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EAN : 9782070139132
688 pages
Gallimard (23/01/2014)
3.81/5   60 notes
Résumé :
Stefano Guerra naît à la politique en 1968. Étudiant d’extrême droite, il participe aux affrontements de Valle Giulia, le campus universitaire de Rome, et c’est alors qu’il commet l’irréparable : il tue par accident un jeune homme, Mauro, qu’il voulait seulement menacer. Ce crime marque le début d’une longue dérive, du militantisme à la clandestinité, de la politique à la violence, à travers les événements les plus controversés de l’histoire italienne et dans un mon... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Mai 68. Si en France les étudiants découvraient la plage sous les pavés, en Italie on y trouvait plutôt de la TNT et du sang. Là-bas c'était la guerre. Avec d'un côté, des militants d'extrême-droite nostalgiques des fastes de la romanité, de l'autre des militants d'extrême-gauche prônant la révolution ; et au milieu, des chrétiens démocrates bien démunis face à ces groupuscules aspirant à mettre fin à "la grande tromperie de la paix bourgeoise".
Meurtres, attentats, complots, corruption, stratégie de la tension…c'est toute cette atmosphère sombre et effervescente que ressuscite Alberto Garlini dans Les noirs et les rouges, roman dans lequel l'auteur italien prend à bras-le-corps les maux de cette époque sans jamais tomber dans l'écueil du roman à thèse.
Car "Les noirs et les rouges" raconte avant tout une histoire débordante de passion, de rage et de vengeance qui dévore le héros Stefano Guerra. Etudiant en droit à Rome, celui qui n'était jusqu'à présent qu'un jeune exalté guidé par un sentiment d'éblouissement, bascule dans la violence politique et le fascisme radical suite à la mort accidentelle d'un étudiant communiste. Il aurait pu aussi bien grossir les rangs des anarchistes mais avec des paroles éloquentes servant à gonfler les muscles et les âmes, les fascistes ont su retenir le jeune homme dans leurs filets.


Ce meurtre involontaire est la flamme qui allume la mèche à une mécanique infernale qui ne semble jamais s'arrêter. Aussi bien pour Stefano que pour le mouvement fasciste pour lequel le jeune homme fait figure de héros.
On est lentement envahi par le sentiment de voir se dessiner une République teintée de noir, avec une armée d'ombres déterminée qui s'organise dans la clandestinité. Entre hommes politiques, anciens mercenaires, militants néofascistes, policiers corrompus, délinquants en tout genre, les personnages apparaissent comme des grenades dégoupillées : imprévisibles, prêts à tuer n'importe quand n'importe qui. Même Stefano, l'amoureux de poésie.
Surtout Stefano "qui porte en lui la révolution, les bruits de la province et la chaleur pulsante des poings" et pour lequel "l'esprit guerrier du dieu Odin bat dans sa poitrine". Au coeur de la grande Histoire, l'auteur italien a su dessiner une tragédie individuelle le long des petites failles de ce personnage naïf qui n'a jamais su déterminer les contours de ses rêves. Il pourrait apparaître comme le portrait-type du nazillon, mais Garlini a réservé un destin fait d'ampleur et de lyrisme, d'héroïsme et de trahison, de colère outrageuse et de manipulation à celui qui se découvre douloureusement, un gars pas bien né qui recourt à "la violence comme antidote aux imperfections du ciel".


Une langue grave qui mêle brutalité froide et discours mystique, force magnétique et émotion exacerbée ; un rythme narratif parfaitement maîtrisé qui saisit aussi bien les instants d'embrasements que les moments de désarroi, il y a une puissance à couper le souffle dans ce récit. On ne résiste pas à l'impatience de parvenir à bout de ces 600 et quelques pages, jusqu'à l'épuisement parfois.
Lecture éprouvante mais ô combien jubilatoire. Peut-être parce qu'Alberto Garlini signe un roman ambitieux et convaincant. Il n'hésite pas à s'engouffrer dans la brèche laissée ouverte par la vague d'attentats demeurés sans coupables qui a frappé l'Italie des années 70 pour nous plonger dans une fiction riche d'intrigues et de personnages opaques allant jusqu'à impliquer les services secrets.

Roman magnifique et vertigineux qui laisse un goût de sang dans la bouche. On ressort de cette lecture étourdi et profondément bouleversé par Stefano qui dans l'inhumain se révèle finalement terriblement humain.

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Presque trois semaines dans la peau d'un fasciste!!...

Cela m'a paru long et j'ai dû me faire violence pour aller de l'avant, dans ce gros livre plein de rage, de violence et d'humiliation, tout habité par la quête désespérée d' un honneur perdu et d'une revanche sociale qui se dérobe toujours .

Stefano Guerra – tout un programme- est originaire d'Udine, dans le Frioul ; sa mère est couturière, et arrondit ses fins de mois par des complaisances monnayées aux petits potentats locaux, son père était un ouvrier alcoolique qui s'est pendu de désespoir.

Stefano est biberonné à l'humiliation et à la rancoeur- sociale, morale, politique- depuis l'enfance.

Il rêve d'ordre, d'honneur, de camaraderie -à-la-vie-à-la mort et d'obéissance aveugle à ses chefs .
Mais il sème le désordre partout où il passe, se salit les mains dans plus d'une basse besogne, trahit ou se fait trahir par les siens et finit par échapper totalement à des chefs qu'il méprise et qui le craignent jusqu'à chercher à le supprimer à tout prix.

Il devient un électron libre, plein de rage et couvert de sang, un chasseur solitaire qui s'agite frénétiquement dans le « triangle d'or » du fascisme italien pendant les Années de Plomb : Milan, Rome, Udine. Une courte parenthèse en Afhanistan pour se refaire une santé financière dans le trafic d'héroïne, et un terminus apocalyptique en Patagonie. Comme le dit Stefano lui-même : « Je sais que ma bête est là-bas, dans cette caverne de Patagonie. La bête qui me poursuit depuis que je suis enfant. Je dois la trouver et régler mes comptes avec le monstre une fois pour toutes. »

Ce monstre, c'est celui qu'il est devenu, de violence en vengeance, d'homicide involontaire en attentat terroriste, de morts sur ordonnance en règlement de comptes.

Un loup bleu.

Un de ces «  animaux mythiques , qui vivent à l'écart du monde et de la société, et même à l'écart de leurs semblables. (…) des animaux libres et fiers, que le mépris des autres rend féroces. »

A côté de son engagement aveugle pour un groupuscule fasciste qui le manipule sans vergogne, il y a sa vie privée : sexe tarifé, beuveries, virées entre « camarades » - c'est ainsi que se désignent, entre eux, les fascistes , les communistes disent « compagni » nous apprend la note du traducteur- et, dans ce désert affectif pitoyable, un amour inexplicable et passionné pour la belle Antonella, fille d'un riche intellectuel romain. Mais le plus tragique – et le plus invraisemblable aussi- est qu'Antonella ignore tout de ses engagements. Et surtout qu'elle est la soeur de Mauro, que Stefano a tué « par inadvertance » dans la faculté de lettres occupée, un jour de rixes entre rouges et noirs.

Roméo et Juliette au pays des chemises noires...

Deux choses m'ont empêchée de fermer le livre : ce n'est pas la plus petite empathie pour ce héros brutal et décervelé, ni un quelconque intérêt pour les personnages secondaires, assez interchangeables et peu ragoûtants.

La première raison est liée à L Histoire, à la fresque de ces années de plomb où Rouges et Noirs se partageaient la rue et le pavé, sous l'oeil pas si neutre que cela de la démocratie chrétienne, qui joua si bien avec le feu , qu'après avoir fricoté avec les Noirs, elle eut affaire au terrorisme des (Brigades) Rouges qu'elle ne contrôlait pas, et qui la fit plonger dans le chaos.

Le livre évoque avec brio cette période troublée, agitée, violente mais où la violence est encore ritualisée- chacun ses cafés, ses chants, son drapeau, son quartier, son folklore- jusqu'au moment où éclate ce qui va ressembler à une guerre civile.

Le roman nous fait vivre ce grand tournant-là, en racontant la préparation et l'exécution d'un attentat célèbre – celui de la Piazza Fontana, à Milan, le 12 décembre 1969- transposé, ici, à une autre date -le 19- et une autre place -la Piazza del Monumento. La trame historique et politique , même romancée, est d'une grande puissance d'évocation.

La seconde raison de ma persévérance est liée au style : malgré une intrigue aussi erratique et brouillonne que les errements de son héros, malgré les deux parenthèses « exotiques » -Afghanistan, Patagonie- assez peu justifiées, il y a parfois un vrai souffle poétique et romantique ( du romantisme noir, très noir) dans l'écriture, et une grande justesse dans le portrait psychologique du héros.

On pourrait regretter la construction en deux temps: le procès, en 1985 , de Franco Revel, un fasciste espagnol, chef de Stefano, ponctue et interrompt régulièrement le récit principal , celui de la dérive de Stefano dans les années 69-70 .

Cette construction par un jeu de prolepses -ou anticipations- constantes nous annonce avant que nous n'en découvrions les péripéties et les détails, les épisodes sanglants, les pertes et les morts des différents protagonistes..

Personnellement, je dirais que ces annonces, au lieu de me décourager, ont au contraire stimulé ou ranimé mon intérêt -un peu fatigué de vivre dans le paroxysme et le crime..

C'est donc, pour conclure, un livre intéressant, bien analysé, historiquement évocateur, plutôt bien écrit, mais qui laisse un goût de cendre dans la bouche.
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Fin des années 60 en Italie. le pays, sous la molle gouvernance de la Démocratie Chrétienne, se réveille hébété avec la violence qui surgit de groupes extrémistes. A feu et à sang. le chaos s'installe. C'est dans ce climat délétère que s'inscrit le destin de Stefano, le héros du roman d'Alberto Garlini, Les noirs et les rouges. Un jeune fasciste dont le destin sordide va se dénouer en moins de trois ans. Stefano se veut un homme de fer dans ces années de plomb. Un loup mais pas n'importe lequel. " ... dans les communautés indo-européennes, les proscrits, les exclus, les personnes mises au banc, en somme tous ceux qui ne se conformaient pas à l'ethos dominant, étaient considérés comme des loups bleus. Ils étaient donc une rareté, comparés aux loups normaux, les loups gris. Monstrueux, mais aussi fascinants." Un loup bleu qui croit en sa croisade, insolent et arrogant, et qui mettra du temps à comprendre qu'il est manipulé par tous : par les siens, par les services secrets, par le pouvoir. Itinéraire d'un enfant meurtri et nourri à la haine : le roman de Garlini est d'une puissance incroyable. Fulgurant, dans la description des combats et des corps à corps ; dense, dans son évocation des luttes intestines ou des rapports entre communistes et fascistes. Quand il décélère quelque peu, le romancier sait se faire poète et philosophe : le séjour en Afghanistan et le dénouement en Terre de feu sont époustouflants. Et que dire de l'histoire d'amour entre Stefano et Antonella : elle est passionnelle, exacerbée, suicidaire, d'un romantisme noir comme le charbon. Les noirs et les rouges nous installe de le crâne d'un révolutionnaire aux idéaux détestables. le livre vous mord d'emblée jusqu'à l'os et, jusqu'au bout, tel un loup accroché à sa proie, il ne lâche pas le lecteur. Aucun répit avant la dernière ligne.
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A l'heure où l'on évoque déjà la rentrée littéraire avec sa cohorte de près de 600 ouvrages, il faut se dire que désormais l'auteur ne doit plus sa notoriété à son seul talent, mais à un service de presse efficace qui permettra peut-être à son roman d'émerger de cette déferlante saisonnière. Outre les têtes d'affiche (ou de gondole), il y a de temps à autre quelques phénomènes littéraires qui sortent du lot, parfois pour de mauvaises raisons au détriment de certains romans d'une rare intensité qui passent totalement inaperçus. Au regard de ses qualités indéniables, on peut dire que pour l'année 2014 -2015 Les Noirs et Les Rouges d'Alberto Garlini a fait les frais de cette discrétion totalement inappropriés pour un roman que l'on peut qualifier sans aucune hésitation de prodigieux. Alliant la noirceur des évènements des années de plomb à la candeur d'une romance pourtant destructrice, le roman d'Alberto Garlini se situe au-delà des catégories roman noir/roman blanc pour nous livrer une histoire flamboyante contant la lutte armée d'un jeune fasciste italien aux convictions inébranlables.

Dans une période trouble telle que l'a vécue l'Italie durant les années de plomb, il est à présent bien difficile d'appréhender le vrai du faux dans ce conglomérat de complots, compromissions, manipulations et infiltrations qui ont mis à mal la crédibilité des autorités institutionnelles du pays. Que ce soit les juges, les politiques, les chercheurs ou les historiens, aucune de ces corporations n'a été capable de faire la lumière complète sur ces tragiques évènements qui ont marqué de manière durable toute une population. L'Italie à peine remise du joug fasciste s'entredéchire à nouveau dans ce que l'on n'oserait pas désigner comme une guerre civile mais qui y ressemble furieusement. Quoiqu'il soit, après tant d'années, l'affaire est désormais du ressort de la fiction, car en s'appropriant les faits, en les déformant et en les réinterprétant un auteur peut nous livrer son point de vue exempt de manipulations, de certitudes et d'exactitudes. Mais paradoxalement il est possible que ce soit par ce biais que l'on se rapproche le plus d'une certaine forme de vérité. " Cette histoire est vraie puisque je l'ai inventée". C'est donc ainsi qu'Alberto Garlini nous livre avec Les Noirs et Les Rouges, un roman exceptionnel qui dépeint les activités occultes d'un groupuscule fasciste oeuvrant pour mettre en place une stratégie de la tension durant plusieurs décennies. Alberto Garlini mêle donc habilement fiction et réalité. le personnage principal s'inspire librement des activités terroristes de l'extremiste de droite Vincenzo Vinciguerra, tandis que son père spirituel politique, prénommé Franco fait référence au parcours de Stefano Delle Chiaie, activiste néofasciste. L'auteur a d'ailleurs mixé la contraction du nom de famille de l'un au prénom de l'autre pour façonner l'identité de son héros Stefano Guerra. Outre les personnages, Alberto Garlini s'est réapproprié des évènements tragiques qui ont marqués cette triste période à l'instar de l'attentat de la Piazza Fontana à Milan qu'il déplace de quelques mètres sur la Piazza del Monumente. Cette attaque sanglante que l'auteur reconstitue avec force de tension devient le point central du roman où tout bascule. Les différents chapitres segmentent la période guerrière de Stefano Guerra de mai 1968 à avril 1971. Ils sont entrecoupés d'un procès se déroulant en 1985 qui donne quelques éclairages anticipatifs sur la suite des évènements ce qui a l'avantage d'amplifier l'appréhension du lecteur tout en démontrant la vacuité de la démarche judiciaire. Car à ce jour, les principaux instigateurs de l'attentat de la piazza Fontana restent encore impunis.

Avec Les Noirs et Les Rouges Alberto Garlini nous livre donc la version du camp des fascistes, nous qui étions habitués à un point de vue « romantique », parfois dangereusement esthétisant de la lutte armée révolutionnaire gauchiste. Rien de tout cela dans ce roman qui parvient à dresser un portrait dépourvu de stéréotype en dévoilant les liens occultes entre ces groupuscules fascistes, bénéficiant de la protection bienveillante des services de police et les services secrets italiens. Dans ce contexte trouble, Stefano Guerra est certes un fasciste violent et animé par un haine peu commune contre ses adversaires, il n'en demeure pas moins quelqu'un d'intelligent qui peut faire preuve d'une certaine sensibilité. Il aime la musique, le cinéma et apprécie la poésie, particulièrement celle d'une jeune auteure sud américaine dont les vers semblent le toucher particulièrement. Et puis il y a cet amour qu'il porte à Antonella qui lui permet, un temps seulement, de s'écarter du parcours de violent qu'il a empruté. Son périple déchaîné nous entraîne dans toute la partie nord de l'Italie, l'Autriche, l'Afghanistan pour s'achever au Chili. Sur ce chemin, l'homme révolté croisera quelques personnages réels comme le réalisateur et poète Pier Paolo Pasolini, le compositeur Luciano Bério, l'écrivain Bruce Chatwin et le sinistre philosophe Julius Evola.

Guerrier sauvage et intègre, Stefano Guerra n'est finalement que le fruit de la colère qui anime les trois « pères » qui forment autour de lui un cercle de haine qui l'aveugle. Il y a tout d'abord Franco Revel, guide politique et militant qui l'entraîne sur la voie révolutionnaire tout en se compromettant avec les arcanes du gourvernement en place. Il y a également Rocco, père de substittution, guide érotomane, tout droit sorti du dernier film de Pier Paolo Pasolini, Salo ou les 120 jours de Sodome. C'est cet homme monstrueux qui abreuve et influence une partie de la jeunesse d'Udine avec ses souvenirs « glorieux » lorsqu'il était membre des commandos fascistes du Duce. Et puis il y a ce père géniteur que Stefano découvre à l'âge de huit ans pendu dans une grange. On peut donc ressentir une forme d'empathie pour ce personnage tragique, très vite contebalancée par ses actes abjectes et les propos ignobles de son entourage sur la pureté de la race à l'instar de ce comte Sperelli, jeune noble fasciste, probablement bien plus dangereux que Stefano Guerra.

La violence, la passion, la fraternité et la lutte armée dans un pays où se déchire les extrémistes de tous bords durant cette période intense de la fin des sixties parfaitement reconstituée c'est ce que vous offre Alberto Garlini avec Les Noirs et Les Rouges fabuleux roman qui traduit l'audacieuse époque où il fallait tout détruire pour mieux reconstruire. A découvrir impérativement.

Sega
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« Paix. Paix pour toujours. Au prix de l'infamie. Au prix de la trahison. Il voulait mourir. Il sentit la mer se plisser. Il entendit les bruits étranges et étouffés que font les hommes en jouant dans les vagues. Marco, Moreno, Mariuccia et Gianni les rejoignirent, heureux et ivres, comme de jeunes imbéciles. Prêts à faire face aux conséquences de la mission historique, trop grande pour eux, qu'ils avaient embrassée. »
Originaire d'Udine, dans le Frioul, Stefano Guerra est un jeune fasciste déterminé à participer au retour de la « République sociale ». Impliqué dans les affrontements de Valle Giulia, en mars 1968, qui voient les étudiants s'opposer à la police mais aussi entre eux, fascistes d'un côté, gauchistes de l'autre, Stefano se distingue par sa violence. Lors de ces événements il tue accidentellement un étudiant de gauche occupant la faculté de Lettres. C'est là que commence sous l'aspect trompeur d'une ascension la chute de Stefano Guerra.
Orphelin d'un père frayant avec les fascistes du M.S.I. mais qui a raté tout ce qu'il a entrepris, Stefano a grandi avec le poids de l'humiliation du suicide pathétique de ce père qui semble avoir tout raté. Pris sous son aile par Rocco, ancien de la Decima Mas, Stefano devient très tôt un « soldat politique ». La rencontre avec Franco Revel, membre actif du M.S.I. avant de fonder un groupe plus radical, lors des combats de Valle Giulia, offre à Stefano une autre figure de père de substitution et l'impression d'embrasser une cause qui semble pouvoir enfin réussir. En effet, les fascistes italiens, inspirés par la mise en place en 1967 de la dictature des colonels en Grèce, se lancent dans la stratégie de la tension. Il s'agit de lancer des attentats et en faire accuser les groupuscules gauchistes afin d'obliger le gouvernement à déclencher un état d'urgence qui permettra aux fascistes de se poser comme la seule alternative politique à même de protéger l'Italie.
Le problème de Stefano, c'est que pris dans le marigot fasciste, cet « Archipel » aux multiples îles indépendantes et interconnectées parmi lesquelles il aimerait mener son propre îlot à Udine, il devient un pion parmi d'autres. Soldat ambitieux dont le fanatisme tire ses racines de l'humiliation paternelle et d'un profond désir de mort, Stefano n'est pas le génie tactique qu'il croît être. Au-dessus de lui, bien au-dessus, la Démocratie chrétienne croit manipuler les fascistes qui croient manipuler la Démocratie chrétienne, tandis que des alliances secrètes se nouent avec le réseau Gladio, avec des anciens nazis, avec les régimes espagnol et sud-américains.
Pieds nickelés du fascisme, Stefano et ses compagnons se posent finalement peu de questions. Et quand le moment viendra vraiment de s'en poser, il sera trop tard. Il ne s'agira plus de faire sauter une borne frontière ou un pétard mouillé dans un train, mais de tuer des innocents.
Et puis il y a la soeur de Mauro, l'étudiant qu'il a tué, Antonella, dont Stefano tombe éperdument amoureux. Cette histoire – parfois il est vrai un peu forcée par Garlini – vient encore donner de l'épaisseur au personnage de Stefano, vient y ajouter des contradictions et obliger le personnage à se mouvoir entre deux mondes, lui qui tangue déjà entre celui des morts et des vivants… Car c'est très clair, Stefano n'est jamais qu'un mort en devenir.
Il faut saluer la façon dont Alberto Garlini réussit à se saisir du personnage de Stefano et à entrer dans la tête d'un fasciste. Sans excuser ni accuser, l'auteur tente de comprendre non seulement son personnage mais aussi, en creux, la manière dont l'Italie entre dans ses années de plomb. Il essaie de démonter les rouages de cette stratégie de la tension mais montre aussi et surtout comment est imprévisible et fragile la mécanique humaine à la base. Il n'y a pas de bon petit soldat parmi les fascistes de Garlini. Quelques abrutis, oui, des hommes fascinés par la violence, par le pouvoir – pour y accéder ou pour le conserver –, des hommes désespérés aussi et qui veulent moins détruire le monde que se détruire eux-mêmes. Tout cela, Garlini le dit au travers d'un roman intense et lyrique mais sans complaisance d'une rare intensité.


Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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critiques presse (1)
Telerama
02 juillet 2014
C'est dans l'extrême sud de l'Amérique latine, une terre de feu refuge de tant de fureurs européennes, que se termine ce fabuleux roman, épopée vertigineuse où les spectres de l'Histoire ricanent aux oreilles des lecteurs d'aujourd'hui.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (20) Voir plus Ajouter une citation
Il se croyait capable de tuer. Il était sûr que c’était simple, que c’était même le devoir d’un soldat politique. Il l’avait désiré avec chaque goutte d’énergie, il savait que c’était une question de temps et que ça arriverait. Mais rien ne s’est passé comme il l’avait prévu. Il n’y a pas eu de bataille. Le mort n’était pas un guerrier. Le couteau s’est enfoncé profondément sans raison, sans intention. L’excitation de l’instant. Mauro était fait pour devenir une victime. La mort d’un innocent est une offense à l’honneur. Un chevalier a le devoir de protéger les innocents, pas de les tuer. Un chevalier doit obéir à une règle de fer. Il ne peut la transgresser : c’est de cette règle, de l’acier de la discipline intérieure, que lui vient la supériorité morale lui permettant de s’arroger le droit de donner la mort. Mais Stefano a enfreint la loi et brisé son ordre intérieur.
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Lorsqu'il se dirigea vers la porte, sa mère courut le serrer dans ses bras. C'est facile d'aimer un enfant, puis c'est difficile d'aimer ce en quoi il se transforme. Mais elle le prit dans ses bras comme on serre un enfant.
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Quand on vit dans le désert et que les ressources sont limitées, c’est l’instinct de coopération qui prévaut, pas l’agressivité. En voyageant, nous nous entraidons. Nous échangeons les biens et les dons. Nous sommes tolérants. C’est l’homme sédentaire, l’agriculteur Caïn, qui dresse des murs dans le but de défendre l’exploitation exclusive de la terre et du sang.
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Dans toute sa vie, Franco a eu deux costumes. Il n'y en avait pas un pour le travail et un pour les fêtes, comme ça avait été le cas pour son père et du père de son père. L'un était pour agir et l'autre pour parler. L'un pour tuer et l'autre pour négocier.
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JIl faut suivre jusqu'à la dernière de ces 900 pages, Stefano, un personnage de roman "épais" que n'aurait sans doute pas renié le grand DoIstoiveski.
Un gamin d'Udine, ayant vécu un véritable drame familial dont on devine les contours funestes tout au long de sa trajectoire, un traumatisme qui le suivra jusqu'à la mort. Adolescent manipulé par des ogres plus féroces que lui et jeune homme haineux, meurtrier, qui connaîtra sa rédemption par l'amour et la poésie.
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