Le mercredi est le jour le plus embêtant quand on ne travaille pas; c'est un jour qui demande qu'on soit alerte, actif, pressé; on est en plein dans la bagarre, on bouscule dans la rue, on court d'un métro à l'autre; c'est le jour le plus aigu de la semaine.
Ah cette chambre ! non n'essayez pas de venir me voir ; j'y suis mieux barricadé que si elle avait des centaines de verrous et des chiens policiers. On ne peut pas aller plus loin après ma chambre ; elle est un cul-de-sac ; on y est coincé ; mais avant elle, que de pièces à traverser ! ça rappelle le cinéma quand on a le dernier fauteuil de la rangée et qu'il faut déranger coûte que coûte tant de visages collés à l'écran, et pardon madame, excusez-moi, je ne voyais pas votre chien, et pardon monsieur, je vous ai marché sur le pied, etc., etc., c'est ainsi pour arriver jusqu'à ma chambre : trois pièces à traverser, plus un débarras plein de balais et de chiffons. Je n'ai jamais trouvé aucune pièce vide à mon approche et Dieu sait si j'en ai rêvé, vous savez ces palais glacés aux pièces sonores et désertes « que le pied de l'homme n'a jamais souillés ». À la première, je frappe ; c'est une espèce d'employé sans âge qui se déshabille toujours quand je passe ; je lui dis doucement, d'un ton qui porte à faux, comme si j'étais arrivé en retard à son bureau : « Pardonnez-moi, vous allez bien ? » Il grommelle ; il sent la pipe froide, le tabac humilié du mégot, son costume est de la même couleur : jus de pipe, avec des poches béantes, culottées ; il est étendu sur son lit avec ses souliers mais il a mis son journal dessous ; je voudrais lui dire que c'est plus simple de les enlever mais ça ne me regarde pas ; sa chemise est faite de deux vieilles chemises ; le dos est gris avec des bandes bleues et le devant blanc ; je marche sur la pointe des pieds ; je sais que je le crispe mais je ne peux pas faire autrement ; il a l'air de m'attendre à la première latte du plancher qui pourrait craquer...
...je n'ai jamais eu de montre de poignet : d'ailleurs je n'aime pas sentir la journée passer comme cela dans une aiguillée de vie, battre comme un coeur, vivre sur moi en parasite ; qu'elle soit en dehors, je préfère. Je n'ai pas besoin de savoir l'heure, l'heure des autres.
« Éditeur en marchant, écrivain en courant »
Avec Justine Lévy, Marie Modiano & Peter von Poehl, Éric Reinhardt, Anne Plantagenet, Isabelle Jarry, Teresa Cremisi, Capucine Ruat, nicole Lapierre, Jean-Louis Fournier...
Animation : Sandrine Treiner
Jean-Marc Roberts fut l'une des figures les plus flamboyantes des lettres françaises. Écrivain précoce, il publie son premier roman à dix-sept ans et découvre alors ce que sera sa vie : se mettre au service des auteurs et des livres. Immense découvreur de talents, il insufflera à la littérature audace et élégance, ne se souciant jamais de la bien-pensance. Pas de ligne éditoriale, plutôt un air de famille joyeusement recomposée qui lui ressemble. Il publie notamment Vassilis Alexakis, Didier Decoin, Christine Angot, Erik Orsenna, et aussi Nina Bouraoui, Philippe Claudel, Aurélie Filippetti, Jean-Louis Fournier, Brigitte Giraud, Luc Lang, Justine Lévy, Eric Reinhardt, François Taillandier…
À l'occasion du 70e anniversaire de sa naissance, cette soirée composera un portrait à son image, vivant et éclectique. Il y sera question de music-hall, de football et de cinéma, de Michel Piccoli et de Nathalie Baye, d'une petite femme et d'un père américain, des émissions de Jacques Chancel, Bernard Pivot et Pierre Desproges, de Hervé Guibert et de Jean Cayrol, de poker, de variétés française et italienne… et bien sûr de fêter la littérature.
À lire – Collectif, sous la direction de Capucine Ruat, “Je vous ai lu cette nuit”. Hommage à Jean-Marc Roberts, Albin Michel, 2023.
Son par William Lopez
Lumière par Iris Feix
Direction technique par Guillaume Parra
Captation par Claire Jarlan
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