Le monstre des abysses, tome 1 : Nuit noire, fille des déferlantes

La créature se pencha et balança la lune ébouriffée qui lui servait de tête, comme si elle cherchait ce qui l'avait piquée. Des lampes s'allumèrent par milliers comme autant d'yeux qui, en réalité, étaient des milliers de bouts de verre dépoli plantés dans ce qui aurait dû être un visage. La gueule à demi ouverte dévoila ses dents en navires naufragés tout en déversant des cascades d'eau salée, inondant Will comme le jour où il s'était échoué sur la plage. Des replis du monstre, des poissons s'échappèrent et vinrent frétiller sur le sol. Crachotant, le jeune homme s'extirpa de son trou et frappa derechef avec son glaive. Encore une fois, le Gorm battit en retraite, emportant dans son élan l'arme, coincée dans le varech. Will se retrouva avec la seule poignée en main.

Né en 1966 à Brighton, en Angleterre, Philip Reeve vit avec sa femme et son fils dans la région du Dartmoor. Il a d'abord été libraire avant de devenir illustrateur puis auteur à succès. Avec Mécaniques fatales, paru en 2001, il signe son premier roman, qui reçoit un accueil enthousiaste. Porté à l'écran par Peter Jackson en 2018, il s'agit du premier tome d'une série époustouflante qui comprend trois autres volumes. Véritable Jules Verne contemporain, écrivain éclectique et plein d'humour, Philip Reeve sait aussi bien créer des mondes fantastiques, tels ceux de Planète Larklight ou de Nuit Noire, que s'approprier des univers légendaires comme celui du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde, qu'il a revisité dans Arthur, l'autre légende. Philip Reeve a reçu de nombreux prix littéraires, parmi lesquels la Carnegie Medal et le Smarties Prize.

Les terres cachées. On ne les voyait qu'au crépuscule. À l'heure où les frontières entre les mondes s’amincissaient, d'étranges créatures étaient susceptibles de les franchir en catimini. Alors, racontaient les vieilles histoires, des îlots enchantés surgissaient du néant de l'océan, à l'ouest. Nul ne savait ce qu'ils étaient exactement. Aucun des bateaux qui avaient tenté de voguer vers eux n'en était revenu. Pourtant, une fois, il y avait très longtemps de cela, une sorcière des mers avait allumé un feu entre les pierres levées du cap de Saint-Phocas, et un monstre enragé vivant dans les Terres Cachées avait jailli au milieu des flots : le Gorm, un être si épouvantable qu'il avait été dès lors jugé nécessaire d'installer un gardien sur les Déferlantes.
Ce n'était rien qu'une légende, bien sûr. Du moins, c'est ce qu'estimaient les gens en Angleterre et ceux qui habitaient des îles plus civilisées, comme Finnery et Lamontane. Mais on était sur les Déferlantes, à l'extrême ouest du monde battu par les vents, où des trolls peuplaient les Pitreries et où une vraie sorcière lançait ses sortilèges depuis les Éboulis. Ici, il était possible de croire à presque tout.
Aussi, Nuit scruta l'horizon avec son télescope, tous les soirs pendant une heure, jusqu'à ce qu'il fasse trop sombre pour distinguer quoi que ce soit. Si elle n'aperçut aucun îlot magique, elle ne réussit pas non plus à se débarrasser de l'impression pesante qu'ils existaient. Elle revenait sans cesse aux dernières notes de M. Noire en s'interrogeant sur leur sens. Puisque les Terres Cachées s'étaient montrées à lui, pourquoi ne le faisaient-elles pas avec elle ? pg 36 et 37

- J'enverrai l'Œuf prendre de tes nouvelles de ou deux jours. Si tu as besoin de moi, n'hésite pas à le lui dire.
- L'Œuf, c'est un garçon, expliqua la petite son oncle. Pas un vrai œuf.
- Merci de le préciser.

Durant un instant, il eut l'impression que les remparts scientifiques et logiques qu'il avait bâtis autour de lui s'écroulaient pour laisser entrapercevoir un monde plus ancien et étrange, dans lequel la magie chuchotait à l'oreille des vagues.

Philip Reeve se fonde sur les mythes fondateurs de notre culture pour créer un nouveau mythe, celui de Nuit Noire.
Née de l'Union de la déesse La Gorm et du Gardien de l'île "Les Déferlantes", Noire est l'héroïne de ce roman paru chez Gallimard.
L'esprit des mythes et légendes des peuples de la mer, imprègne chaque chapitre,



Portés par les courants, des parfums chatouillèrent les narines de la petite fille comme, parfois, les odeurs d'un feu de camp parvenaient jusqu'à la vigie. Mais ces arômes-là avaient des origines bien plus lointaines et dessinaient des images dans la tête de Nuit au fur et à mesure qu'elle les savourait : des côtes glacées d'où se détachaient des icebergs, des îles de sable corallien. La vie grouillait aussi : immenses bancs de poissons argentés nombreux comme les gouttes de pluie, énormes baleines faisant entendre leurs chants, créatures sombres inconnues fouillant la vase et d'y enterrant.
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