Citations de Édouard Louis (796)
La fuite était la seule possibilité qui s'offrait à moi, la seule à laquelle j'étais réduit. J'ai voulu montrer ici comment ma fuite n'avait pas été le résultat d'un projet depuis toujours présent en moi, comme si j'avais été un animal épris de liberté, comme si j'avais toujours voulu m'évader, mais au contraire comment la fuite a été la dernière solution envisageable après une série de défaites sur moi-même. Comment la fuite a d'abord été vécue comme un échec, une résignation. A cet âge, réussir aurait voulu dire être comme les autres. J'avais tout essayé.
Qui ne se sent pas un homme en effet aime à le paraître et qui sait sa faiblesse intime fait volontiers étalage de force.
Quand j’étais enfant, nous avions honte ensemble - de notre maison, de notre pauvreté. Maintenant j’avais honte de toi, contre toi.
Nos hontes se sont séparées.
On m'a dit que la littérature ne devait jamais tenter d'expliquer, seulement illustrer la réalité, et j'écris pour expliquer et comprendre sa vie. On m'a dit que la littérature ne devait jamais se répéter et je ne veux écrire que la même histoire, encore et encore, y revenir jusqu'à ce qu'elle laisse apercevoir des fragments de sa vérité, y creuser un trou après l'autre jusqu'au moment où ce qui se cache derrière commencera à suinter.
On m'a dit que la littérature ne devait jamais ressembler à un étalage de sentiments et je n'écris que pour faire jaillir des sentiments que le corps ne sait pas exprimer. On m'a dit que la littérature ne devait jamais ressembler à un manifeste politique et déjà j'aiguise chacune de mes phrases comme on aiguiserait la lame d'un couteau.
Les autres, le monde, la justice n'arrêtent ps de nous venger sans se rendre compte que leur vengeance ne nous aide pas mais nous détruit. Ils pensent nous sauver avec leur vengeance mais ils nous détruisent.
Ils étaient passé sans transition de l'enfance à l'épuisement et à la préparation à la mort, sans avoir le droit aux quelques années d'oubli du monde et de la réalité que les autres appellent la jeunesse - c'est une formule un peu bête, les quelques années d'oubli que les autres appellent la jeunesse.
Pour les dominants, le plus souvent, la politique est une question esthétique : une manière de se penser, une manière de voir le monde, de construire sa personne, pour nous c’était vivre ou mourir.
Le mot maniéré, efféminé raisonnaient en permanence autour de moi dans la bouche des adultes : pas seulement au collège, pas uniquement de la part des deux garçons. Ils étaient comme des lames de rasoir, qui, lorsque je les entendais, me déchiraient pendant des heures, des jours, que je ressassais, me répétais à moi-même. Je me répétais qu'ils avaient raison. J'espérais changer. Mais mon corps ne m'obéissait pas et les injures reprenaient.
Il devrait me demander de l'écrire. Quand j'écris je dis tout, quand je parle je suis lâche.
Pourquoi est-ce qu'on impose aux perdants de l'Histoire d'en être les témoins - comme si être perdant n'était pas suffisant, pourquoi est-ce que les perdants doivent en plus porter le témoignage de la perte, pourquoi est-ce qu'ils doivent en plus répéter la perte jusqu'à l'épuisement, en dépit de l'épuisement, je ne suis le gardien de personne, ce n'est pas juste, ce n'est pas juste, et je pensais, toujours sans dire un mot : non, c'est le contraire qui devrait arriver, tu devrais avoir le droit au silence, ceux qui ont vécu la violence devraient avoir le droit de ne pas en parler, ils devrait être les seuls à avoir le droit de se taire, et ce sont les autres à qui on devrait reprocher de ne pas parler.
C'est la surprise qui m'a traversé, quand bien même ce n’était pas la première fois que l'on me disait une chose pareille. On ne s'habitue jamais a l'injure.
Je me rends compte actuellement que je m'adressais toujours aux hommes, qui avaient l'allure la plus distinguée, ceux qui semblaient les plus riches ; mon désir social se mêlait à mon désir sexuel, et j'étais attiré par les hommes qui ressemblaient au monde auquel je voulais appartenir depuis que j'avais pris la décision de partir d'Amiens, les plus conformes à mon rêve de transformation.
Ma mère disait : "Je ne suis pas mariée à un homme, je suis mariée à un gosse."
Août 2017 - Le gouvernement d'Emmanuel Macron retire cinq euros par mois aux Français les plus précaires, il retient cinq euros par mois sur les aides sociales qui permettent aux plus pauvres en France de se loger, de payer un loyer. Le même jour, ou presque, peu importe, il annonce une baisse des impôts pour les personnes les plus riches de France. Il pense que les pauvres sont trop riches, que les riches ne sont pas assez riches. Son gouvernement précise que cinq euros, ce n'est rien. Ils ne savent pas. Ils prononcent ces phrases criminelles parce qu'ils ne savent pas. Emmanuel Macron t'enlève la nourriture de la bouche.
Emmanuel Macron leur répond, la voix pleine de mépris : "Vous n'allez pas me faire peur avec votre T-shirt. La meilleur façon de se payer un costard c'est de travailler. Il renvoie ceux qui n'ont pas les moyens de se payer un costume à la honte, à l'inutilité, à la fainéantise. Il actualise la frontière, violente, entre les porteurs de costume et les poteurs de T-shirt, les dominés et les dominants, ceux qui ont l'argent et ceux qui ne l'ont pas, ceux qui ont tout et ceux qui n'ont rien. Ce genre d'humiliation venue des dominants te fait ployer le dos encore plus.
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Le mot fainéant est pour toi une menace, une humiliation. Ce genre d'humiliation venue des dominants te fait ployer le dos encore plus.
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un de mes amis dit que ce sont les enfants qui transforment leurs parents, et pas le contraire.
Le mot fainéant est pour toi une menace, une humiliation.
Plusieurs années après, quand j’ai fui le village et que je suis allé habiter à Paris, quand le soir dans les bars je rencontrais des hommes et qu’ils me demandaient quelles étaient mes relations avec ma famille, c’est une drôle de question mais ils la posent, je leur répondais toujours que je détestais mon père. Ce n’était pas vrai. Je savais que je t’aimais mais je ressentais le besoin de dire aux autres que je te détestais. Pourquoi ?
Il me semble souvent que je t’aime.
... comme si à la pauvreté s'ajoutait une sorte d'exigence de paraître-pauvre.
Les mots maniéré, efféminé résonnaient en permanence autour de moi dans la bouche des adultes: pas seulement au collège, pas uniquement de la part des deux garçons. Ils étaient comme des lames de rasoir, qui, lorsque je les entendais, me déchiraient pendant des heures, des jours, que je ressassais? me répétais à moi-même. Je me disais qu'ils avaient raison. J'espérais changer. Mais mon corps ne m'obéissait pas et les injures reprenaient.