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Marie-Hélène Piwnik (Traducteur)
EAN : 9782267030570
560 pages
Christian Bourgois Editeur (18/01/2018)
4.27/5   26 notes
Résumé :
Nouvelle édition & nouvelle traduction d'un des textes majeurs de la littérature du XXe siècle : Le Livro do Desassossego. Connu en France sous le titre Livre de l’Intranquillité, paru chez Christian Bourgois en 1988 et 1992, la présente édition lui préfère le magnifique nom « d’inquiétude », à la fois mot courant et chargé de densité métaphysique. Outre des fragments non retenus dans l’édition Christian Bourgois, des inédits et déplacements d’attribution figurent d... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Une nouvelle traduction du Livre de l'intranquillité est forcément un évènement ! Rebaptisé Livre(s) de l'inquiétude, la traductrice a préféré un mot existant et plus quotidien (inquiétude) pour traduire le mot « desassosego » (manque de tranquillité). Intranquillité est sans doute plus poétique mais il est inventé dans la langue française, alors que le mot dessassosego et couramment utilisé dans la langue portugaise. Marie-Noelle Piwnik a donc essayé de rendre cet usage plus quotidien du mot en français. Car il s'agit bien de cela au final, essayer d'être fidèle à Pessoa et à sa langue. le problème avec ce livre, c'est qu'il est volontairement inachevé et que l'on ne saura jamais comment Pessoa aurait voulu lui donner sa forme définitive. Je suis d'habitude, et par principe, contre l'édition d'une oeuvre posthume et inachevée. Si l'auteur n'a pas souhaité publier le livre de son vivant, c'est souvent pour de bonnes raisons et la publication posthume répond souvent à des besoins mercantiles condamnables. Mais comme toujours, les principes souffrent leurs exceptions. Et le Livre de l'intranquillité en est, sans doute, le meilleur exemple ! Pessoa y a travaillé toute sa vie et ne l'a pas publié, non pas parce qu'il était mauvais, mais parce qu'il était dans la nature même de ce livre de n'être jamais fini. le besoin de perfection de Pessoa l'empêchait de considérer son texte comme définitif car il pensait toujours pouvoir faire mieux. Et ce livre est un tel chef-d'oeuvre, qu'il aurait été criminel de ne pas l'éditer, même de façon imparfaite.

Pessoa a travaillé pendant 35 ans à l'écriture de ce livre. Il est mort à Lisbonne presque inconnu, en ayant très peu publié de son vivant. A sa mort en 1935, il a laissé des dizaines de milliers de feuilles manuscrites mélangées dans un coffre en bois. Il a fallu des décennies pour que l'on s'aperçoive de la valeur littéraire de ces textes et que l'on avait affaire à un véritable géant de la littérature mondiale, sans doute comparable à Shakespeare ou Cervantès. le temps que l'on mette de l'ordre dans tous ces papiers, et il s'est écoulé encore cinquante ans. C'est en 1982 que sort pour la première fois au Portugal une version du Livre de l'intranquillité (1988 pour la France).

Il faut tout d'abord expliquer à ceux qui ne sont pas familier de cet auteur qu'il a une particularité bien spécifique. Il avait besoin de se créer sans cesse des doubles littéraires, qu'il appelait hétéronyme. Il créait des auteurs fictifs, chacun doté d'une vie propre (date de naissance, signe astrologiques, biographie, style propre) et écrivait une oeuvre particulière pour chacun de ses hétéronymes. On peut donc parler d'un auteur aux multiples facettes et on peut lire une multitude de livre de Pessoa, tous très différents les uns des autres. Quatre de ces doubles littéraires sont plus connus que les autres (Alberto Caeiro, Alvaro de Campos, Ricardo Reis, Bernardo Soares) mais on continue de dénombrer aujourd'hui des écrivains créés par Pessoa, et il y en aurait plus de 400 !

La première version du Livre de l'Intranquillité est attribuée à Bernardo Soares. C'est un double littéraire qui ressemble beaucoup à Pessoa (il habite Lisbonne, il est comptable…), sans être vraiment lui non plus. le livre est composé de centaines de petits textes, écrits entre 1910 et 1935 et peuvent être lus dans l'ordre ou dans le désordre. Ils mêlent poésie, métaphysique, philosophie, littérature avec un bonheur et une puissance incroyable. Car, ce qui était important pour Pessoa, c'était son monde intérieur. On ne connaît la vie que par nos sens. Ce qui est important dès lors, ce n'est pas de multiplier les expériences ou les voyages, mais d'intensifier le contact intérieur que l'on a du monde extérieur. Ce qui est important dans la vie, c'est ce que l'on ressent et ce que l'on peut exprimer de ses sensations. « Si j'imagine, je vois » nous dit-il et « Il n'est de réel dans la vie que ce que l'on a su bien décrire ». Ainsi, tout le livre de l'intranquillité n'est qu'une longue méditation sur les paysages intérieurs de Pessoa : « La vie est un voyage expérimental, accompli involontairement. C'est un voyage de l'esprit à travers la matière et, comme c'est notre esprit qui voyage, c'est en lui que nous vivons. Il existe ainsi des âmes contemplatives qui ont vécu de façon plus intense, plus vaste et plus tumultueuse que d'autres qui ont vécu à l'extérieur d'elles-mêmes. C'est le résultat qui compte. Ce qui a été ressenti, voilà ce qui a été vécu. On peut revenir aussi fatigué d'un rêve que d'un travail visible. On n'a jamais autant vécu que lorsqu'on a beaucoup pensé.»

Alors pourquoi une nouvelle traduction ? Les dernières recherches universitaires ont mis à jours des documents montrant une organisation du livre de l'intranquillité très différente de celle que nous avions jusqu'ici. Dans cette version, Pessoa fait dialoguer ensemble trois hétéronymes (Vincente Guedes, la Baron de Teive et Bernardo Soares), que personne n'avait pensé à rapprocher. le Livre de l'intranquillité et le Livre(s) de l'inquiétude sont donc très différents l'un de l'autre. La moitié du Livre(s) de l'inquiétude est totalement inédite en français. de même, la partie finale du Livre de l'Intranquillité (les grands textes) a été retirée. Ce sont donc deux ouvrages très différents qui sont donnés à lire. Et toute la partie de Bernardo Soares est retraduite de façon un peu différente de la version de Françoise Laye.

Alors quelle version lire ? Si c'est la première fois que vous abordez ce texte, je vous recommande le Livre de l'intranquillité traduit par Françoise Laye (couverture bleue). Et si vous avez envie de relire ce chef-d'oeuvre une deuxième fois, je vous recommande le Livre(s) de l'inquiétude car on y découvre de très beaux passages inédits. Mais la lecture de cette nouvelle traduction est, selon moi, un peu plus difficile d'accès, car elle s'ouvre sur les écrits de Vincente Guedes, qui sont un peu plus difficile à lire. le coeur du livre réside selon moi, dans les écrits de Bernardo Soares qui arrivent en fin d'ouvrage et qui sont plus poétiques. Les deux livres sont très différents mais j'ai une petite préférence pour le livre de l'intranquillité.

Quoi qu'il en soit, ce livre est sans doute le plus beau que j'ai lu dans ma vie. On peut y revenir sans cesse et toujours y trouver quelque chose.

Pessoa forever.
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La Feuille Volante n° 1374 – Août 2019.

Livre(s) de l'inquiétude - Fernando Pessoa.
Traduit du portugais par Marie-Hélène Piwnik.

Nous connaissions déjà "Le livre de l'intranquillité "(paru en 1990) de Fernando Pessoa mais que l'auteur avait attribué lui-même à Bernardo Soares, un hétéronyme, c'est à dire un des nombreux doubles de lui-même puisqu'il n'a que très rarement signé ses oeuvres de son propre nom et qu'il n'a pratiquement pas connu la notoriété de son vivant. Voici cet ouvrage qui inclut les oeuvres inédites du Baron de Teive et de Vicente Guedes à celles de Bernardo Soares, chacun de ces "auteurs" vivant en quelque sorte sa propre vie et écrivant dans son propre style. Ces textes ont été réunis par Térésa Rita Lopez, universitaire portugaise spécialiste de l'oeuvre de Pessoa. C'est le résultat d'un travail difficile puisque l'oeuvre de l'écrivain Lisboète était non seulement composée de feuilles éparses mais aussi parce que l'édition française de 1990 limitait le texte au seul Bernardo Soares ("Livro do desassossego" por Bernardo Soares). C'est un triptyque, un soliloque à trois voix, une sorte de miroir qui nous renvoie une image virtuelle de Pessoa, caché de l'autre côté de la glace, une façon bien personnelle de se faire l'écho de ce qu'il est, de ce qu'il voit et de ce qu'il ressent. Dans cette version, d'ailleurs un peu différente du"Livre de l'intranquillité" on retrouve cette impression de l'impossibilité de trouver la quiétude dans ce monde, une sorte de trouble permanent, un désagrément, un mal de vivre.
Toute sa vie Pessoa s'est ingénié à brouiller les pistes puisqu'il n'a presque jamais publié de son vivant, laissant le soin à ses contemporains, après sa mort, d'explorer la multitude de textes déposés (27000) par ses soins dans une malle sous forme de feuilles séparées et attribuées à de nombreux auteurs, comme autant de petits cailloux destinés à un jeu de piste. C'est une manière pour lui d'explorer son "moi" multiple et complexe autant que de demander à son lecteur éventuel de ne pas chercher à le comprendre. Vicente Guedes est un être décadent et désargenté, une sorte d'intellectuel de la pensée, un modeste employé de commerce, un penseur impénitent qui aime à analyser ses rêves dans un style recherché mais parfois un peu trop intellectuel, le baron de Teive est un aristocrate stoïcien que le suicide fascine et pour qui l'action est un paradoxe et qui s'exprime dans un style austère, quant à Bernardo Soares, aide-comptable employé de bureau comme lui, c'est un éternel promeneur solitaire, arpentant les rues de Lisbonne ou regardant de sa fenêtre les gens passer dans la rue et qui en parle avec une certaine ironie à laquelle il mêle des remarques personnelles désabusées sur sa vie au quotidien; j'avoue de cet hétéronyme à ma préférence à cause de sa vision des choses de l'existence et la manière qu'il a de l'exprimer. Je ne suis pas un spécialiste, mais à chaque fois que je lis Pessoa, il me semble que pour lui l'écriture, et cette forme particulière qui consiste à prêter son talent à un autre en s'effaçant derrière lui et en s'excusant presque d'exister, est pour lui une sorte d'antidote à sa vie de subalterne anonyme. Par le rêve jusques et y compris s'il ne mène nulle part ou n'enfante que des chimères et surtout par l'écriture, les mots qu'il trace sur le papier, il se réfugie dans un monde imaginaire, tisse autour de lui et pour lui seul, un univers différent, habite même un autre corps et un autre destin, ce qui l'aide (peut-être) à supporter cette succession de jours qu'il passe pour gagner sa vie dans un sombre bureau. C'est sans doute aussi une forme exprimée personnellement de cette "saudade" qui fait tellement partie de l'esprit lusitanien et que le poète Luis de Camões a défini comme "Un bonheur hors du monde", l'expression d'un manque de quelque chose autant qu'un espoir d'autre chose qui par ailleurs peut-être assez indéfini, une sorte de référence à un passé révolu qu'on voudrait bien voir revivre... C'est étonnant de voir cet homme discret qui, après sa mort sera considéré comme un des plus grands écrivains portugais, confier à des feuilles volantes, c'est à dire un support bien fragile, le cheminement de sa pensée complexe, vivre simplement en ne recherchant pas la notoriété et la consécration comme c'est souvent le cas chez les membres de l'espèce humaine et spécialement chez ceux qui font oeuvre de création.
Ce sont donc trois facettes judicieusement révélées de Pessoa lui-même, une autobiographie en trois temps, un journal intime en trois moments à la fois complémentaires et cohérents, où la solitude et l'inaptitude à vivre se lisent à chaque ligne.

©Hervé Gautier.http:// hervegautier.e-monsite.com
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Abandonné à la page 96, cet ouvrage purement introspectif de l'indifférence, de l'ennui, de l'absurde, de la stérilité, du découragement, de l'absence, du refus de se rapporter à la réalité et du renoncement à toute action, de l'anti-vitalité, de la dépression par principe, de la volonté de dépression par principe, de la volonté de différenciation par la dépression par principe, sans application, ni progrès, ni nouveauté, ni édification, et qui, par cohérence, n'initie aucune leçon, toute leçon étant de nature à porter des résultats pratiques et donc induisant une mobilité. C'est l'élégie archétypale du Chrétien puéril, symboliste et pathologique, d'une « humilité » pleine d'orgueil de son unicité, qui se contemple sans cesse et écrit longuement son aboulie dont la plénitude se signale par la stagnation ; c'est l'incessante variation du paradoxe complu aspirant au néant sans avoir le courage de provoquer la mort, multipliant les images de l'inadvenu et des impossibles, se contraignant, s'empêchant et s'en supposant une raison supérieure et morale ; c'est la plainte sempiternelle du regret installé de ne pas être quelqu'un avec malgré tout la satisfaction duelle et hypocrite de se savoir un système autre et tout à fait idiosyncratique (on distingue les traces d'une fierté inavouable, l'immense honneur, honteux et tu, de celui qui, en se déplorant inadapté, ne chante en sourdine que la supériorité des intellectuels contemplatifs comme lui et censés comprendre hors des vulgarités séculaires) ; c'est la célébration empesée des impressions imagées du rêve où le narrateur solennellement ne peut cesser d'exister mais en croyant inventer les techniques exemplaires d'une disparition – ouvrage pas même tellement pathétique d'évocations lentes, assez difficultueuses, plutôt répétitives et paralysées, dont les imaginations byzantines ne valent tout de même pas les visions oniriques d'un Clark Smith, dont la verve méthodique n'a pas la vigueur désinhibée d'un Cioran, dont la philosophie étique n'a pas la créativité pittoresque d'un Bernanos.
Je crois avoir circonvenu rapidement, et sans qu'il me soit nécessaire de poursuivre, une mentalité extrême du « ça ne va pas » et du « je ne veux rien » névrosée et ostentatoire ne serait-ce qu'à l'auteur et qui n'a plus rien à m'apprendre, réfutant même d'enseigner quoi que ce soit ; le plaisir maladif et typiquement monacal d'un mécontentement qui s'espère affres mais qui se plaît à s'entretenir la douleur, ce qu'en d'autres termes on appelle, y compris en psychiatrie, le bonheur paradoxal du calvaire et de la flagellation ou syndrome de Münchhausen, frustrations vues aussitôt comme noblesses et vertus, toutes grandeurs étant considérées d'emblée comme résultats des souffrances les moins humaines possible. Qu'on regarde dans ce livre où il est question de valeurs : on lit les déformations, matinées de décadence, d'un christianisme insane et alambiqué insanes qui exige, pour sa béatitude, qu'on n'obtienne que des jouissances dans l'allégorie et la virtualité ; un échafaudage d'arguties et de pavanes sues plutôt que confessées, un portrait du soi qui s'inspecte jusqu'aux dérisoires minuties, l'aporie d'un égo qui prétend refuser son importance tout en ne faisant que se chercher des déceptions intérieures ; en somme, un éloge de l'impuissance – insincère et foncièrement inutile, si l'on me pardonne l'expression appliquée à la littérature qu'on targue si souvent de n'avoir pas d'usage et d'en tirer son mérite. L'inconvénient ici, en dépit d'une écriture soigneuse et artiste, c'est qu'on y trouve davantage la peinture d'un soporifisme que d'un rêve, ce qui ne provoque encore que le sommeil – il n'est pas aisé de garder l'oeil ouvert quand l'esprit ne découvre rien, l'esprit ne conserve sa vigilance que par la stimulation issue de l'oeil, et je ne crois pas que « lire des mots » soit en tout, sauf au chrétien quêteur de maux et de lassitudes, une discipline honnête à qui lit pour se compléter : ce Pessoa est presque toujours beau autant que vide, ce qui revient à mirer le vent ou le ciel uni – si le ciel était un ouvrage, je crois qu'on s'y arrêterait environ à la quatre-vingt-seizième page. Et l'on s'y arrêterait non sans avoir insisté pour tâcher de se mettre à la place des « méditatifs de l'infini » et de tous ceux qui s'imposent la consigne de se concentrer sur un point de vacuité en abandonnant tout profit d'eux-mêmes : à force, ces gens, oubliant qui ils sont, finissent par se fasciner de s'apercevoir qu'il existe un état exceptionnel, en-dehors de soi, loin du quotidien, un état hors du commun… demeurant cependant incapables de se rendre compte que cet état en quelque sorte inouï, surprenant, vertigineux, s'appelle seulement : le néant, dont environ seules la différence et l'inhabitude fascinent.
D'ailleurs, en feuilletant les commentaires positifs sur Pessoa – je les ai lus dans le doute au cas où une chose m'aurait échappé, comme une « clé de lecture » –, on constate le registre de béatitude et d'enthousiasme du critique d'art abstrus et vain, conceptuel, toujours injustifié, discours de métaphore indésireux de dresser un argumentaire concret, insoucieux d'une vraie critique, d'une critique critériée, de sorte que je continue de ne savoir même en théorie ce que j'aurais manqué : on ne me propose que quelque sorte d'hermétique poème comme prétention à expliquer un poème hermétique, semblable aux plaquettes dites « descriptives » de peintures contemporaines dans les galeries chères, négligeant de résumer le sujet et l'intérêt, ne réalisent que des extrapolations plus ou moins ésotériques et toujours très vagues d'une « essence » dont on ne montre jamais les indices. Je mets au défi, lisant ces commentaires, de savoir seulement ce dont parle Pessoa, à part d'un être immobile et qui tient à se fixer encore. Il est vrai que peut-être cette tentative – à savoir figer l'immobilité – revêt un caractère d'inédit, et que ce n'est en cela pas entièrement un travail dénué de génie, c'est néanmoins, sur plus de 500 pages, un essai certainement lassant et dont quelque condensation eût mieux servi le propos (il me faudrait citer au hasard des passages pour en faire comprendre l'évanescence cependant délicate et instruite, mais je ne veux pas perdre le temps à les recopier). J'ai pourtant souvent senti un esprit apte à pénétration : quand le narrateur ne parle pas de lui, il réalise parfois des acuités surprenantes, à condition toutefois qu'il ne se mêle pas de spéciosités chrétiennes (ce qu'il fait souvent), comme son ouverture sur le romantisme – à la façon de Pascal, il tire de rares et courtes illuminations hors de ses monomanies redondantes, pléthoriques, surnuméraires –, c'est malheureusement un esprit qui, sans conteste perspicace, ne sait pas élire, le propre des êtres qui tiennent trop à écrire avant de savoir quel sujet en vaut l'importance, et qui ne réalise que variations d'observations infinitésimales centrées sur soi c'est-à-dire sur le thème le plus prochain, encore qu'un soi qui, n'ayant rien de flagrant à décrire, ne trouve rien à faire qu'à examiner, sempiternellement et en style, à la première occasion d'un stylo, les minusculités de son intériorité, comme on dresserait sans fin la description de plus en plus vétilleuse de son salon-séjour. C'est un vice intrinsèque, quand on ne sait pas quoi faire, de s'appesantir à écrire avec beaucoup de pointilleuse subtilité sur ce qu'on ne remarque en soi qu'à force d'y quêter des singularités, comme une infinissable psychanalyse autopersuadée – c'est même probablement, au juste, un comble du désoeuvrement.
Lien : http://henrywar.canalblog.com
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critiques presse (1)
LeMonde
23 avril 2018
En 1988 paraissait « Le Livre de l’intranquillité », grand succès posthume de l’écrivain portugais. Sous le titre « Livre(s) de l’inquiétude », le revoici enrichi et retraduit.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (100) Voir plus Ajouter une citation
Je considère la vie comme une auberge où je dois séjourner jusqu'à l'arrivée de la diligence de l'abîme. Je ne sais où elle m'emportera parce que je ne sais rien. Je pourrais considérer cette auberge comme une prison, car je suis obligé d'y rester à attendre; je pourrais la considérer comme un lieu de sociabilité, car je m'y trouve avec d'autres... Pour nous tous la nuit descendra et la diligence arrivera... Si ce que je laisserai écrit dans le livre des voyageurs pouvait, relu quelque jour par d'autres, les divertir eux aussi lors de leur passage, ce sera bien. S'ils ne le lisent pas, ne s'en divertissent pas, ce sera bien aussi.
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Péristyle

Aux heures où le paysage est une auréole de la Vie, et où le rêve est seulement de se rêver, j'ai élevé, ô mon amour, dans le silence de mon désarroi, ce livre étrange comme le grand portail ouvert d'une maison abandonnée, au bout d'une allée.

J'ai cueilli pour l'écrire l'âme de toutes les fleurs, et avec tous les moments éphémères de tous les chants de tous les oiseaux, j'ai tissé éternité et stagnation. Tisseuse, je me suis assis à la fenêtre de ma vie, et j'ai oublié que j'avais un lieu, que j'étais, en tissant des linceuls pour y ensevelir mon ennui, et des nappes de lin chaste pour les autels de mon silence.

Et je t'offre ce livre parce que je sais qu'il est beau et inutile. Il n'enseigne rien, ne fait croire en rien, ne fait rien sentir. Ruisseau qui court vers un abîme - cendre que le vent répand et qui n'est ni féconde ni nuisible, - j'ai mis toute mon âme pour le faire, mais je n'ai pas pensé à lui en le faisant, mais seulement à moi qui suis triste, et à toi qui n'est personne.

Parce que ce livre est absurde, je l'aime ; parce qu'il est inutile, je veux le donner ; et parce qu'il ne sert à rien, je veux te le donner, je te le donne...

Prie pour moi en le lisant, bénis-moi de l'aimer, et oublis-le comme le soleil d'aujourd'hui celui d'hier (comme moi j'oublie ces femmes purs rêves que je n'ai jamais su rêver).

Tour du silence de mes désirs, que ce livre soit le clair de lune qui te rend différente dans la nuit de l'Antique Mystère !

Fleuve d'Imperfection douloureuse, que ce livre soit la barque glissant de tes eaux jusqu'à nulle mer qui se puisse imaginer.

Paysage de l'Autreté et de l'Abandon, que ce livre soit tien comme ton Heure et s'extravase de toi comme de l'Heure faussement pourpre.

(P107-108)
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L'heure est peut-être venue pour moi de faire l'unique effort de regarder ma vie. Je me vois au milieu d'un désert immense. Je surgis de ce que je fus hier intensément, j'essaie de m'expliquer à moi-même comment je suis arrivé là où je suis.

Je pleure sur mes pages imparfaites, mais les générations futures, si elles les lisent, seront plus émues par mes pleurs qu'elles ne le seraient par leur perfection qui, si j'y parvenais, m'empêcherait de pleurer et donc même d'écrire. Ce qui est parfait ne se manifeste pas. Le saint pleure, et il est humain. Dieu reste silencieux. C'est pourquoi nous pouvons aimer le saint, mais ne pouvons aimer Dieu.

(P551)
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Je suis passé parmi eux en étranger, pourtant personne n'a vu que je l'étais. J'ai vécu parmi eux en espion, et personne, pas même moi, n'a soupçonné que j'ai pu l'être. Tous me considéraient comme leur parent, personne ne savait qu'on m'avait échangé à ma naissance. De cette façon j'ai été pareil aux autres sans qu'il y eût ressemblance, frère de tous sans être de la famille.
Je venais de pays prodigieux, de paysages plus beaux que la vie, mais de ces pays, je n'ai jamais parlé si ce n'est avec moi-même, et ces paysages, seulement vus en rêve, je ne les leur ai jamais dévoilés. Mes pas étaient pareils aux leurs sur les parquets et les dalles, mais mon cœur était loin, même s'il battait tout près, maître apocryphe d'un corps exilé et étranger.
Personne ne m'a reconnu sous le masque de l'égale condition, ni n'a même jamais su que c'était un masque, car personne ne savait qu'en ce monde il y a des êtres masqués. Personne n'a imaginé qu'à côté de moi il y avait toujours quelqu'un d'autre, qui finalement était moi. On m'a toujours jugé identique à moi-même.

(P488)
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- Des naufrages ? Non, je n'en ai fait aucun. Mais j'ai l'impression d'avoir naufragé tous mes voyages, ma survie se dissimulant dans des inconsciences intervallaires.
- Des rêves vagues, lumière confuse, paysages perplexes - voilà ce qui me reste dans l'âme de tant de voyages.
J'ai l'impression que j'ai connu des moments de toutes les couleurs, des amours de toutes les saveurs, des angoisses de toutes les tailles. Je me suis démultiplié tous azimuts et jamais je ne me suis suffi à moi-même ni n'ai rêvé que je me suffisais.
- J'ai besoin de vous expliquer que j'ai réellement voyagé. Mais tout me dit que j'ai voyagé, mais n'ai pas vécu. J'ai promené d'un côté et de l'autre, du Nord au Sud et d'Est en Ouest, la fatigue d'avoir eu un passé, l'ennui de vivre le présent, et l'inquiétude de devoir avoir un avenir. Mais je me donne tant de mal que je suis tout entier dans le présent, et tue en moi le passé et le futur.
- Je me suis promené sur les berges de fleuves dont je me suis rendu compte que j'ignorais le nom. Aux tables des cafés de ville visitées j'ai pris soudain conscience que tout avait pour moi goût de rêve et de vague. J'en suis arrivé parfois à me demander si je n'étais pas toujours assis à la table de notre vieille maison, immobile, ébloui par des rêves. Je ne puis vous affirmer que cela n'est pas le cas, que je ne suis pas absent en ce moment, que tout cela, y compris cette conversation avec vous, n'est pas faux et imaginaire. Qui êtes-vous, Monsieur ? Il se trouve qu'absurdement je ne pourrais l'expliquer...

(P194-195)
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Vidéo de Fernando Pessoa
En librairie le 2 juin 2023 et sur https://www.lesbelleslettres.com/livre/9782251454054/comment-les-autres-nous-voient
Après Chronique de la vie qui passe, le présent volume vient compléter l'édition des Proses publiées du vivant de Pessoa telles qu'elles avaient été présentées au public français dès 1987 par José Blanco, l'un des meilleurs spécialistes du grand auteur portugais.
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