« Je pense que c'est une erreur d'essayer d'écrire pour la postérité. J'écris pour que des gens puissent lire mes livres avec plaisir, qu'ils aient envie d'attraper un de mes romans et qu'ils passent un bon moment sans avoir à lutter. »
Michael McDowell
Oui, oui et oui ! Après avoir lu les six tomes de Blackwater, l'heure du bilan a sonné. Et s'il y a un seul mot pour désigner cette lecture au long cours, feuilletonnée d'avril à juin, c'est PLAISIR !
Michael McDowell a un talent fou pour faire traverser le temps à la famille Caskey, les faisant évoluer avec une aisance narrative remarquable de 1919 à 1969 : un demi-siècle de querelles de pouvoir, d'alliances, d'amour, de mariages, de naissances et de morts plus ou plus naturelles, avec en toile de fond la Grande dépression des années 1930 ou la Seconde guerre mondiale.
Pas facile de conclure une saga aussi prenante. J'ai particulièrement aimé ce dernier opus. Déjà parce qu'il laisse une laisse au lecteur sa part d'imagination en ne révélant pas tous les secrets des origines d'Elinor. Certains lecteurs en seront sans doute frustrés. Pour ma part, j'estime avoir eu la dose de révélations suffisantes pour comprendre la nature d'Elinor et lever le voile sur certaines de ses motivations.
Ce sixième tome offre un pertinent recul sur l'ensemble. La maestria de la construction apparaît plus que jamais. du premier tome où tout commence avec un déluge et l'apparition de la mystérieuse Elinor, au dernier sous une pluie non stop, le climax aquatique aura baigné le récit avec la rivière Perdido en majesté. Troublant le réalisme de surface qui en devient inquiétant, le recours au fantastique / horrifique est remarquablement dosé, jamais gratuit, toujours dans l'accompagnement des bouleversements émotionnels de la famille Caskey. Quant aux fantômes du passé, ils reviennent littéralement hanter et assiéger ceux qui restent ; leurs incursions dans le monde des vivants sont très réussis.
Et derrière le pur divertissement, se cache un récit plus profond qu'il le laisse paraître de prime abord, surtout si on songe qu'il a été publié initialement aux Etats-Unis en 1983. D' abord, il y a la vision de la famille, ici les Caskey, étonnante dans sa plasticité, les enfants étant rarement élevés par les parents mais « donnés » à d'autres membres de la famille qui les modèlent ou leur offrent un autre voie de vie.
Mais ce que je retiens le plus, c'est un surprenant éco-féminisme mettant en symbiose la puissance des femmes avec la puissance de la nature. Personne ne peut les arrêter, aussi bien la rivière qui reprend ses droits que ces incroyables femmes Caskey qui assument leur choix et s'affranchissent des codes en imposant leur matriarcat, leur compétence professionnelle, leur charisme ou même leur homosexualité sans que les hommes de la famille ne refusent leur soumission ou n'en souffrent.
Bref, les 1500 pages de la série Blackwater se sont bues toute seules et lorsqu'on finit de poser les yeux sur la dernière phrase, et bien, c'est avec tristesse et en se disant qu'heureux sont les lecteurs vierges qui vont découvrir cette saga incroyablement prenante, addictive et animée d'un puissant souffle romanesque.