Qu'on se le dise, on a là une histoire d'une modernité impressionnante et jamais démentie : le récit de
Diderot a été considéré à sa publication particulièrement avant-gardiste en ce qui concernait son regard sur la position de la femme, et il se révèle donc aujourd'hui plus que jamais d'actualité. A travers le portrait de Madame de la Pommeraye,
Diderot signe un véritable manifeste en faveur de l'émancipation du sexe que l'on considérait déjà à l'époque comme étant "faible"... à tord. L'auteur montre effectivement l'intelligence et la ténacité de la femme, implacable et cruelle si on lui porte préjudice, mais, plus encore, il défend ce droit à la vengeance ainsi qu'on aurait pu l'accepter d'un homme en pareil cas. de même, un homme qui enchaîne les maîtresses ne sera pas tant jugé pour son libertinage tandis qu'une femme qui cède à la pression d'un séducteur, elle, risquera le rejet social...
Diderot réfute ces préjugés et porte sur les codes habituels du genre un regard révolutionnaire, le même que l'on retrouve dans son essai Sur les femmes, qui sert très pertinemment d'introduction à cette réédition.
Bien que la chute, des plus surprenantes, ne glorifie pas la vengeance (elle s'avèrera n'apporter aucune consolation, ni sérénité), on aura compris que
Diderot ne fait pas le jugement de Madame de la Pommeraye pour autant. Mais alors, quel parti prendre? L'auteur laisse le lecteur se faire son opinion et tirer ses propres conclusions, sans donner réellement de morale à son histoire. La faute n'est rejetée sur aucun des protagonistes et tous sont tour à tour défendus par l'hôtesse de l'auberge (la narratrice), Jacques, ou son maître. On constatera en effet que
Diderot dresse et présente la marquise, le marquis, et même la jeune courtisane, avec une égale bienveillance, faisant au passage de Madame de la Pommeraye la première figure littéraire dans le genre et une source d'inspiration majeure, entre autres, à la Marquise de Merteuil de Laclos et de ses Liaisons dangereuses.
Enfin, n'oublions pas d'évoquer le style, un autre des plaisirs de ce roman : si on lui reconnait la formulation soutenue et la ponctuation précieuse des textes les mieux écrits de l'époque des Lumières, les dialogues sont habités d'une rare fraîcheur. Véritable jeu de paume plein de paraître et de suave intelligence entre les personnages, ils équilibrent l'aspect suranné de l'oeuvre par leur ton vif et enlevé et donnent véritablement corps aux personnages. Si les interruptions par Jacques, le maître, ou les convives de l'auberge (qui forcent ainsi l'hôtesse à entrecouper son récit le temps d'accomplir sa besogne) donnent parfois l'impression de perturber le rythme du récit, elles ne sont jamais vaines : leur contenu, subtilement, insidieusement, participe aussi à orienter le jugement du lecteur...
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