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EAN : 9782879294186
318 pages
Editions de l'Olivier (05/09/2003)
3.96/5   12 notes
Résumé :
“J’imaginais que toutes les familles du monde étaient basées sur le modèle de ma famille maternelle. Une matriarchie étendue, tentaculaire, dans laquelle chacun était tenu de venir présenter ses respects une fois par semaine à ma grand-mère, en une parodie inconsciente des dîners de cour auxquels nos aïeux avaient été habitués. Car, nous ne nous gênions pas pour le rappeler à tort et à travers, nous descendions de la haute noblesse française. Rohan, disait le Larous... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Une Éducation Anglaise, Christian Lehmann, éditions de l'Olivier
(Commentaire par David I. Rumsey, Staverton, Northamptonshire, RU)

« ... il m'apparaissait évident que ma mission consistait à protéger Susan, par tous les moyens. »

Ce sont les mots de Christian Lehmann, alors jeune adolescent qui est, depuis sa jeune enfance, un lecteur féroce et précoce. Il lit tout et n'importe quoi, des bandes dessinées aux thrillers en passant par Hugo et Camus. Ses héros sont des solitaires comme Philip Marlowe qui ne reçoivent d'ordres de personne et qui n'agissent que d'après leur propre sens moral. Christian a l'air studieux, inoffensif, innocent, c'est un élève modèle, premier de la classe, et « le plus infâme fayot qu'ait produit l'Éducation Nationale ». C'est pour ces raisons que personne n'aurait pu imaginer que dans son cartable trop lourd qu'il tirait, il y avait des livres qu'il avait volés. Oui, c'est un voleur à l'étalage !

Une Éducation Anglaise est un roman d'apprentissage qui raconte trois années (entre 12 et 15 ans, au début des années 70) de la vie de Christian Lehmann, descendant, du côté maternel, du clan Rohan, famille illustre de la noblesse française, qui avait émigré à l'Île Maurice pendant la Révolution Française ; l'histoire se déroule en France (Paris, Corse, Marseille) ainsi qu'en Angleterre (Londres, Sussex, Oxford). La grand-mère maternelle de Christian, “Granny”, avait donné naissance à douze enfants, dont la plupart ont quitté l'Île Maurice pour l'Angleterre et la France juste après la seconde guerre mondiale pour devenir médecins et dentistes.

Christian grandit à Paris au sein d'une famille aimante et protectrice. Il y a une frontière infranchissable entre ce qui est et ce qui n'est pas approprié pour les enfants. Mais le jeune Christian éprouve le désir insatiable de découvrir le monde adulte, de percer les secrets qu'on cherche à lui cacher. Et pour lui, les livres représentent le moyen de déchiffrer ce monde. Dès ses 12 ans, commencent ses voyages en Angleterre où il séjourne chez sa cousine Susan et son mari Mark dans le Sussex. Aussitôt, il est captivé. L'Angleterre, c'est la libération pour le jeune adolescent : il profite d'une automomie nouvelle, se trouve d'emblée une affinité avec le pays, se sentant chez lui pour la première fois. Il passe ses journées à arpenter les rues de Soho et de Brighton, à dénicher des magazines et des bouquins dans les librairies connues aussi bien que dans des échoppes moins connues perdues dans les ruelles. Il se familiarise avec la pornographie, la science fiction, les trois chaînes de télévision (en couleur qui plus est !), Tolkien, Monty Python et les feuilletons britianniques. C'est l'utopie. Mais bientôt, il va découvrir la face cachée de cette vie idéale : Mark, sous les dehors d'un homme de famille charmant et respectable, abuse de sa femme physiquement et moralement.

Christian craint pour la sécurité et le bien-être de Susan. Il décide de comprendre la nature du mal qui ronge Mark et de trouver un moyen pour sauver sa cousine. Mais comment réussira-t-il sa mission ? Et Susan lui ayant fait jurer de se taire, à qui peut-il demander de l'aide ?

C'est un très beau récit, aussi poignant qu'amusant. Lehmann possède la capacité (à la manière des “comedies” américains que j'aimais tant qui passaient à la télévision anglaise à la fin des années 70) de vous tirer des larmes de joie, suivies peu après par des larmes de tristesse. L'une de mes scènes préférées se passe à la fin de la Lutte Finale : Christian est délirant depuis quelques jours des suites d'une blessure profonde à la plante du pied, pendant des vacances familiales en Corse. À son chevet, la grand-mère paternelle (qui le jour même de l'accident avait saisi un crabe dans le seau de Christian pour l'avaler d'un coup, tout cru, au grand désarroi et dégoût du jeune garçon) et Anne-Marie (sa cousine, de quelques années plus âgée que lui, qui l'envoûte par ses idées de gauche, et de qui il s'entiche, après l'avoir vue nue sans qu'elle le sache). Lorsque Christian reprend conscience et se rend compte qu'elles sont parties prendre l'avion du retour, il est bouleversé par l'absence d'Anne-Marie et supplie son père de l'emmener à l'aéroport pour dire au revoir. Ils y vont mais c'est trop tard. le passage qui suit décrit de façon émouvante les remords de Christian pour ses préjugés envers sa grand-mère, et ses sentiments plus charnels envers Anne-Marie :

« Un instant, la silhouette massive apparut au sommet de la passerelle, suivie de celle, plus gracieuse, d'Anne-Marie... Je compris, et cette vérité était suffocante, que ma grand-mère allait mourir, elle aussi, avant longtemps, qu'elle m'avait veillé dans mon délire, parce qu'elle m'aimait, sans se soucier de mon odeur corporelle, de mes draps tâchés d'urine. Que j'étais lié à elle, à tout ce qui avait fait sa vie, et que je ne connaissais pas, comme à tout ce qui maintenant m'apparaissait odieux, son hygiène défaillante, ses manières paysannes, quand en fait, au fond de moi, j'étais complètement terrifié par sa vieillesse, et ce que je pressentais comme les signes avant-coureurs d'une mort annoncée. J'aurais voulu hurler son nom, comme elle avait hurlé le nom de mon grand-père, sans retenue, sans pudeur, pour qu'elle sût à quel point j'avais honte, pour qu'elle sût que, crabe ou pas crabe, je l'aimais. La carlingue l'engloutit, puis engloutit Anne-Marie, et je fermai mes yeux dans l'aveuglante lumière du soir, gravant à jamais la silhouette de ma cousine dans ma mémoire, ses jambes qui n'en finissaient pas, et ce T-shirt tendu sur sa poitrine, pour les siècles et les siècles, Amen. »


« Il faut que les personnages ne soient pas en toc », a dit Max Gallo en discutant des recettes d'un best-seller. Et là Lehmann ne déçoit pas le lecteur. Chaque personnage dans Une Éducation Anglaise est réel, a de la profondeur, un passé, un présent, un futur. Lorsque je lis les mots sur la page, il n'y a plus de séparation entre le jeune Christian et moi : c'est comme si c'était moi qui buvais du thé avec Susan dans sa cuisine (la maison de Susan ressemble, d'ailleurs, exactement à celle où j'ai grandi en Angleterre) ; c'était moi dans le pub avec Mark et ses “amis” ; c'était moi qu'a adopté la bande des quatre lors de la conférence de science fiction à Brighton ; et c'était à moi que parlait l'oncle Luther Rohan, professeur à l'université d'Oxford, de Tolkien dans le Vieux Soldat (chapitre sublime qui termine en des mots du Seigneur des Anneaux : “Rohan arrivait enfin”).

Lehmann réussit donc à l'épreuve Gallo. Mais ce livre, s'agit-il d'une autobiographie ou d'un roman tout court ? Sur la quatrième de couverture, on nous informe que c'est un roman d'apprentissage. Oui, un roman. Alors, si les personnages sont inventés, Lehmann est maître: pour moi, ses personnages sont aussi réels que Pip et Joe Gargery dans Les Grandes Espérances de Dickens (qui figure dans mon Top 10). le lecteur souhaite désespérément que les personnages soient vrais et que l'auteur ait vécu les événements qu'il raconte. Ce désir de croire est plutôt la volonté d'éviter la déception, déception que j'avais moi-même éprouvée en comprenant que les événements dans Papillon (premier livre que j'avais lu en français) n'étaient pas (tous ?) arrivés à Henri Charrière. Mais enfin, comme un tour de magie, bien qu'on veuille savoir comment il est réalisé, une fois su, on reste sur notre faim, et on voudrait n'avoir pas su ! Mieux vaut donc laisser le magicien en paix et ne pas poser la question.

Et quant à l'auteur ? J'ai lu d'autres livres de Lehmann, notamment, L'Évangile selon Caïn, et ce que l'on remarque à travers ses oeuvres, ce n'est pas seulement qu'il est un formidable conteur, mais qu'il est sensible aux malheurs et aux souffrances d'autrui; et non seulement en est-il conscient, mais veut-il défendre, se battre pour ceux qui ne peuvent pas le faire eux-mêmes ou qui ont besoin d'aide. Souvent, ces sentiments naissent dans les expériences que nous-mêmes, nous avons vécues et ceci est mis en évidence dans le récit de Lehmann où il raconte ses propres humiliations aux mains des camarades de classe. En écrivant ces mots, il me revient en mémoire une interview de Jean d'Ormesson dans laquelle on lui demande ce qu'il a appris lors d'une longue maladie récente. Et sa réponse ? « Qu'il y avait des gens plus malheureux que moi, des gens plus malheureux que moi. »

Ne serait-ce que pour cette raison, pour sa sensibilité évidente envers les gens qui souffrent, ceux qui sont “plus malheureux que moi”, pour le fait que l'auteur est préparé à se porter en défenseur des vulnérables, et d'éclaircir les problèmes auxquels nous, en tant que société juste, devons faire face, Une Éducation Anglaise et Christian Lehmann méritent d'être lus.
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Christian Lehmann est surtout connu comme auteur jeunesse. Dans ce récit autobiographique, il retrace ses années d'adolescence entre 12 et 16 ans où, enfant timide et malingre, il lisait absolument tout ce qui lui tombait sous la main, de Camus à Spirou en passant par la science-fiction. Pas de sentimentalisme dans ses descriptions, plutôt une évocation de sa famille bourgeoise et des personnages marquants qui la composaient.

La rupture vient quand il commence à aller régulièrement en Angleterre chez sa cousine. C'est là qu'il découvre les libraires et les disquaires anglais, véritables cavernes d'Ali Baba dans les années 68-70, et des passionnés de science-fiction avec lesquels il fait enfin partie d'une bande. C'est aussi la période où il comprend que sa cousine est mariée à un homme alcoolique et violent, il doit la soutenir mais aussi se taire ("ça ne se dit pas"), et cette situation va le faire passer de l'enfance à l'âge adulte par les réflexions qu'elle lui inspire.

Ce récit est un véritable roman d'apprentissage, un des meilleurs que j'ai lus, et il est écrit dans une langue riche et brillante. Bref c'est un véritable plaisir de lecture et il donne envie de lire les autres ouvrages de l'auteur
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Citations et extraits (1) Ajouter une citation
J'apprenais, à travers les informations météorologiques, à comprendre l'essence d'un pays où il était plus souvent question de drizzle, de slight rain, de heavy rain voire de patchy fog, que de sunny intervals, et que ce terme même d' "intervalle ensoleillé" sonnait bien plus timidement que nos "éclaircies" françaises.
( p 132)
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Moderateur : Olivier Cotte Intervenants : Christian Lehmann, Nicolas Martin, Claire North, Stéphanie Simon
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