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EAN : 9782370553980
Le Tripode (11/04/2024)
4.17/5   3 notes
Résumé :
Le Tombeau se présente comme l`un des romans les plus importants de Marc Graciano. À travers la figure fictive d`un ermite ayant connu Jeanne d`Arc, l`auteur expose sa vision d`un matérialisme sacré, la vertu de l`espoir. Une véritable profession de foi.
[...] et c`était une enfant que j`aimais bien, et qui possédait sans aucun doute quelque chose que les autres n`avaient point, quoique de prime abord elle ressemblât beaucoup aux autres filles du village, [..... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
La grâce de Graciano…

Déjà, la couverture est apaisante, cette fauvette sur fond bleu tendre laisse présager un roman bucolique, champêtre, contemplatif, voire méditatif. Un livre de la famille des « Nature-Writing », peut-être. Elle dévoile en tout cas, avant même de tourner ces pages couleur crème et d'un grammage épais, la délicatesse et la beauté que recèle ce livre, publié aux singulières éditions le Tripode. Il fallait au moins cet écrin pour une telle pépite. le Tombeau rassemble en effet à la fois une plume magnifique et une expérience de littérature.

Tout d'abord, le tombeau, c'est une plume magnifique. Celle-ci nous invite à découvrir la voix d'un ermite fictif du 15ème siècle habitant les hauteurs de Domrémy qui a bien connu Jeanne D'Arc, Johannette comme il l'appelle. Il nous narre surtout sa plus tendre enfance et évoque, par ellipses pudiques, sa fin tragique. La jeune fille venait en effet dans sa chapelle prier et se confesser, elle avait noué avec lui des liens de confiance. Elle allait le voir pour écouter la vie des saintes qu'il aime lui raconter, sainte Marguerite d'Antioche ou sainte Pélagie, « que l'on pouvait bien considérer comme des fables, à cause que c'étaient choses prodigieuses et impossibles, et peineusement croyables, mais cependant fort belles à narrer, et emplies d'enseignement, évident ou secret, prévenais-je Johannette ».

Mêlant souvenirs émus de la jeune fille et nombreuses réflexions sur ce monde soumis à la peur et au chaos, sur la présence de Dieu, sur la façon dont les hommes ont établi des règles et des dogmes, pour manifester leur foi, contraires au simple amour chrétien, sur l'amour présent en tout être, sur la Nature, l'ermite réaffirme la beauté du monde malgré les tortures que les hommes ont infligé à sa protégée et démontre la nécessité de l'espérance.

Ces pensées sacrées nous sont offertes au moyen d'une écriture finement ciselée, ajourée telle de la dentelle, taillée tel un diamant. Belle et pure, elle semble épouser l'environnement verdoyant dans lequel déambule l'ermite isolé, elle semble se fondre avec sa méditation dans les bois, elle est toute en circonvolutions, en méandres, en ramifications, en ombres et en lumières, elle évolue en progressions et retours en arrière. Une écriture telle une balade en pleine Nature, dans un décor sylvestre, permettant de ressentir cet indicible que veut nous faire toucher du doigt et du coeur l'ermite, ce sacré dans la Nature, loin, très loin du dogme plein de faste des hommes d'église qui détruisent parfois celles et ceux qui ne pensent pas comme il faut, celles et ceux qu'ils qualifient d'hérétiques, d'apostate et d'idôlatre, « qui valaient bien les injures , les crachats et les horions que notre Seigneur Jhésus a endurée, bien que Lui dût, en surcroit, porter sa croix sur une lieue de chemin… ».
La Nature tel un tombeau salvateur pour mieux prendre de la hauteur.

C'est une écriture au charme fou, exigeante, étonnante, demandant patience et persévérance, parfois égarés dans des chemins de ronce avant d'aboutir, émerveillés, dans une clairière, baignée de lumière. J'ai été littéralement ébahie, lisant et relisant certains chapitres, certains passages, émue par une telle beauté, beauté de l'écriture à l'image de la beauté de la Nature et de la vie. Une écriture de la Terre et du ciel en écho à la pensée spirituelle de l'ermite. Une langue qui suit le rythme lent de la nature, le vol des oiseaux, l'éclosion des bourgeons.

« …pendant l'office nous parvient à temps réguliers le chant d'un coucou, qui gracie peut-être mieux que moi le pain et le vin, à cause que son chant est celui de la résurrection, émis par le véritable oiseau qui annonce le printemps, ceci malgré sa malice, eu égard à son habitude cauteleuse d'établir sa couvée dans le nid des petits oiseaux, notamment les fauvettes, l'accenseur émettant son chant doux et double, et tant reconnaissable, comme si, donc, devant moi, assis à la grande table de pierre, le souffle vespéral agitant délicatement les herbes, se tenait un petit océan, d'autant que, dans toute la forêt autour, excitée par lui, les cimes des grands arbres s'animent mêmement, quoique plus ténument, à cause que l'aure est légère et qu'elle a plus de mal à les émouvoir que les fines et souples herbes hautes, et que j'entends plus loin dans le bois, le claquement d'ailes de pigeons qui rejoignent leur dortoir, non ces lourds claquement de palombes, mais ceux moins bruyants, légers et timides, de pigeons dits colombins, qui sont plus petits et agiles, après avoir guerpi leur place de nourrissement, envahie de plants de muguets, desquels ils font trembler légèrement les clochettes flories au moment de l'envol, et les ronronnements de tourterelles sur leur nid… ».

Le tombeau, c'est ensuite une expérience de littérature car chaque chapitre n'est constitué que d'une seule phrase, et ce, dans un langage mâtiné d'expressions féodales. Il est impossible de le lire sans véritable attention, sans concentration, sans en murmurer les longs passages, sans en caresser les pages en revenant sur certaines méandres comme on caresserait l'écorce d'un arbre, les ramifications nous ayant parfois égarés, pour revenir ensuite, plus riches de beauté et de lumière, à suivre ainsi la pensée vagabonde du vieil homme. C'est un soliloque plein de grâce et de délicatesse, d'émerveillement et de foi, de lenteur et de spiritualité.

« …elle puisait de l'eau au bénitier dans le creux d'une paume qu'elle recoquillait en forme d'entonnoir, et laissait l'eau s'écouler par le bas, par l'étroit goulot du petit doigt plié sur lui-même, et ondoyait doucement son front, entre ces deux yeux inspirés, peut-être en réitération de ce qu'il avait été fait le jour de son baptême en la petite église de Domrémy, celui même de l'épiphanie, à ce qu'il se dit désormais… ».

Ce livre fait écho à un autre livre de Marc Graciano, Johanne, paru en 2022 dans lequel il racontait les étapes de la route conduisant la jeune fille de Vaucouleurs à Chinon pour y rencontrer Charles VII. Marc Graciano, éloigné de toute récupération du mythe national, souhaite en restituer le côté fascinant, mystérieux, presque magique. Il démontre de quelle façon, en voulant éliminer ce personnage gênant et impie selon leurs règles, ces hommes l'ont rendue immortelle. Il met en valeur que l'ermite la considère comme une sainte non pas du fait des voix, auxquelles il ne semble pas trop croire, mais du fait de son rapport simple et emplie de grâce et d'innocence avec la nature, ce regard lumineux pourvoyeur d'un amour absolu. L'ermite étant fictif, il me semble que cette façon de voir, de ressentir la vie, est celle de l'auteur.

Marc Graciano, avec le tombeau, nous offre une pépite, celle d'un langage inventé baigné de grâce, de sensorialité, qui épouse la Nature, son rythme, ses ondulations, ses bruits, ses ombres et ses lumières. Un langage qui s'accorde avec une façon d'être au monde, pleine de vie et d'espoir, de spiritualité. Il nous invite à regarder au-delà des bassesses du monde des hommes pour se recentrer sur l'essentiel et vénérer le sacré. Un texte rare !


« il ne faut jamais désespérer, tout peut se refaire et revivre, tout se reneuve sans cesse, et il faut aller hardiment, c'est tout le message que Johanne est venue nous porter ».

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critiques presse (2)
Liberation
06 mai 2024
Jeanne d'Arc, figure récurrente dans l'oeuvre de l'auteur, revient avec « le Tombeau » et son vieil ermite confesseur.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeMonde
30 avril 2024
Ce n’est pas parce que Jeanne d’Arc (1412-1431) fait l’objet de récupérations pénibles que sa figure et sa légende doivent être reléguées. Loin d’alimenter le mythe national de Jeanne d’Arc, Marc Graciano en restitue le potentiel magique et simple, donnant à voir dans la langue un Moyen Age tout entier marqué par des croyances, des gestes et une pensée de la terre et du ciel : époque qui nous reste assez étrangère, mais qui, lorsqu’on nous y conduit, fascine par sa lenteur, sa brièveté, son rythme et sa spiritualité.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Dès le printemps, Johannette venait encore plus souvent que de coutume à l'ermitage, et c'était, quelque jour avant Pâques, quand les mésanges crient à tue-tête, ivre de bonheur, de soleil et d'air tiède, et que l'Infini leur monte à la tête, et que l'alouette, sans perdre haleine, sans s'époumoner et cesser d'émettre son babil, monte le plus haut possible dans le ciel, son cœur minuscule, bien accroché dans sa petite poitrine, battant à peine plus fort, à peine inquiet de monter tant haut, mais c'est, il est vrai, vers frère soleil, quand les bourgeons ne se sont pas encore déployés, et quand le paysage semble avoir été teint d'un très léger vert par un peintre négligent, ou plutôt de complexion timide et discrète, et que l'azur est très clair, et que seules les aubépines sont en fleur, sans que celles-ci aient véritablement et largement éclos, les arbres comme peinturés en céruse, et que Johannette s'arrêtait devant l'une d'elles, transportée par le mélodieux chant d'une fauvette qui la hantait, celle à tête noire (...)
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Mais le moment que je préfère reste celui des matins d'automne, quand le soleil à peine levé, mais déjà triomphant, tandis que brille encore l'étoile journale, celle mêmement nommée Vénus, de laquelle il semble qu'elle ait premièrement faonné l'imparfaite lumière de l'aube, transmute la plate lumière albine qui, je te le confesse, par son blême, me fait toujours entrer en désespérance, et roussit la déjà fauve forêt aux alentours, tant splendidement par endroits que l'on croirait qu'un encendement y a été initié, d'autant que l'astre radieux n'a encore pu dissiper l'épaisse brume qui s'est couchée sur elle pendant la nuit, et qu'il en demeure de rares bandes stables, qui semblent de la fumée, et quand, avant de pénétrer dans la chapelle par la porte arrière, celle qui donne sur le cimetière qui jouxte, je me recueille devant les tombes de mes prédécesseurs, ainsi que je le fais presque chaque jour, sans doute pour combattre cet intolérable sentiment de solitude qui m'assaille au débutement du jour, et qui m'est chaque fois comme une pénitence, et quand, sans même lever la tête durant ma contemplation, j'entends une troupe de geais crier l'alarme, alors, je le sais, que personne ne vient jamais à cette heure, comme si les oiseaux braillards voulaient me prévenir d'une présence invisible, et quand je me dis qu'il s'agit bien certainement de celle de Johanne, de qui j'éprouve alors la complète impression, non même comme si elle était en moi, mais comme si elle revenait vraiment près de moi, qu'elle était près de moi, toute proche de moi, quand je sens qu'elle est pour toujours ma prochaine, ce qui, chaque fois, me donne envie de pleurer tendrement.
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(...) Johanette finissant le voyage à quatre pattes, par dépit, mais mêmement à cause que cela facilitait sa progression, même qu'elle en aurait fait une habitude, et même encore, prenant cette allure sur tout le chemin depuis Domrémy, prétendant être un chien ou un loup, et poussant parfois des cahulements, ce que lui aurait laissé longanimement faire sa mère, quoiqu'elle en fût profondément agacée, mais sans le montrer, sachant qu'il ne fallait rien dire et faire, et qu'avec le temps cela passerait, une fantaisie d'enfant, exactement la même contenance qu'elle eut quand sa fille fit brusquement savoir à ses affins, bien que ce fût longuement pourpensé, sous l'aiguillon de ses voix, qu'elle avait le projet de rejoindre le Dauphin pour l'aider à faire lever le siège d'Orléans, et le faire sacrer à Reims, et finalement chasser les Anglais hors du bon Royaume de France, et le libérer de leur infecte présence, à la différence de Jacques, son père, qui préconisa rustiquement de la noyer dans la Meuse si un jour prochain elle s'avisait d'aller à l'estrade avec des soldats, même, dans sa froide colère, qu'il avait indiqué l'endroit où il faudrait le faire, c'était près du pont, derrière la première arche, où le courant qui reflue a fouillé le lit de la rivière, et où existe un bouillon, qui est depuis toujours réputé périlleux, surtout qu'on ne peut prévoir sa profondeur, à cause que sa surface est couverte de longues algues, enracinées un peu en amont du trou, et ondoyantes comme l'immense chevelure d'une morte, et, au printemps, porteuses de nombreuses fleurs blanches, tant que l'on croirait qu'une lavandière a délaissé en cette place un drap flori, après l'avoir fixé à un piquet, pour qu'il se rince tout seul dans le courant (...)
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(...) et que le mal, s'il existe, et comme je crois l'avoir tant bien appris à Johanne, et qui la rendit tant sage, et bien plus que tous les plus savants docteurs de la foi, n'est jamais que dans la désespérance, c'est à savoir dans cet abandon de la créance que tout peut se refaire sans cesse, que tout peut renaître et revivre, et qui est la pire épreuve au monde qui puisse être vécue par un homme, et que je ne souhaiterais à aucun de mes ennemis, pour autant que j'en aie vraiment.
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Vidéo de Marc Graciano
Avec Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti & Martin Rueff Table ronde animée par Alastair Duncan Projection du film d'Alain Fleischer
Claude Simon, prix Nobel de Littérature 1985, est plus que jamais présent dans la littérature d'aujourd'hui. Ses thèmes – la sensation, la nature, la mémoire, l'Histoire… – et sa manière profondément originale d'écrire « à base de vécu » rencontrent les préoccupations de nombreux écrivains contemporains.
L'Association des lecteurs de Claude Simon, en partenariat avec la Maison de la Poésie, fête ses vingt ans d'existence en invitant quatre d'entre eux, Marc Graciano, Maylis de Kerangal, Christine Montalbetti et Martin Rueff, à échanger autour de cette grande oeuvre. La table ronde sera suivie de la projection du film d'Alain Fleischer Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde.
« Je ne connais pour ma part d'autres sentiers de la création que ceux ouverts pas à pas, c'est à dire mot après mot, par le cheminement même de l'écriture. » Claude Simon, Orion aveugle
À lire – L'oeuvre de Claude Simon est publiée aux éditions de Minuit et dans la collection « La Pléiade », Gallimard. Claude Simon, l'inépuisable chaos du monde (colloques du centenaire), sous la direction de Dominique Viart, Presses Universitaires du Septentrion, 2024.
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