sensibilité mais aussi d'une certaine fragilité qui les rend attachants et ne me laisse par conséquent pas indifférente. Ce sont des êtres qui ont le plus souvent été blessés et qui essayent autant bien que mal de vivre avec la crainte d'être rejetés ; sachez que je comprends cette souffrance.
Voici en revanche la raison pour laquelle je vous hais et qui n'est pas totalement incompatible avec la première. Vous faîtes naître chez moi, toujours par l'intermédiaire de vos personnages, des sentiments de violence (violence envers la société, les hommes,,,) que je croyais avoir réussi à canaliser et à refouler. J'éprouve en effet une profonde affection pour Perrry Smith et Dick Hickock, les criminels dont vous retracez le parcours et que vous analysez dans votre roman-reportage de sang froid. D'après les faits que vous relatez (faits qui sont véridiques), on pourrait assimiler ces hommes non pas à des êtres humains mais davantage à de véritables bêtes. Or, le sentiment que j'éprouve pour eux est tout autre, Il est vrai que les crimes dont ils se sont rendus coupables sont absolument atroces puisqu'ils ont tué une famille entière d'innocents fermiers littéralement « de sang froid » dans l'espoir d'un magot totalement inexistant. Néanmoins, malgré cette animosité apparente chez ces deux individus, vous arrivez à les « ré-humaniser » en montrant qu'il existe chez eux quelque chose de troublant, une vivacité d'esprit et d'intelligence qui les rend attachants, Je me suis en effet sentie inexorablement touchée par eux et c'est ce sentiment que vous avez réussi à faire resurgir en moi que je déteste.
Cela démontre cependant une nouvelle fois à quel point votre écriture est talentueuse pour arriver à susciter chez un même individu des émotions totalement contradictoires, à l'opposé du « bon sens » et qui ne paraissent pas du tout en adéquation avec sa personnalité.

Excusez-moi d'abuser encore un peu de votre patience mais je souhaiterais vous poser deux questions. La première est celle de savoir si durant vos visites aux condamnés Smith et Hickock dans le Couloir de la mort, vous avez vraiment ressenti un amour charnel pour Perry et si celui-ci était réciproque ?
Enfin, pouvez-vous me dire dans quelle mesure vous estimez que votre roman La harpe d'herbe peut être considéré comme un roman autobiographique ?


Je vous prie d'excuser mon écriture qui peut parfois manquer de limpidité mais comprenez ma timidité à m'adresser à un écrivain que j'idolâtre et que je considère comme étant le plus Grand Écrivain du XXème siècle,,,
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Quel livre ! Je viens de le refermer, et en suis encore tout étourdie.
Truman Capote nous raconte un fait divers sordide qui s'est déroulé dans la fin des années cinquante dans le Kansas : le meurtre de quatre membre d'une même famille, froidement assassinés dans leur maison par deux repris de justice, Perry Smith et Dick Hickock.
Les faits sont connus dès le début du récit, qui commence par un chapitre clairement intitulé "les derniers à les avoir vus en vie", dans lequel on fait la connaissance de tous les protagonistes : les victimes, les coupables, les voisins. Pas de suspense donc, mais ce n'est pas ce qui compte ici.
L'auteur a mené un véritable travail d'investigation, interrogeant durant de longs mois de nombreux témoins et des enquêteurs, étudiant des rapports de police, et rendant visite en prison aux deux coupables. Sa rencontre avec Perry Smith l'a particulièrement touché, ayant vu dans ce délinquant ce que lui-même aurait pu devenir sans la littérature.
Que Truman Capote ait beaucoup donné de sa personne pour l'écriture de ce livre, cela ne fait aucun doute. À tel point que selon ses proches, il ne sera plus jamais le même. De sang froid constitue son sommet littéraire, ses productions ultérieures ne seront pas à la même hauteur, et il sombrera dans l'alcool et la drogue.
Ce que j'ai trouvé extraordinaire dans ce roman, c'est que malgré l'implication totale de l'auteur dans son écriture, il laisse le soin au lecteur de se faire une opinion. Il ne cherche jamais à l'influencer, il se contente de lui livrer les faits bruts. Le récit est minutieux, on a l'impression de voir un documentaire. Les différents plans s'enchainent. Le style est simple, voire dépouillé ; Truman Capote semble totalement détaché, et c'est ce qui rend son texte d'autant plus fort.
À travers les deux coupables, dont on découvre le passé grâce à différentes lettres de proches, à travers la famille des victimes, à travers les habitants du village de Holcomb, l'auteur dresse un portrait saisissant d'une certaine Amérique profonde. Smith et Hickock sont deux pauvres bougres, mais Truman Capote ne cherche pas à apitoyer son lecteur, pas plus qu'il ne cherche à enfoncer les deux meurtriers. Les différents personnages sont décrits sans fard, rien n'est enjolivé : Truman Capote nous montre la nature humaine, brute, sans artifice.
Un chef-d'oeuvre, et je pèse mes mots. Si vous n'avez pas encore lu ce livre, précipitez-vous !
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En choisissant d'écrire sur un fait divers, Truman Capote entre dans le genre nouveau de la littérature non fictionnelle. Une voie qu'empruntent après lui, avec succès, de nombreux auteurs comme l'Américain Norman Mailer (Le chant du Bourreau) ou les Français Didier Decoin et Emmanuel Carrère (L'adversaire) pour ne citer qu'eux.

Dans ce nouveau genre les auteurs font un travail de journaliste qui se livre à une véritable enquête. Pour la rédaction de Sang-froid, Truman Capote rencontre les deux jeunes meurtriers d'une famille de fermiers — tuée froidement et sans véritable mobile (50 dollars) - il tisse des liens avec eux qui peuvent paraître déplacés, mais nous les fait voir de l'intérieur, et c'est précisément ce qui est passionnant.

J'ai lu il y a quelque temps, un livre captivant de Janet Malcolm, le journaliste et l'assassin, où elle relate une affaire qui pose le problème des auteurs avec leur sujet dans la littérature de non-fiction. Un cas d'école déontologique où la question est de savoir quelles sont les limites qu'un auteur doit se fixer, ou même s'il doit en avoir.

Un chef d'oeuvre de la littérature américaine qu'il faut évidemment lire.
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Enquête , réquisitoire contre la peine de mort , livre inclassable mis en valeur par la magnifique écriture de Truman Capote .
Ce livre est basé sur un faits divers qui s'est déroulé aux Etats -Unis en 1959 , crime horrible , les deux criminels voulaient être ' riche ' et ont choisi leurs victimes au hasard , ils n'ont aucun remords , n'éprouvent aucune émotion d'où le nom du livre .
Truman Capote va enquêter pendant quelques mois , il va rencontrer à plusieurs reprises les meurtriers , il va essayer de donner du sens à ce crime épouvantable , ce massacre d'une famille entière , il reconstitue minutieusement les différentes étapes .
L'auteur va reconnaître qu'il aura du mal à s'en remettre , il essaye de trouver un peu d'humanité chez ces deux personnes considérées par le monde entier comme des ' monstres ' , il fait des recherches sur leur enfance , leur adolescence pour tenter de comprendre comment cela a-t-il pu arriver .
Evidemment , il ne donne pas de réponse , il n'y en a pas .
Il nous montre que malgré leurs actes horribles , qui n'ont aucune excuse , ce sont des êtres humains malgré tout .
Un roman qu'on n'oublie pas , magistral .
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De sang-froid
Récit véridique d'un meurtre multiple et de ses conséquences
Truman Capote 1965
Traduit par Raymond Girard 1966

Un meurtre, aussi sordide soit-il, ne fait pas un grand roman. Quatre membres d'une famille respectée sont sauvagement assassinés en 1959 au Kansas. Très peu d'indices sont retrouvés et il faudra une enquête acharnée, mais aussi de la chance, pour trouver les coupables.
Truman Capote, figure des milieux littéraires, se passionne pour ce fait divers. Il y voit une matière fictionnelle extraordinaire qui le pousse à rencontrer les protagonistes et suivre l'affaire jusqu'à sa conclusion.

Tout le talent d'un écrivain réside dans sa dextérité à transformer un crime cruel en histoire universelle. Car l'auteur n'interroge pas moins que l'humanité toute entière : comment un homme banal peut-il tuer "de sang-froid" une famille complète ?
D'où vient le mal ? Peut-on l'arrêter ? L'axiome oeil pour oeil, dent pour dent ne satisfait qu'un instinct primaire de l'être humain. La vengeance lui donne l'illusion de la justice, mais l'éloigne de la vérité et le prive de toute humanité. Oui, ce récit est aussi un plaidoyer contre la peine de mort.

Mètre-étalon du roman-enquête, de sang-froid fait entrer la non-fiction dans la littérature. La vague actuelle de livres "true crime" en témoigne, le crime exerce une fascination morbide, comme une recherche désespérée de l'élan vital.
La maîtrise du récit impressionne ici par sa reconstitution des faits aussi méthodique que romanesque. Les personnages prennent si justement corps et âme que l'on s'attache vite à eux. Grâce à son analyse aiguë de leurs psychés, Capote nous attrape pour ne plus nous lâcher. La fluidité de sa plume achève l'oeuvre et l'on se surprend à ne pas vouloir la terminer.
Seul un grand roman a cette puissance-là.
Un roman culte.

PS La traduction datée ajoute un charme désuet et ne gêne en rien la lecture.

PPS J'ai lu ce livre dans une édition offerte. Il traînait dans ma bibliothèque depuis des années. Désormais il y trône, et reste disponible à un prix abordable.
Autrement dit : lisez-le !

Mais peut-être l'avez-vous déjà lu ?
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Très grand coup de coeur pour ce roman noir, sans doute le plus célèbre de Truman Capote, en tout cas celui qui contribuera à son immense notoriété.

Ce roman me faisait peur depuis longtemps et il prenait la poussière sur l'étagère. Et comme souvent quand un classique me fait peur, une fois lu, je me ficherais bien des claques pour avoir failli passer à côté.

Roman choral à la construction narrative originale et pourtant facile et agréable à suivre, "De sang-froid" ne vous laissera sans doute pas de marbre. Je vous souhaite de garder le vôtre tout au long de votre lecture. En ce qui me concerne, ce fut difficile tant le sujet prend aux tripes mais ce roman m'a complètement captivée, et comme aspirée entre ses pages.

Ici, la chronique sociale se fait enquête puis étude psychologique. Avec un sens du suspense qui sert le caractère dramatique tout en retenue et sans effets de manche, Truman Capote tient le lecteur en haleine et le place dans la situation délicate d'un juge. A l'instar des personnages du roman, et face à un homicide collectif odieux qui défraya la chronique de l'Etat du Kansas en 1959, le lecteur est tout à la fois spectateur impuissant du drame, enquêteur, juré et sociologue.

Le roman dégage une puissance envoûtante que j'ai rarement rencontrée en littérature et qui donne au récit une densité et une intensité remarquables. Capote nous offre une remarquable plongée dans les Etats-Unis des années 50 et 60. Un roman que je classe désormais parmi mes incontournables.


Challenge MULTI-DÉFIS 2019
Challenge XXème siècle - Edition 2019
Challenge USA
Challenge PAVES 2019
Challenge XXème siècle (sans limite de temps)
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Truman Capote raconte l'histoire vraie d'une tragédie incroyable qui a frappé les quatre membres de la famille Clutter dans une petite bourgade du Kansas en 1959. Cette mort brutale et sans mobile apparent plonge les habitants de Holcomb dans la frayeur et l'incompréhension. Dans la frayeur car ici, à Holcomb ils n'ont que des amis. La banalité du quotidien, la paix et la tranquillité basculent dans une déprime collective. Plus rien n'a de sens depuis que ce crime sordide a été commis envers une famille généreuse et sans histoires. Ils ne se sentent plus à l'abri de rien et chacun se met alors à suspecter son voisin.

De sang-froid, les deux psychopathes Perry et Dick exécutent leurs victimes, et quittent les lieux en blaguant, sans un impact sur leur conscience.

Dès le début du roman on connaît donc les faits. Implacables, sans possibilité de retour en arrière, sans oser espérer fermer les portes à double tour pour que la folie n'entre pas, ces faits frappent le lecteur, le prennent dans ses tenailles, le ligotent aux pensées ténébreuses de ces tueurs fous.

La suite du roman se déroule sur les traces de la fuite irrationnelle de Perry et de Dick. En évoquant leur passé tout au long de ce périple infernal vers le Mexique ou sur la route 66, on creuse ainsi leur enfance, leur parcours, leurs failles, leur carence émotive. Juste des faits, pas de jugements, en équilibre entre folie et blessures. De cette lecture, Perry m'est apparu le personnage le plus troublant, le plus effroyablement fragile, le plus complexe. La rencontre entre ces deux hommes ne pouvait que conduire au crime le plus atroce, sans filtre.

Roman sur la psychologie meurtrière, les désordres de la personnalité, la brutalité de la peine capitale, qui nous fait entrer dans le tsunami d'incompréhension qu'impliquent de tels crimes. Enquête menée à la façon d'un journaliste n'épargnant aucuns détails, sur les pas de criminels hors normes, d'une folie implacable, qui ne laisse pas indemne.






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Tout est parti d'un fait divers réel et horrible, l'assassinat d'un riche fermier avec trois membres de sa famille. En novembre 1959, à Holcomb petite ville paisible dans la campagne du Kansas, Herb Clutter, sa femme, sa fille et son fils furent abattus en pleine nuit chez eux de manière sauvage. Ils étaient des gens sans histoire, bienveillants, toujours le coeur sur la main. C'est sans doute ce qui accentua la douleur de ceux qui les connaissaient, le traumatisme du pays et son appropriation par l'opinion publique.
La construction narrative de ce récit m'a sidérée. Un « true crime » comme on dit là-bas de l'autre côté de l'Atlantique, un roman-vérité. Truman Capote est allé chercher la vérité au coeur de l'Amérique profonde, au coeur des personnages de cette histoire, la légende dit qu'il ne s'en est jamais remis après avoir non seulement écrit ce livre, mais surtout après être entré en totale immersion dans ce récit vrai pour tenter d'en comprendre les rouages... Truman Capote a eu la possibilité de rencontrer et interviewer tous les acteurs de cette tragédie, y compris les deux meurtriers.
Truman Capote est allé loin, très loin, dans ce voyage presque sans retour.
L'art de l'écrivain, revêtant l'étoffe du journaliste pour l'occasion, nous ouvre les portes béantes du crime, nous fait entrer sous la peau et dans la tête des deux protagonistes de ce crime sordide qui repose sur cinquante dollars, un poste de radio et l'idée d'un coffre-fort soufflée par un camarade détenu d'un des deux assassins mais qui n'exista jamais chez la famille Clutter. Quand bien même le coffre-fort aurait existé, le crime aurait été tout aussi sordide.
Truman Capote vient plaquer ses mots au plus près des visages des personnages, de leurs respirations, comme un reporter avec sa caméra. Dans un style dépouillé jusqu'à l'os, il écrit, décrit ce qui est, nous fait pénétrer dans la conscience trouble des meurtriers, nous dévoile d'où ils viennent, leurs chemins respectifs, leurs dédales pour en arriver là, à se croiser dans cet itinéraire fatal et absurde.
C'est une redoutable plongée dans les tréfonds de l'âme humaine.
Que va devenir dans notre imaginaire cette nuit fatale qui semble sceller à jamais la cruauté d'un crime gratuit sans nom ? Que va devenir cette nuit qui va poursuivre les meurtriers, deux repris de justice qui se sont connu en prison, les rattraper à leur grand étonnement, les ramener vers la loi des hommes et leur justice ?
C'est une chronique qui donne vie à ceux qui ont donné la mort, sans rien n'excuser ni justifier de leurs gestes insensés, ni le passé, ni le présent, tout est posé là comme des faits, la vérité vraie de ce qui fut, de ce qui est, avec le froid des mots implacables.
Pourtant tout au long du récit, les deux meurtriers nous deviennent vite familiers. Autant leur donner un nom à eux aussi, puisqu'ils s'appellent Perry Smith et Richard Hickock. Deux jeunes criminels apparemment sans coeur, détachés de toute émotion. Quelle réalité se cache derrière les apparences ? Truman Capote saisit cette réalité en totale distance. Leur part troublante d'humanité nous est révélée dans cette trajectoire longue depuis le départ de leur rencontre jusqu'à cette destination ultime qui va les mener jusqu'au couloir de la mort et sous la potence d'une prison du Kansas.
Nous traversons avec les deux meurtriers des territoires solitaires, nous empruntons des routes tantôt accablées de soleil, tantôt balayées par les pluies. On dirait que tout cela ressemble à leurs vies éphémères dont ils n'ont pas conscience un seul instant, comme cette nuit fatale où ils sont entrés chez les Clutter et en sont sorti quelques heures plus tard avec la même désinvolture proche de la folie.
Ce récit m'a plongé dans les tenants et les aboutissants d'un drame aussi sanglant qu'absurde.
Il nous montre d'où ces deux assassins viennent, nous faisons connaissance avec leurs familles, nous découvrons peu à peu la mécanique implacable qui les a conduits au pire, presque sans qu'ils en prennent conscience. C'est terrible. Comment expliquer, alors, ce terrifiant passage à l'acte ?
Truman Capote, bien sûr, ne tranche jamais cette insondable interrogation.
Ici j'ai été touché par l'empathie de cet écrivain avec les personnages. Quel talent en effet de pouvoir donner une voix à ce qui est inaudible.
Cette empathie nous plonge jusqu'au vertige.
À peine le procès était commencé, tout était déjà couru d'avance, les foules hostiles au dehors, des jurés en absence totale de neutralité parce que certains connaissaient les Clutter, des avocats de la défense pas vraiment à la hauteur de l'enjeu, un juge totalement impartial. N'enlevant rien à la tragédie sauvage commise par les deux meurtriers, ce texte est un réquisitoire implacable contre le mode de justice de certains Êtats des États-Unis.
Le pire, c'est que cela continue soixante ans plus tard.
Ce texte est un plaidoyer saisissant contre la peine de mort, un peu comme le fut dans un autre style le dernier jour d'un condamné de Victor Hugo qui m'avait particulièrement ému. Nous connaissons les opinions publiques particulièrement sensibles sur ce sujet, ici chez nous encore mais aussi aux États-Unis où elles sont toujours exacerbées.
Le hasard du calendrier fait que ma lecture et l'écriture de ce billet interviennent quarante ans après l'abolition de la peine de mort en France et une semaine après ce magnifique et puissant discours de Robert Badinter au Panthéon pour célébrer l'événement.
De Sang-froid est un texte somptueux, magistral. Totalement actuel.
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Le 15 novembre 1959, deux ex-détenus récemment libérés sur parole, Perry Smith et Richard Hickock dit « Dick », font irruption dans la maison d'un fermier prospère de l'ouest du Kansas nommé Herbert Clutter, avec l'intention de dérober l'argent qu'il détiendrait dans un coffre-fort. Information recueillie lors de l'incarcération d'un des deux malfrats de la bouche d'un ancien employé du fermier, mais erronée. Quand ils se rendent compte de l'absence de coffre-fort et d'argent, ils assassinent froidement toute la famille présente sur place : le père, la mère et deux de leurs enfants âgés de 15 et 16 ans. Puis ils repartent avec un maigre butin : quelques dollars, une paire de jumelles et un poste radio.
Arrêtés six semaines après, ils seront reconnus coupables et condamnés à la peine de mort. Ils sont exécutés par pendaison le 14 avril 1965.

C'est ce crime crapuleux qui retient l'attention de Truman Capote dans les journaux. Il s'y intéresse, mène de nombreuses investigations, recueille bon nombre de témoignages, des courriers, questionne la population locale et les autorités, consulte les documents de l'affaire, interroge les deux criminels, sonde leur for intérieur, cherche les causes profondes... Il veut saisir la trajectoire de ces deux hommes, comprendre comment deux êtres peuvent basculer petit à petit dans la délinquance et s'y enfoncer jusqu'à commettre un tel acte. Il veut savoir aussi comment une petite ville tranquille appréhende un tel événement, en analyser les répercussions. Il veut saisir tous les aspects de cette affaire, par l'étude de la nature et des causes du crime d'un point de vue individuel et social à la lumière des aspects psychologiques, sociologiques, économiques ou que sais-je encore. C'est un champ d'étude qui le fascine, l'obsède et l'épuise. 5 ans d'enquête, 8000 pages de notes...

Son enquête minutieuse sera la matière de son roman le plus connu de son oeuvre. Je ne l'avais jamais lu, je n'ai pas vu les versions cinématographiques. Je viens donc d'en découvrir la teneur. J'ai abordé cette lecture après avoir consulté uniquement les conclusions de critiques sur babelio afin de m'assurer seulement d'une bonne lecture, et après avoir pris connaissance via internet de la nature et des premiers éléments de l'affaire Clutter. Je suis donc partie presque en aveugle sur cet ouvrage, en tout cas juste avec l'essentiel pour ne pas perdre de temps à la compréhension du contexte, j'ai fait le choix de le lire comme une chronique judiciaire, avec la curiosité de découvrir comment l'auteur avait articulé son ouvrage, s'il était fidèle à la réalité des faits ou s'il s'en éloignait pour en faire un roman fictionnel, s'il prenait parti pour une cause ou une autre, s'il écartait certains pans de ses recherches ou s'il en restituait les fruits de manière exhaustive. Beaucoup de curiosité donc et un intérêt très vif pour son écriture et le liant qu'il allait mettre dans tout cela.

Je viens d'achever ma lecture et je suis d'abord impressionnée par la quantité d'informations relevées par l'auteur au cours de son enquête ; j'ai lu un dossier d'instruction très dense sous forme de roman. Un roman qui a tout d'une fiction mais qui raconte une histoire vraie, dans le détail, s'attachant aux faits, aux victimes, à leur entourage, aux auteurs du crime, à la ville et ses habitants, aux conséquences... Une lecture descriptive, longue de 506 pages, où l'on ressent pleinement le total investissement de l'écrivain, corps et âme plongés dans cette noirceur.
C'est un roman reportage, qui s'effeuille progressivement. le tout est restitué magistralement, c'est sans conteste un roman très abouti de l'oeuvre de Truman Capote qui témoigne de ses grandes qualités d'écrivain, le point culminant de son oeuvre. Un roman phare qui lui apportera la gloire avant de l'entraîner inexorablement vers son déclin, incapable de se remettre de sa rencontre avec Perry Smith avec lequel il a noué des liens d'amitiés et qu'il a vu comme son autre soi s'il n'avait pas trouvé la voix de la littérature, incapable de se remettre en phase avec lui-même et retrouver le sens de l'écriture, sombrant dans l'alcool.

«  de sang-froid », un titre dont on saisit plusieurs sens : le sang-froid des criminels dénués de sentiments lorsqu'ils abattent leurs victimes d'un coup de fusil dans la tête après les avoir ligotées et égorgé pour l'une d'entre elles, le sang-froid de la justice qui prononce la peine capitale, le sang-froid de Truman Capote qui conserve la tête froide dans l'analyse de cette affaire et parvient assez bien à ne pas mettre ses sentiments personnels dans ce qu'il rapporte.

Un roman qui m'a plu, séduite par la plume de l'auteur et sa capacité à narrer une affaire criminelle dans le détail, mais souffrant de quelques longueurs qui ont parfois diminué l'intérêt de la lecture ainsi qu'une traduction quelques fois approximative.

Un excellent roman à ne pas manquer de lire, un jour, quand vous le sentirez.
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Ce livre magistral est responsable d'un événement unique dans ma vie : c'est le seul qui m'a sortie du lit pour vérifier si ma porte d'entrée était fermée, et ce, deux fois de suite ! Un livre que j'ai lu jusqu'à quatre heures du matin, ce qui m'arrive rarement…

Evidemment, l'extraordinaire travail d'investigation (six années de travail et 6000 pages) est unique en son genre. C'est une preuve que l'écriture dite blanche ne s'improvise pas (cette écriture blanche tellement galvaudée !). Chaque détail vient s'ajouter au suivant dans un savant alliage et c'est la simplicité de la narration et de l'enchaînement des points de vue, couplée à la férocité des actes de ce crime ordinaire qui glacent le sang. C'est l'extrême efficacité avec laquelle les détails s'enchaînent qui nous plonge petit à petit dans l'horreur alors que le récit est froid et la plume détachée.

Quel tour de force ! Capote fait partie de ce mouvement, au même titre que Tom Wolf, dans les années soixante où le journalisme empruntait à la littérature. Mais alors que Tom Wolf se sentait proche de Capote, lui déclarait qu'il avait déroulé son récit sans esbroufe et sans « vomi empourpré »…

Ce livre démontre avec une minutie jamais égalée comment un Perry Smith ou un Dick Hickock peuvent commettre des actes monstrueux tout en gardant une figure humaine. Plusieurs fois, Perry et Dick ont failli renoncer à ce crime et l'on apprend même page 349 que l'un veut prouver à l'autre qu'il a du cran et qu'il peut foncer sans lui. Ce seul motif est absolument terrifiant. Parce qu'à la fin, le gain n'est pas énorme et les victimes, les Clutter, n'ont jamais rien fait aux bourreaux. C'est juste une affaire de quelques dizaines de dollars et d'un poste de radio volé !

Un éblouissant exercice qui nous place tantôt dans l'horreur qu'ont vécue les victimes, et tantôt nous arrache un sentiment de compassion vis-à-vis des bourreaux. Et l'on referme le livre avec cette conclusion terrifiante : un meurtre barbare peut être perpétré avec des points de bascule vers l'horreur qui ne peuvent jamais être définis et c'est souvent un faisceau de circonstances, une situation dans son ensemble qu'il faut examiner à la loupe en plaçant la loupe devant chaque oeil pour donner toutes les clefs d'un crime ordinaires. Et même avec tout ce travail, le meurtre demeure un mystère !

Un livre magistral, unique en son genre et jamais égalé. Assurément un chef-d'oeuvre qui ne nous laisse pas indemne, et dont l'écriture, d'après les proches de Capote, ne l'a pas laissé indemne non plus, en particulier sa rencontre avec Perry Smith.

4,5/5
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